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Les mots sont importants
Vous avez dit « toxique » ?
Réflexions critiques d’un travailleur social par Pascal Seynave
Article mis en ligne le 10 février 2016
dernière modification le 6 février 2016

Les mots sont importants et plus encore dans le champ des interventions des travailleurs sociaux. En effet les mots que l’on va poser sur les usagers et leurs situations vont toujours influer sur leur devenir. De plus ces mots seront donnés à voir et constitueront la façade visible de notre travail, laissant dans l’ombre la réalité de nos efforts et de notre investissement.

Dans ma pratique professionnelle déjà longue de travailleur social et de formateur, qui allie l’action sur « le terrain », la transmission auprès de futurs professionnels en formation et la réflexion sur les actes que je pose quotidiennement avec différents publics aux problématiques diverses, je suis forcément confronté aux discours. Discours de mes pairs, des usagers et de la hiérarchie. Je m’arrêterai ici sur le discours de mes pairs (travailleurs sociaux et médico-sociaux) sur les usagers et leurs situations. Discours entendu au détour de discussions informelles (dans un bureau ou au « café ») ou formelles (en réunion !).

Comment les usagers sont-ils parfois qualifiés ? Et comment leur situation est-elle qualifiée ? Depuis quelque temps déjà il m’arrive d’entendre des termes comme « toxique » ou « ça pue ». Ces deux termes me semblent emblématiques d’un processus de rupture inconsciente à l’œuvre entre le travailleur social ou médico-social et l’usager.

Qualifier un usager de toxique par rapport à son entourage revient en quelque sorte à l’assimiler à une substance mortifère, comme un poison puissant ou un déchet nucléaire. Il s’agit là de dénier à cette personne toute perspective d’évolution, de transformation. Il est aussi évident que cette personne ne possède aucune potentialité, aucune qualité, aucune expérience sur lesquels s’appuyer pour mettre en place le travail pour lequel nous sommes formés.

Qualifier une personne de toxique, c’est aussi lui enlever une part de son humanité, voire la totalité. Notre rôle de travailleur social consiste au contraire à participer à la restauration de la dignité d’être humain. (...)

Une autre expression, « ça pue », employée ici et là pour qualifier une situation, tend à s’insinuer dans nos pratiques langagières. Il ne s’agit pas ici de faire le procès de travailleurs-sociaux et médico-sociaux, mais d’identifier une dérive de langage qui, à mon sens, n’est pas sans conséquences sur la façon dont la situation sera appréhendée. Comment entamer un travail d’évaluation et de compréhension en s’appuyant sur un postulat métaphorique renvoyant, encore une fois, à une certaine toxicité ou infection ? Comment dépasser ensuite les représentations induites par cette expression ?

Le travail d’évaluation est la première étape vers l’émergence d’un accompagnement social. (...)

accompagner signifie entre autre : « marcher à coté de » – ou plus littéralement : « manger le pain avec ». Maintenir une distance est bien sûr nécessaire en travail social, mais celle-ci s’inscrit avant tout dans une dimension de respect de l’usager et de professionnalisme, et non dans un système de préjugés relevant du café du commerce.

De plus cette expression « ça pue » renvoie à un système normatif en termes d’hygiène et de propreté qui peut faire écho aux mouvements dits hygiénistes de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, hantés par la présence ouvrière au sein des villes.

En définitive, même si il s’agit de simples mots, utilisés sans doute sans arrière pensée, il reste qu’ils introduisent (ou réintroduisent) dans le champ du travail social la main de l’idéologie dominante basée sur la peur de l’autre et sur la scission de la société en deux entités : ceux qui en sont et ceux qui n’en sont pas vraiment. En tant que travailleurs sociaux nous ne pouvons cautionner cela (...)