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« Viktor Orbán a échoué tant sur le plan moral qu’intellectuel, il doit partir ! »
/Chroniques d’Europe centrale
Article mis en ligne le 1er avril 2021
dernière modification le 31 mars 2021

« Qui aurait pensé, il y a 33 ans, lorsque nous avons fondé le parti, qu’avec le temps, un seul homme monopoliserait d’abord le parti et ensuite tout le pays ? ». A l’occasion du 33e anniversaire du Fidesz, fondée le 30 mars 1988, József Kardos, l’un de ses 37 membres fondateurs, publie un brûlot contre ce parti qu’il a quitté depuis.

C’est sous la forme d’une lettre ouverte adressée au président de la République, János Áder, que József Kardos a choisi de dire tout le mal qu’il pense de la formation politique qu’il a créé il y a trente trois ans, au sortir du communisme, aux côtés de Viktor Orbán et d’autres jeunes de sa génération avides de liberté. Dans ce message au vitriol, il estime que ce parti « autrefois démocratique et libéral est devenu une organisation d’extrême droite ». (...)

Monsieur le Président,

Cher János,

En cet anniversaire du Fidesz, je t’écris en tant que l’un de ses membres fondateurs. Comme nous nous connaissons depuis des décennies, permets-moi de m’adresser à toi de manière informelle. Sans vouloir insister, voici des faits qui sont aujourd’hui évidents pour tous : l’Alliance des jeunes démocrates (Fidesz), fondée il y a 33 ans, ne ressemble en rien au Fidesz d’aujourd’hui, que ce soit au niveau de sa politique, de ses objectifs ou de son fonctionnement démocratique interne. La façon dont un parti autrefois démocratique et libéral est devenu une organisation d’extrême-droite soulève encore plus de questions, mais je laisserai aux historiens et aux politologues le soin de les analyser. Je suis beaucoup plus curieux de savoir ce que toi – que j’ai toujours considéré comme une personne droite, honnête et décente – tu penses de cette volte-face, de ce revirement, et pourquoi tu tolères en silence que son cerveau – quelqu’un qui s’embrouille clairement et visiblement dans ses propres mensonges – pousse le pays tout entier au bord de la catastrophe. Oui, je veux parler d’Orbán, la personne que nous avons aidée – entre autres – à prendre le pouvoir il y a 33 ans.

Te souviens-tu à quel point nous étions enthousiastes, les premières années, à l’idée de construire une meilleure Hongrie pour les générations à venir, pour qu’elles puissent se développer et s’épanouir ? Notre objectif fondamental était qu’après un régime oppressif, les droits de l’homme soient totalement acceptés et garantis par la Constitution et les lois du pays (...)

Qu’est-il advenu de ce genre de parti depuis sa création ? Je m’abstiens de l’appeler un parti, car il n’en est plus un, au sens propre du terme. Les membres du Fidesz d’aujourd’hui ne sont que des figurants dans un film ou une pièce de théâtre, pendant que leur président dirige tout. Il n’y a plus de démocratie interne, plus de débats, plus d’opinions contradictoires. Il n’y a pas de hiérarchie démocratique, pas de justice procédurale équitable. Le chef prend les décisions, tandis que les autres les exécutent, sans même réfléchir. Ils ne respectent même pas les règles qu’ils ont eux-mêmes créées, un exemple parfait étant la décision la plus récente de quitter le Parti populaire européen. Cette décision a été prise sans l’autorisation ou l’approbation d’aucun conseil.

Le patron joue ses jeux infantiles tant sur le plan national que sur le plan international. Les députés ne servent que de toile de fond, tandis qu’il n’utilise l’expression d’« électeurs hongrois » que comme une référence derrière laquelle il peut se cacher. Je suis incroyablement irrité par l’utilisation abusive d’une rhétorique fausse comme « c’est ce que veulent les Hongrois », « les Hongrois sont humiliés », « respect aux Hongrois ! », etc. Toutes ces déclarations révèlent seulement à quel point ceux qui les prononcent méprisent ceux dont on parle. (...)

Qui aurait pensé, il y a 33 ans, lorsque nous avons fondé le parti, qu’avec le temps, quelqu’un allait monopoliser d’abord le parti, puis le pays tout entier ? (...)

Sous son règne, nous avons glissé de la première division d’Europe centrale à la dernière place. Nous avons réussi à dépenser la majorité des milliers de milliards d’euros de subventions européennes dans des investissements inutiles. Il a planté des stades sous-utilisés et totalement superflus dans tout le pays. Il a privatisé tous les biens immobiliers et entreprises d’État de grande valeur pour des clopinettes, puis les a distribués à ses amis. La corruption, une fois de plus, est devenue la clé de la prospérité. Jamais auparavant l’argent des contribuables n’avait été autant volé que sous son règne. (...)

