
Les documents militaires américains dévoilés par Wikileaks en juillet 2010 - dont on peut lire les meilleurs extraits dans ce livre – sont précieux. Précieux, parce qu’ils éclairent, précisent et confortent ce que l’on soupçonnait : l’Afghanistan est un bourbier. Une guerre sans issue, si ce n’est celle de la sortie. Mieux vaut tenter de savoir pourquoi. (...)
De quoi s’agit-il ? D’une sélection d’environ 300 rapports de plus de rapports de situation (sitreps pour situation reports) - sur les 90.000 dévoilés - rédigés au fil des jours par des officiers d’états-majors. Ce sont des comptes-rendus à usage interne, une sorte de « fil d’agence » comme l’AFP en fournit aux journaux. Il s’agit d’informations brutes : la guerre est toujours un vaste désordre et comprendre ce qu’il se passe précisément sur le terrain demande parfois plusieurs heures, voire plusieurs jours de « debriefing ». Il faut faire remonter toutes les informations, parfois contradictoires et presque toujours incomplètes. Ce travail de synthèse ne s’opère qu’à froid et livre, au final, une version des faits la plus proche de la réalité. Une version dont on peut tirer de véritables enseignements. (...)
La lecture des documents ne change pas radicalement ce que l’on sait de la guerre. Le tableau d’ensemble est connu et Wikileaks ne vient pas en modifier les grandes lignes. Ils fournissent toutefois une quantité de détails qui rendent ce tableau plus vrai, plus précis… et plus sombre. (...)
Ces mises en ligne posent d’évidentes questions sur la protection des données confidentielles des Etats-Unis. Elles sont un symptôme : celui de l’affaiblissement de la puissance américaine qu’elles contribuent d’ailleurs à accélérer. Il y a quelques choses de pitoyables à voir les principaux responsables de l’administration Obama prendre leur téléphone pour tenter de rassurer leurs interlocuteurs, alliés ou non. (...)
La démocratie et la liberté y gagnent-elles ? La question n’est pas simple. Le droit d’être informé de la chose publique est l’une des principes essentiels du fonctionnement régulier d’un régime démocratique. Les militaires engagés en Afghanistan le sont au nom des citoyens des pays qui les y envoient et les citoyens de ces même pays ont le droit de savoir ce qu’ils y font. De tels principes ne se discutent pas. Sauf que… nous vivons dans le monde réel.(...)
La partie qui se joue n’oppose pas uniquement, d’une part, les gouvernements d’Etats démocratiques qui voudraient cacher les informations à leurs citoyens et, de l’autre, des investigateurs comme ceux de Wikileaks, chevaliers blancs de la liberté de l’information. Il y a un troisième larron : les « méchants », les bad guys, c’est-à-dire les gens qui cherchent à commettre de vrais attentats, à prendre de vais otages ou, dans un autre domaine, à se doter de vraies armes de destruction massive.(...)
Prenons garde toutefois à la lecture de ces documents : elle peut comporter une part d’illusion. