
(...) Avec l’aggravation de la crise et la multiplication des plans de licenciement, les luttes sociales attirent-elles davantage l’attention des grands médias ? Une chose est sûre : lorsqu’un acteur de ces luttes est invité par les médias, c’est souvent moins pour informer sur les causes et les enjeux de ces luttes… que pour se voir asséner de pénibles leçons de résignation, et autres appels à « dénoncer la violence ». (...)
Faut-il le préciser ? Les « menaces, les invectives, les coups » ou l’« esprit belliqueux » invoqués par Elkabbach, Clark et Fogiel sont rarement avérés. Mais lorsque « violence » il y a, celle-ci occupe toute la place, comme le montre l’exemple du long interrogatoire de Mickaël Wamen par Marc-Olivier Fogiel. On se souvient aussi des insupportables images de plantes vertes renversées à PSA, ou encore du récit du « sac » de la sous-préfecture de Compiègne par les journaux télévisés.
On en vient à se demander si, lors de ces entretiens radiophoniques, les représentants syndicaux sont reçus en qualité de partie prenante d’un conflit social, ou en tant que (violents) délinquants, avérés ou en puissance, desquels il faudrait à tout prix soutirer un repentir ou des regrets « pour l’exemple »… (...)
Les réactions médiatiques à l’adoption par le Sénat du projet de loi sur l’amnistie sociale [4] sont à ce titre assez significatives ; des réactions scandalisées – quand bien même la loi ne concernerait qu’une dizaine de condamnations – qui en disent long sur la perception des mouvements sociaux par certains éditorialistes et chroniqueurs…
Le mardi 5 mars, elle provoque la colère matinale du chroniqueur Philippe Manière sur France Culture : « Vous vous souvenez de la mise à sac de la sous-préfecture de Compiègne par les célèbres Conti, eh bien hop, tout ça passe à la trappe et je vous assure, vous pouvez revoir les images sur Dailymotion ou sur YouTube, c’est quand même extrêmement violent, c’est tout à fait spectaculaire. » (...)
Au matin de la journée d’action contre l’accord national interprofessionnel (ANI), Manière assène ainsi une pénible leçon de « dialogue social » ; d’un côté, il distribue les bons points aux signataires de l’ANI : « Il est de notoriété publique que certains syndicats comme la CFDT, la CFTC sont ceux avec lesquels [trouver des accords négociés de bonne foi] est concevable et qu’ils se trouvent par ailleurs être ceux qui historiquement recourent le moins à la violence et même, la condamnent, en général. »
… de l’autre, il charge violemment, caricature à l’appui, les syndicats opposés à l’ANI : « la CGT, qui ne signe presque jamais aucun accord, est, pardon de le dire, avec FO et les autonomes à certains égards, le syndicat dans le rang duquel on retrouve historiquement le plus de cas de débordements violents. » La CGT ne signant aucun accord ? Des propos qui laissent transparaître une véritable ignorance du milieu syndical…
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Cette distinction entre des syndicats « modernes » et des syndicats « archaïques » est partagée par Caroline Roux, éditorialiste politique d’Europe 1
Christophe Barbier débute quant à lui son éditorial vidéo du 8 mars d’un tonitruant : « Vous voulez voir le mal français ? Le mal français c’est ceci ! », et de désigner en fond l’image d’un syndicaliste devant un car de CRS : « un dialogue social stérile qui amène à l’affrontement ».
« À qui la faute ? » s’interroge Barbier. Le suspense est à son comble… « Au bout du compte, quand même, la faute en revient aux syndicalistes qui ne tiennent pas leurs troupes, et qui choisissent la violence. »
Dominique Seux « scandalisé », va plus loin dans la caricature, sur France Inter le 1er mars : « Ce sont ne pas des tags ce sont des vitrines cassées, ce sont des explosifs déposés, ce sont des locaux dévastés, bon c’est quand même un signal absolument incroyable. » Des explosifs déposés ? Le terrorisme d’ultragauche n’est plus très loin… (...)
Le dialogue social, dont certains journalistes s’autoproclament les juges, est ainsi fait : lorsque le MEDEF dicte plusieurs des exigences qu’il défend de longue date dans un accord signé par trois syndicats minoritaires, il s’agit d’une avancée historique de la démocratie sociale. Lorsque des syndicalistes se mobilisent contre des plans sociaux qui se multiplient, en causant ou non des violences matérielles, ils sont non seulement désignés comme archaïques, mais renvoyés à des caricatures de casseurs ou de délinquants en puissance, « belliqueux », « violents », « irresponsables »… (...)
À ces violences s’ajoutent la morgue et le mépris de l’establishment médiatique – une violence, elle aussi, trop rarement dénoncée. (...)