
La jeune réalisatrice du documentaire « Pour Sama » a vécu la descente aux enfers de la population d’Alep de 2011 à 2016, dont elle témoigne à travers l’histoire de sa maternité.
Pour des raisons de sécurité, Waad al-Kateab ne peut nous en dire trop sur sa famille. Tout juste saurons-nous que cette femme de 28 ans, au visage juvénile, naît en 1991 en Syrie, et qu’elle déménage à Alep en 2009 pour suivre des études d’économie. Deux ans plus tard, son pays s’embrase. Dans la foulée des printemps arabes, les manifestations pro-démocratie s’étendent progressivement à travers tout le pays. (...)
La révolution syrienne atteint rapidement Alep, principale ville du nord-ouest syrien, bien que les rassemblements n’y soient pas aussi massifs que dans d’autres villes. Comme ailleurs, la contestation est brutalement réprimée. C’est à ce moment-là que Waad rencontre Hamza, étudiant en médecine. Actifs tous les deux dans la révolution, ils deviennent amis. Le 26 septembre 2014, ils se marieront, puis auront deux enfants ensemble. (...)
« La première année, c’était comme un rêve. Lors de la première manifestation à l’université, il y avait environ vingt personnes, puis ça a grossi, et à la fin nous étions des milliers, comme on le voit dans le film. Pour nous c’était le seul moyen de changer notre vie. Au début de la révolution, nous avons pensé que les pays occidentaux, qui parlent de liberté et de démocratie, nous soutiendraient. Nous pensions que le monde ne laisserait pas quelqu’un tuer son propre peuple, nous étions très optimistes », explique la réalisatrice.
Waad commence à filmer en permanence. Elle devient l’une de ces nombreuses « journalistes-citoyennes » ou « journalistes activistes », ouvertement engagées dans la révolution, qui documentent les manifestations afin d’informer le monde entier de ce qui se passe en Syrie. Comme les révolutionnaires font face à une répression extrêmement brutale du régime, il s’agit aussi de montrer cette violence et d’inciter les pays occidentaux à agir. (...)
Entre 2012 et 2015, le régime syrien lance plusieurs offensives contre Alep, et de violents combats vont l’opposer aux rebelles. Dans le cadre d’une stratégie mise en œuvre à l’échelle du pays, l’armée syrienne bombarde délibérément les civils, notamment à l’aide de « bombes-barils », particulièrement imprécises. La population vit également sous la menace des djihadistes, qui montent progressivement en puissance, en particulier le groupe État islamique. Waad continue de filmer. (...)
Le 30 septembre 2015, la Russie intervient militairement en Syrie. Vladimir Poutine assure qu’il souhaite combattre Daech. En réalité, son objectif prioritaire consiste à soutenir le régime de Bachar el-Assad. (...)
En décembre 2016, après plusieurs mois de siège et d’offensive, le régime syrien, la Russie et leurs alliés prennent le contrôle d’Alep-Est. L’offensive finale est marquée encore une fois par des crimes de guerre : ciblage volontaire d’infrastructure civiles, notamment médicales ; utilisation d’armes prohibées, avec des bombes incendiaires, à sous-munitions et du gaz chloré. Des centaines de civils meurent et des milliers sont blessés ; ils affluent dans l’hôpital de Hamza. Plusieurs semaines plus tard, Waad, Hamza et leurs enfants quitteront Alep. Puis la Syrie. Ils vivent à présent à Londres. La réalisatrice tient à rappeler que les mêmes crimes se perpétuent aujourd’hui à Idleb, région principalement contrôlée par les djihadistes d’Hayat Tahrir al-Cham, où vivent trois millions de déplacés. (...)