Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Vote contre l’extrême droite, campagne de Yannick Jadot, recomposition de la gauche, émotions et radicalité en politique... Sandrine Rousseau, membre d’EELV, est l’invitée des Grands entretiens de Reporterre.
Article mis en ligne le 18 avril 2022
dernière modification le 17 avril 2022

Femme politique écologiste, membre du parti Europe Écologie-Les Verts (EELV), Sandrine Rousseau a été en deuxième position lors de la primaire écologiste fin septembre 2021

(...) Sandrine Rousseau — Pendant tout son mandat, Emmanuel Macron a cherché à faire monter et à banaliser les idées d’extrême droite. Il l’a fait de mille et une manières, en invitant les personnes à sa table, en faisant des lois comme la loi Séparatisme, en évacuant des camps [de migrants] comme à Calais. Et puis, il a eu une forme de connivence, de convivialité avec des gens comme [Philippe] de Villiers ou Éric Zemmour. Quand on joue avec les allumettes, il se peut que la maison prenne feu. On est dans cette situation.

Ce duel aurait-il pu être évité ?

Oui, si Macron avait fait ce qu’il a dit qu’il ferait en 2017, c’est-à-dire donner des gages à la gauche. Aujourd’hui, c’est de sa responsabilité d’aller chercher un électorat de gauche et écologiste qu’il n’a cessé d’humilier pendant cinq années. Sinon il ne passera pas [au second tour].

Moi, je voterai Macron, il n’y a pas de doute. Mais c’est de l’humiliation de dire à quelqu’un qui est chômeur : « Vous allez devoir traverser la rue ou alors on diminuera vos allocations chômage ; parce qu’avec trop d’argent vous restez sur votre divan affalé à regarder la télé. » C’est du non-respect. C’est ce qui a été fait aux Gilets jaunes. Et puis avec cette loi Climat absolument incroyable...

Il faut qu’il descende de son piédestal, qu’il regarde cet électorat comme un électorat qui revendique des choses et qu’il lui donne des signes.

Ce n’est pas seulement une question de personne. Que représente-t-il, en fait ?

Une politique ultralibérale des années 1980. C’est cela qui est fou ! L’histoire du RSA avec les 15 ou 20 heures par semaine de travaux dus à la collectivité, cela avait été mis en place en Allemagne avant Angela Merkel !

C’est comme si l’on avait quarante ans de retard sur une politique néolibérale, dont on a vu dans tous les autres pays qu’elle faisait nettement progresser la pauvreté et les inégalités, et qu’elle mettait les gens les plus vulnérables sous pression permanente.

N’est-il pas dans la continuité d’une droite française très brutale ?

Oui, mais en 2017 il n’a pas été élu par les électeurs et électrices de droite. Nombre d’électeurs et électrices de gauche et écologistes lui ont donné leurs voix. Et il n’a eu de cesse de les ignorer, humilier et marginaliser. (...)

Vous pensez qu’il y a un risque que M. Macron ne soit pas élu ?

Oui.

Que serait une France qui aurait porté Mme Le Pen à la présidence de la République ?

La candidature de Zemmour a été portée avec une violence inouïe, avec des mots, des propos, un racisme et un sexisme complètement décomplexés. Cela a finalement recentré Marine Le Pen sur quelque chose de plus « acceptable ». Il y a une responsabilité lourde là-dedans. Je me demande même dans quelle mesure ce n’était pas une stratégie définie.

En concertation entre Marine Le Pen et Éric Zemmour ?

Cela se pourrait. On voit Marine Le Pen comme un personnage finalement « plus fréquentable » qu’Éric Zemmour. Et puis, elle a eu toute une stratégie avec ses chats pour montrer qu’elle était une femme comme une autre.

Mais ce que je dis aux électeurs et électrices qui nous écoutent, c’est que tous les réseaux sur lesquels elle s’appuie et s’appuiera pour mener sa politique sont d’extrême droite.

Si Marine Le Pen arrive au pouvoir, il y aura donc des préfets d’extrême droite, des fonctionnaires d’extrême droite, le président de l’audiovisuel d’extrême droite, les responsables des grandes juridictions d’extrême droite. Et cela changera complètement la donne. Toute la pratique de l’État se modifiera et sera empreinte d’extrême droite. Je dis aux électeurs et électrices : « Attention ! Une fois que toutes ces personnes seraient installées, elles resteraient durablement. » Une fois que vous mettez l’extrême droite au pouvoir, vous ne savez pas si elle repartira.

Donc, il ne s’agit pas de donner un coup de pied dans la fourmilière, mais de ne pas donner à la France un avenir marqué par cette extrême droite. Aucune voix ne doit aller là-bas.

