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Violences policières : France 2 et BFMTV, zélées auxiliaires de la préfecture
/ Samuel Gontier
Article mis en ligne le 10 janvier 2020

Qu’elles s’exercent contre les manifestants opposés à la réforme des retraites ou contre un coursier mort à la suite d’un contrôle routier, les violences policières sont légitimées ou édulcorées par le JT de France 2 et par BFMTV. Etonnamment, dans l’affaire du décès de Cédric Chouviat, c’est TF1 qui présente la version la plus équilibrée.

« On revient sur la mobilisation hier contre la réforme des retraites et sur les incidents assez sérieux en fin de cortège à Paris, propose la présentatrice de BFMTV vendredi matin. Seize blessés parmi les forces de l’ordre, vingt du côté des manifestants. » Presque un match nul. « C’est la première fois depuis le début du mouvement que la question de la violence s’invite comme ça dans le débat. » Elle « s’invite » toute seule, vraiment ? Quant à la « première fois », on voit que le présentateur de BFMTV n’était pas dans le cortège du 5 décembre dernier, resté bloqué près de trois heures boulevard Magenta pendant que les forces de l’ordre nassaient la place de la République et l’inondaient de gaz, au point que l’impressionnant nuage de lacrymogènes atteignait deux fois la taille des immeubles. (...)

« … Ce qui a pu créer de la violence de la part des manifestants et de la violence légitime de la part des forces de l’ordre puisqu’elle est encadrée légalement. » Légitimes, les coups de matraque et le coup de pied (filmés par Marcel Aiphan) infligées à une paisible manifestante qui cherchait à ramasser son téléphone et qui a fini à l’hôpital ? Pour les dévoués propagandistes de BFMTV, toute violence policière est donc « légitime ».

Selon Raphaël Maillochon, la survenue de violences est due à la configuration du parcours de la manif. Au lieu de larges avenues et de vastes places, « hier, nous sommes passés dans des petites rues ». Pour le reporter, la rue de Chateaudun est une « petite rue », la place Saint-Augustin une mini-placette. « … Avec des policiers de la BRAV que j’ai suivis et qui étaient de chaque côté du trottoir avec les manifestants au milieu. » Le meilleur moyen de créer un climat serein et apaisé, l’extrême violence de ces unités de la Brigade de répression des actions violentes (récente résurrection des « voltigeurs ») ayant été maintes fois documentée, notamment par une enquête de Libération revenant sur leurs méfaits le 5 décembre dernier. (...)

« J’ai pu voir des actions des forces de l’ordre qui peuvent paraître beaucoup plus violentes à l’image. » C’est juste une question d’image, dans la réalité, leurs actions étaient très câlines. « Mais ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il y a un contexte. Hier, j’ai vu énormément de pavés voler dans le ciel parisien, atterrir sur les forces de l’ordre. Dans la compagnie que j’ai suivie, il y a eu seize blessés, des personnes qui se sont pris des pavés. » Mais alors, pourquoi ce tir de LBD à bout portant (filmé par Laurent Bigot et Hugo Murail) alors que les policiers ne subissent aucune agression, aucun jet de pavé ? Deux solutions : soit Raphaël Maillochon ment délibérément, soit son regard est altéré par le choix de se placer du côté policier, sans contrepoint.

« A chaque fois, ils allaient au contact des manifestants avec leurs matraques », insiste le reporter avant de conclure : « Ce sont les ordres données par l’état-major à la direction de l’ordre publique et de la circulation et le préfet de police. » Des ordres forcément légitimes, qu’il serait criminel de remettre en cause. Au passage, merci et bravo aux reporters indépendants (et à leur collectif Reporters en colère) qui mettent leur sécurité en danger pour documenter ce que BFMTV ne montre jamais. Ce 9 janvier, certains ont eux-mêmes subi les violences policières (comme sur cette vidéo de Marcel Aiphan) et deux ont fini au poste, dont le célèbre Remy Buisine, de Brut… Hier soir, Laurent Bigot écrivait : « Je suis sur le mouvement des Gilets jaunes depuis un an, j’en ai vu, filmé et subi des violences policières mais là ça dépassait l’entendement. Arrivé place Saint-Augustin, je me suis assis et j’ai pleuré. C’est au-delà de la colère. » (...)

Dimanche dernier, on apprenait la mort de Cédric Chouviat, coursier à scooter décédé après un contrôle routier le vendredi précédent à Paris. BFMTV publie alors sur son site un article qui reprend en tous points la version policière, sans jamais la remettre en cause ni même employer le conditionnel. (...)

