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Vous n’êtes pas chiche Monsieur Macron
Article mis en ligne le 27 mars 2020

Les récents discours d’Emmanuel Macron ont mis en exergue plusieurs propositions qu’il ne serait pas insensé d’analyser en demeurant au pied de la lettre avant, peut-être, de placer son auteur au pied du mur. En somme prendre au mot le Président.

Depuis l’émergence de la notion d’anthropocène dans le champ sémantique de l’écologie politique, il n’y a guère que les naïfs, manifestement mal adaptés au nouvel ordre des choses, pour penser que les tsunamis, les sécheresses, les méga-feux, les inondations et les pandémies relèvent essentiellement des caprices de la nature. Il est avéré aujourd’hui que l’espèce humaine marque durablement son empreinte au cœur du fonctionnement des écosystèmes. (...)

Le Covid-19 est le produit d’un capitalisme brutal, débridé ayant libéré les forces économiques et techniques impitoyables. La déforestation, l’urbanisation, l’industrialisation sont, de fait, responsables de la destruction des habitats sauvages de sorte que des espèces animales non domestiquées viennent désormais chercher refuge dans les territoires conquis et colonisés par l’homme. Certaines d’entre elles lui transmettent ainsi leurs propres virus.[1]

Mais si le Covid-19 est le produit du capitalisme, il est également son plus redoutable adversaire. Créature monstrueuse qui se retourne contre son créateur. Quant à la globalisation économique et financière, elle accélère la diffusion du virus et la pandémie, en retour, ralentit la progression des échanges, interdit la circulation des hommes. Pas loin d’un milliard d’individus confinés aujourd’hui dans le monde !

Invisible et imprévisible, le Covid-19 ne terminera pas sa folle course planétaire, par enchantement, au bout du bout du monde. Présentement, ce n’est que grâce à l’abnégation et au courage de tous les soignants – à qui il aurait fallu octroyer depuis longue date, dans tous les pays, des moyens matériels autrement plus importants que ceux dont ils disposent actuellement – que l’humanité pourra éradiquer la contamination provoquée par la circulation rapide du virus meurtrier.

Outre les peurs, parfois irrationnelles, les souffrances réelles, il laissera dans les mémoires le souvenir d’une crise initialement écologique, prolongée par une crise sanitaire inédite avant, finalement, de prendre l’apparence d’une crise économique lourde de conséquence. Près de vingt-cinq millions d’emplois sont potentiellement menacés dans le monde.

Il y a, dès à présent, d’excellentes raisons de s’interroger sur les suites à donner au fonctionnement de nos sociétés entièrement subordonnées aux impératifs économiques. (...)

Osons dire que le ‘’système’’ qui oriente nos conduites et façonne nos imaginaires est de plus en plus vulnérable. Il est désormais au bord de la rupture. Il ne pourra pas, il ne devra pas renaître de ses cendres. Pour le moins, il conviendra de reconsidérer notre individualisme exacerbé, notre goût prononcé pour une liberté dépolitisée, notre consentement à la passivité, la délégation de notre pouvoir agissant à des représentants politiques souvent infidèles, notre attachement à la rivalité, à la concurrence, à la compétition, à l’avidité, à la cupidité.

Ainsi que le déclare solennellement Emmanuel Macron, au soir du 16 mars dernier : « Le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant. Nous serons plus forts moralement, nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes les conséquences. » Nulle envie de chanter ici les louanges du Président Macron, tant nous connaissons son attachement à l’idéologie néo-libérale, inoculée notamment au cœur de la libéralisation du rail, des lois récentes sur les réformes de l’indemnisation du chômage et de notre système de retraite. Nous n’ignorons pas davantage sa volonté de casser violemment le mouvement social et de diviser les organisations syndicales.

Néanmoins, le discours présidentiel a mis en exergue plusieurs propositions qu’il ne serait pas insensé d’analyser en demeurant au pied de la lettre avant, peut-être, de placer son auteur au pied du mur. Il ne s’agira donc pas de renoncer benoitement à interpréter ce qui a été dit mais bien plutôt de donner scrupuleusement tout leur sens aux principes énoncés. En somme, prendre Emmanuel Macron au mot ! (...)

Alors Monsieur Macron, ainsi que le laissaient apparaître vos plus récents discours, êtes-vous chiche de vous détourner des grands principes fondateurs de votre politique ultra-libérale destructrice du tissu social, en vigueur depuis mai 2017, et cela sans opportunisme ni calcul politicien de nature à rétablir votre cote de popularité ?

Nous sommes aujourd’hui, au cœur du confinement, face à notre destin. Allons-nous maintenir le cap actuel en refusant de franchir l’obstacle de la révolution écologique, pourtant indispensable, et de nous engager pour une renaissance de la démocratie. Or, plus que jamais il est urgent de réexaminer et de redéfinir la place de l’homme sur une planète singulièrement dégradée, un homme capable de produire et vendre des armes de destruction massive, d’élaborer des projets transhumanistes, de ne pas freiner la course folle du progrès technique organisée à l’abri de toute considération morale alors que parallèlement, pour survivre à l’avancée menaçante d’un virus inconnu, il n’a besoin que de soins prodigués par un personnel médical qualifié, généreux et dévoué, mais aussi de masques respiratoires, de gel hydroalcoolique et de savon. Le confinement, dont les premières expériences remontent au moyen-âge, est par ailleurs le meilleur moyen et le plus simple d’arrêter la pandémie. En définitive, les êtres humains, arrogants et dominateurs, ne devront leur salut qu’à des produits de première nécessité, d’une technicité remarquablement ordinaire ainsi qu’à la bienveillance, la sollicitude, l’empathie de leurs semblables. (...)

A un journaliste qui lui posait en 1992 la simple question : Pensez-vous qu’il soit possible de modifier notre mode de vie ? Hans Jonas répondit : « C’est possible mais ce n’est guère probable. Il est beaucoup plus probable, en revanche, que c’est l’angoisse qui s’en chargera. Des symptômes alarmants visibles et tangibles pour tous annoncent que la ruine est toute proche, autrement dit il est beaucoup plus probable que la peur obtienne ce à quoi la raison n’est pas parvenue. » (...)

Alors, Monsieur Macron, que ferez-vous le jour d’après quand nous aurons gagné ? Favoriserez-vous à nouveau le déploiement des forces productrices et destructrices du capitalisme ou vous laisserez-vous emporter par la force de la peur, ainsi que le suggère Hans Jonas, afin d’amorcer la rupture que vous avez annoncée publiquement ?

L’entraide , la fraternité et la sororité plutôt que l’individualisme et la rivalité, la relocalisation des productions plutôt que le libre-échange généralisé, la redistribution financière auprès de tous les ménages plutôt que l’attribution de privilèges fiscaux à une minorité fortunée, des services publics de qualité plutôt que des prestations privées inégalitaires, une écologie politique et sociale bienfaitrice plutôt qu’une économie punitive, le suffisant préféré au superflu, la modération plutôt que la démesure, un Etat protecteur, bienveillant plutôt qu’une concurrence sauvage , libre et non faussée, l’horizontalité du pouvoir de décision plutôt que sa verticalité rigide…Monsieur Macron êtes-vous chiche ?