
Résister… C’est survivre à la douleur de l’absence, à l’attraction fatale du vide. Il m’est arrivé, le 13 novembre 2015, une chose totalement vide de sens. La mort de mon fils de 23 ans, Hugo, tué parce qu’il assistait à un concert au Bataclan. Je suis un chercheur. J’ai été formé à essayer de trouver du sens en chaque chose, et c’est ce que je tente d’enseigner à mes étudiants. Mais pour la première fois de ma vie, je fais face au néant.
Mon fils a été tué par des jeunes Français du même âge que lui. Jusqu’ici je suivais cela avec distance : la radicalisation, les départs pour la Syrie des jeunes de Lunel ou d’ailleurs… En tant que citoyen de la République française, qu’on veuille mourir pour un idéal religieux, en France, en 2015, n’était pas concevable pour moi. Mais c’est arrivé. Et ceci tourne dans ma tête depuis le 14 novembre 2015. (...)
Pour continuer à faire vivre Hugo, ses espoirs et ses rêves, mais aussi pour me reconstruire, il me fallait essayer de créer du sens là où il n’y en avait plus.
Résister, c’est combattre. Pas avec une kalachnikov. Mais avec les seules armes que je possède, celles que mes parents et l’école de la République m’ont transmises : la connaissance et la culture. Les seules armes efficaces à mes yeux pour lutter contre l’obscurantisme.
C’est comme ça que m’est venue l’idée. Une idée liée à Hugo, à ce qu’il a été, croisée avec ma trajectoire de chercheur. C’est aussi une histoire de femmes et d’hommes qui m’ont tendu la main.
Dans ma carrière, j’ai fait de nombreux déplacements au Japon. J’ai souvent emmené Hugo avec moi, depuis ses 16 ans. Cela avait changé sa façon de voir le monde, de se confronter aux autres. Il projetait d’ailleurs d’y faire sa thèse de doctorat. La dernière fois que je l’ai vu, il revenait d’un séjour à Tokyo. Et s’y était fait tatouer sur le torse les deux idéogrammes qui forment le mot « Jiyuu » : « liberté ».
C’est ainsi que j’ai décidé de créer une bourse, pour permettre à un étudiant de l’université d’Hugo de partir en stage au Japon. (...)
Mais résister, c’est aussi affronter le monde tel qu’il est. On me demande souvent si j’éprouve de la haine. Non, je n’ai pas de haine, car c’est une énergie négative. Rien ne se construit sur la haine et cela n’aidera pas les proches d’Hugo à avancer.
En revanche, j’éprouve bien de la colère et de la frustration devant les questions sans réponse. Que s’est-il passé pour que ces jeunes Français, élevés dans un pays en paix et démocratique, pas en Irak ou en Syrie, en viennent finalement à tuer mon fils et autant d’innocents ? Comment la France a pu échouer à donner de l’espoir à autant de jeunes ? Pourquoi avons-nous toléré que des messages de haine et de chaos puissent circuler et toucher les esprits les plus fragiles ? (...)
Par mon parcours, par ma vie, je n’ai pas eu l’opportunité ou la volonté de croiser ces jeunes-là. Et je veux les entendre, me confronter à leur réalité, leurs doutes et leur espérance. Les écouter, débattre et ne pas être forcément d’accord avec eux. Comme dit, dans la légende, le colibri essayant de jeter quelques gouttes d’eau sur un incendie de forêt, « ce sera ma part à moi ».