On y apprend dès le « chapô » que « l’homme avait été interpellé alors qu’il téléphonait au volant (sic) de son scooter ». L’information est répétée dès la première phrase de l’article, « les forces de l’ordre arrêtent un homme qui téléphonait alors qu’il conduisait son scooter ». La phrase suivante indique que l’article est bâti à partir de « sources policières ». Selon lesquelles toute la faute repose sur Cédric, « irrespectueux et violent ». Après quoi, sans aucun lien de cause à effet, « les forces de l’ordre remarquent que le visage du pilote du scooter est bleu ». Sans doute un schtroumpf déguisé en livreur.

Mardi matin, les avocats de la victime (Arié Alimi et William Bourdon) et sa famille tiennent une conférence de presse dans les locaux de la Ligue des droits de l’Homme. Grâce à un appel à témoins, ils présentent des témoignages et des vidéos accablants pour les policiers. Cédric Chouviat n’a nullement été « violent », comme le prétend BFMTV. C’est parce qu’il filme les policiers que ces derniers deviennent, eux, particulièrement violents. Ils le projettent au sol au moyen d’une clé d’étranglement puis effectuent un placage ventral en se mettant à quatre sur son dos, sans lui avoir retiré son casque. L’interpellé s’agite désespérément jusqu’à s’immobiliser totalement, inconscient. (...)

Les témoignages bouleversants de dignité et de courage du père, de l’épouse et d’une fille de la victime (voir ici l’intégralité de la conférence de presse captée par David Dufresne) attestent que Cédric ne pouvait avoir son téléphone à l’oreille en conduisant. En tant que coursier professionnel, il est équipé d’un casque « à 600 euros » muni d’un micro et d’un écouteur, un système qui décroche automatiquement le téléphone placé sur son torse. D’ailleurs, la première version qui leur est donnée quand ils viennent se renseigner au commissariat du 7e arrondissement est celle d’une interpellation pour une plaque minéralogique poussiéreuse, illisible… Pour ajouter à leur angoisse, les policiers ne leur disent qu’au bout d’environ six heures, sous la pression de son épouse, que Cédric est hospitalisé. Entretemps, ils ont appelé les urgences de tous les hôpitaux… en vain, puisque que Cédric était en réanimation. (...)

L’article de BFMTV paru le dimanche est donc totalement mensonger. Les « sources policières » n’ont jamais été vérifiées, alors même que la chaîne diffuse en ce moment un spot d’autopromotion dans lequel elle s’enorgueillit de « vérifier l’information ». Comme d’habitude, BFMTV fait le contraire de ce qu’elle prétend et bafoue l’éthique journalistique. Le mardi, heureusement, la chaîne relaie honnêtement les déclarations des avocats et de la famille puis les résultats de l’autopsie tombés dans l’après-midi, et fait témoigner le père et l’épouse de Cédric. Mais le fallacieux article initial, malgré mon signalement, reste en ligne jusqu’à ce jour (10 janvier). Une véritable insulte à la mémoire de la victime et à la douleur de la famille. (...)

Le sommet de l’ignominie — et le journalisme de préfecture le plus zélé — est atteint par le 20 heures de France 2 le mardi soir. Anne-Sophie Lapix annonce en titre : « Interpellé parce qu’il téléphonait en conduisant son scooter, un homme de 42 ans est mort dimanche à Paris. » La version policière reste de mise malgré les éléments contradictoires. Et la présentatrice de rappeler en développant : « Il avait été interpellé alors qu’il téléphonait en conduisant… » Je vais finir par croire que l’utilisation d’un téléphone pendant que l’on conduit est passible de la peine de mort. Par contraste, le sujet de TF1 est un modèle d’équilibre et de prudence. « Les raisons de son arrestation sont floues », indique le reporter.

(...)

« Une fracture du larynx, c’est traumatique, c’est pas spontané. On n’a pas de fracture du larynx comme ça. C’est un choc violent [le placage ventral avec le casque, ndr] ou une strangulation [la clé d’étranglement, ndr] qui peuvent provoquer cette fracture, mais de manière relativement violente. » La piste de la cacahuète avalée de travers est donc démentie par TF1. (...)

Ce mardi soir, pour bénéficier d’une information honnête, il valait mieux regarder la chaîne de Bouygues plutôt que celle du service public.