Une armée de trolls rémunérés est lancée contre ceux qui pensent différemment.

Tout le monde est pris pour un parfait idiot. Le Fidesz a construit de parfaites « usines à mensonges » – dépassant même les imaginations les plus folles d’Orwell – en utilisant notre argent. En s’emparant des chaînes de télévision et des stations de radio publiques, des journaux nationaux et régionaux ainsi que des médias en ligne, il peut diffuser des messages mensongers jour après jour, en appuyant simplement sur un bouton, et laver le cerveau des gens avec une solution clé en main. Les quelques médias indépendants qui conservent la possibilité de critiquer sont à l’agonie et luttent pour leur survie. La machinerie orwellienne traque un par un ceux qui restent. Nous n’oublierons jamais ce qu’ils ont fait à Népszabadság ou à Index, et ce qu’ils font actuellement à Klub Rádió. (...)

Ce qu’ils font aux municipalités dirigées par l’opposition est sans précédent et scandaleux. Ils les laissent saigner, alors qu’elles ont plus que jamais besoin de ressources pour gérer les problèmes au niveau local. Pour dire les choses simplement, c’est un crime. (...)

János, tu as raté l’occasion de prendre la parole tant de fois au cours de ces dix dernières années ! Où étais-tu lorsque ce régime sans âme a attaqué les sans-abri ? Où étais-tu quand ils ont démoli le réseau d’instituts de recherche de la MTA (Académie scientifique de Hongrie) ? Où étais-tu lorsque les ONG ont été injustement harcelées ? Où étais-tu lorsque l’une des meilleures universités de Hongrie (CEU, l’Université d’Europe centrale) – considérée comme telle à l’international – a été chassée du pays, par pure méchanceté ? Où étais-tu lorsque des familles innocentes, cherchant refuge, ont été forcées de mourir de faim dans des complexes pénitentiaires appelés « zones de transit » ? Où es-tu maintenant, alors que la gouvernance locale est abolie dans les municipalités ? Où es-tu maintenant, alors que les universités sont privées de leur autonomie ? Où es-tu maintenant, alors que les personnes seules et les couples de même sexe se voient refuser la possibilité d’adopter des enfants ? Où es-tu, alors que des injustices scandaleuses sont commises et que des lois vicieuses sont adoptées, les unes après les autres ? En tant que dignitaire public, pourquoi ne défends-tu pas également les opprimés ? (...)
Je n’ai aucun désir d’entamer une carrière politique. Je n’ai pas d’ambitions de ce type, mais en tant que personne qui, à un moment donné, a cru en cet homme et l’a aidé à accéder au pouvoir, j’estime qu’il est de mon devoir moral d’exprimer mes pensées. Nous devons voir clairement qui nous avons en face de nous et l’étendue des dégâts qu’il cause chaque jour, tant qu’il reste au pouvoir. Viktor Orbán doit partir ! Viktor Orbán a échoué tant sur le plan moral qu’intellectuel, et fait du tort à chacun d’entre nous à cause de son insatiable soif de pouvoir.

Le changement passe par une nouvelle Constitution légitime, fondée sur une réconciliation sociale globale et un consensus, ainsi que par des élections équitables reposant sur des conditions de participation égales pour tous. J’espère que l’opposition aura la sagesse d’aller jusqu’au bout. Il n’y a qu’une seule chose que j’aimerais voir dans le reste de ma vie : la chute finale de ce régime infâme, inhumain, corrompu et menteur. (...)

Je n’ai aucun désir d’entamer une carrière politique. Je n’ai pas d’ambitions de ce type, mais en tant que personne qui, à un moment donné, a cru en cet homme et l’a aidé à accéder au pouvoir, j’estime qu’il est de mon devoir moral d’exprimer mes pensées. Nous devons voir clairement qui nous avons en face de nous et l’étendue des dégâts qu’il cause chaque jour, tant qu’il reste au pouvoir. Viktor Orbán doit partir ! Viktor Orbán a échoué tant sur le plan moral qu’intellectuel, et fait du tort à chacun d’entre nous à cause de son insatiable soif de pouvoir.

Le changement passe par une nouvelle Constitution légitime, fondée sur une réconciliation sociale globale et un consensus, ainsi que par des élections équitables reposant sur des conditions de participation égales pour tous. J’espère que l’opposition aura la sagesse d’aller jusqu’au bout. Il n’y a qu’une seule chose que j’aimerais voir dans le reste de ma vie : la chute finale de ce régime infâme, inhumain, corrompu et menteur. (...)