Mais je dis aussi à Emmanuel Macron : « Vous avez une responsabilité historique. La balle est dans votre camp. C’est à vous de le faire, pas à nous. Vous ne pouvez pas faire porter la responsabilité à nous, leadeurs et leadeuses de gauche. C’est vous qui avez choisi ce terrain-là. Et pour cela, il va falloir influencer votre programme. » (...)

L’extrême droite a-t-elle gagné la bataille des idées face à l’écologie ?

Elle a gagné la bataille des idées pour l’instant, temporairement, dans le petit monde politique. Elle n’a pas gagné la bataille des idées dans la population dans son ensemble. (...)

On est dans un moment de bifurcation. D’un côté, on s’accroche à un modèle existant de toutes ses forces de manières les plus irrationnelle et passionnelle qui soient : ça, c’est l’extrême droite, c’est-à-dire un conservatisme. Et l’autre branche de la bifurcation dans laquelle nous sommes, c’est de prendre un modèle social écologique, solidaire et égalitaire radicalement différent de celui que nous avons.

Je crois que la gauche et l’écologie ne l’ont pas assez dit. C’est comme si l’on se disait qu’on allait poursuivre le modèle, en l’améliorant. Je crois que tout le monde sent confusément qu’on arrive au bout de quelque chose. (...)

La radicalité a ceci d’inquiétant, on ne sait pas ce qui va déboucher derrière. Mais il faut porter dans le débat politique une radicalité protectrice : une radicalité qui protège les personnes et qui mette comme socle de cette radicalité l’égalité. À partir de là, on peut y aller tous ensemble. C’est très enthousiasmant ! Mais on n’arrive pas à le porter dans le débat politique parce qu’on reste trop colonisé par les discours de celles et ceux qui s’opposent à nous. (...)

Je me suis fait virer de la présidence du conseil politique de Yannick Jadot. Je n’étais pas d’accord avec la stratégie. Après, il faut comprendre que la radicalité paye, et on le voit dans ce premier tour de la présidentielle, puisque Jean-Luc Mélenchon est à 20 % [21,95 % précisément]. Il n’a pas fait mystère de sa radicalité. (...)

Et, autre bilan de ce premier tour, les peuples de gauche et de l’écologie sont unitaires. C’est-à-dire que quand il y a un candidat qui se dégage, tous et toutes vont vers lui. Les partis politiques qui ont essayé de sauver leur boutique plutôt que d’aller vers l’unité, ils ont aussi une responsabilité, puisque l’union de la gauche était très attendue dans la population. Nous n’avons pas été au rendez-vous de l‘histoire.

Et quand je dis « on », je m’inclus dedans. Je pense avoir été la seule à prôner l’union du début jusqu’à la fin. Et je pense d’ailleurs que cela m’a coûté la primaire écologiste. (...)

Je me dis aussi que nous n’avons pas fait les bons choix. Mais surtout, au-delà des bons choix, quelque chose s’est imposé dans cette campagne écologiste, une forme d’autoritarisme. Alain Coulombel a été viré du rôle de porte-parole, j’ai été viré du conseil politique, des personnes qui ont dit qu’elles voteraient Mélenchon ont été virées. Ce n’est pas ce qu’on attend des écologistes. On attend d’eux une forme de bienveillance. Et aussi de diversité, c’est-à-dire qu’on peut aller dans le même sens tout en ayant des opinions différentes. Cette diversité, ce pluralisme, il va falloir qu’on le retrouve, personne n’a envie d’une écologie autoritaire. (...)

J’ai reçu des tombereaux d’insultes. Mais on ne peut pas être écologiste si l’on a peur ! On peut l’être, si l’on a peur de ce qui va arriver par le changement climatique ou la perte de la biodiversité. Mais pas si l’on a peur des contre-pouvoirs ou des pouvoirs organisés en face. (...)

Alice Coffin [alors membre de sa campagne] m’avait dit cela pendant la primaire, à un moment où je me prenais une violence inouïe : « Toutes les journées supplémentaires où tu tiens, cela permet à d’autres derrière de venir et de s’engager. Et d’autres prendront le relais. » J’ai cette phrase non-stop en tête. « Toute journée supplémentaire où je tiens, cela permet à d’autres de venir. » (...)

C’est ce que j’ai envie de dire aux copains et copines de LFI. Je meurs d’envie de faire avec vous, mais à une condition : on ne dit pas « Vous venez ou rien » (rires).

On trouve une autre voie. Une autre manière de faire. (...)

J’ai envie de dire : « Qu’est-ce que vous préférez, votre SUV ou vos enfants ? » Et si vous n’êtes pas capables de regarder vos enfants en disant « J’ai préféré mon SUV », alors vous avez quelque chose d’écologiste. Venez !