
Pierre Péan est mort jeudi dernier. Le traitement médiatique de son décès en dit long sur ce que de nombreuses personnes appellent « un malaise bien français ».
Si Pierre Péan était connu de part sa profession de journaliste, il l’était également au sein des cercles de chercheurs et militants de la mémoire pour avoir écrit que « la culture du mensonge et de la dissimulation domine toutes les autres chez les tutsi » au sein de l’ouvrage raciste et négationniste : « Noirs fureurs, blancs menteurs ». (...)
Il aimait également se précipiter à la barre, au chevet des génocidaires, lorsque ceux-ci étaient inquiétés par la justice. Il essayait de prouver que les accusations portées à leur encontre relevaient du complot. Il utilisait chaque plateforme pour donner de la puissance et de la résonance au discours négationniste pensé par les cerveaux du génocide.
Ainsi, lors du procès en appel du génocidaire Pascal Simbikangwa le 7 novembre 2016, Pierre Péan détaillera la théorie négationniste du renversement des responsabilités qui vise a faire croire que les tutsi avaient sciemment provoqué leur propre perte. Il clamera dans une allocution tremblante, confuse, dégoûtante, que le point de départ du génocide était « une agression venant d’Ouganda » puis que les « militaires ougandais » avaient « instigué la violence ». (...)
Enfin, il ira jusqu’à dire qu’à partir du 6 avril 1994, il ne s’agissait que d’un « massacre de plus haute intensité » afin d’écarter ce qui fait le crime de génocide : la préparation, la planification.
Il n’y a jamais eu d’ambiguïté concernant le positionnement négationniste de Pierre Péan : il s’agissait de son obsession, son combat.
Ce dernier défendait qu’un maximum de 200 000 tutsi avaient péri au Rwanda en 1994 contre 10 fois plus de victimes hutu dans la région de l’Afrique des grands lacs. Une argumentation largement utilisée par ses amis négationnistes Hubert Védrine, Filip Reyntjens, Charles Onana & Patrick Mbeko entre autres (l’internationale du négationnisme comporte de nombreux pseudos intellectuels, journalistes et militants).
C’est donc ce monsieur, et à travers lui cette idéologie qui est bruyamment acclamée au sein de nombreux et divers médias français depuis 5 jours.
Imaginez un grand journaliste français au chevet des nazis, qui serait acclamé en 2019. (...)
En tant que descendante de victimes du génocide contre les tutsi et militante de la mémoire, je m’attends toujours plus ou moins au négationnisme et aux imprécisions blessantes concernant notre histoire au sein de la presse et des médias français. Cette année par exemple, alors que nous commémorions les 25 ans du génocide, nous avons subi l’omniprésence d’Hubert Védrine, pleurant de plateau en plateau car sa voix et son idéologie seraient « inaudibles ». Nous avons subi une violente logorrhée de la part de Vincent Hervouët sur Europe 1, le lundi 8 avril soit le lendemain de notre journée officielle de recueillement ! Il s’indignait alors du fait qu’ « aucune commémoration pour les hutu » n’était prévue. Rien que cela. Le 12 avril, nous avons subi l’immonde caricature de Sergueï, dessinateur négationniste récidiviste pour le journal le monde. Le 18 mai, nous avons subi les propos ahurissant du journaliste Jean-Pierre Elkabbach, qui demandait avec aplomb à Raphaël Glucksmann : « En 90, Paul Kagamé armé par les américains, venu d’Ouganda a-t-il oui ou non provoqué les massacres lui-même ? »
Le tout dans une relative indifférence de la part des non rwandais.
Nous subissons bien sûr l’existence même de l’hebdomadaire « Marianne », qui a offert une dernière tribune négationniste à Pierre Péan il y a peu, puis à Judi Rever et à tant d’autres car il s’agit de la ligne éditoriale du magazine.
Globalement, la négation et les révisions outrancières de l’histoire du génocide contre les tutsi sont plus ou moins tolérées, et pas ou peu sanctionnées.
Le traitement médiatique du décès de Pierre Péan est parvenu à illustrer cela, avec force et violence. La presse mainstream a pleuré son modèle d’une même voix. (...)
Chers journalistes, concernant un crime contre l’humanité, vous ne pouvez pas en appeler à la liberté d’expression, ni à l’imperfection des hommes, ni à l’ignorance ou au droit à l’oubli. La réalité c’est que notre histoire, la vérité factuelle, mais aussi nos vies et nos deuils sont moins importants pour vous que vos totems. Vos « grandes figures ». Malgré plus d’un millions de victimes.
Si l’on doit juger une profession par les personnalités qu’elle porte aux nues, j’exprime de forts doutes quand à l’existence même d’un sens de l’éthique, de la responsabilité et de l’honneur chez certains professionnels des médias.
Le fait de ne pas respecter à ce point l’histoire, surtout lorsque celle-ci concerne le monde entier, c’est donner raison aux idéologues de la division et de la mort. Après cela, tout les « ça suffit » et « plus jamais ça » de circonstances perdent tout sens, car si le génocide contre les tutsi n’est pas important, aucun ne l’est. (...)
Pour terminer je souhaite rappeler que nous évoluons dans un système démocratique au sein duquel nous sommes encore nombreuses et nombreux à espérer voir la presse tenir un rôle de contre pouvoir. (...)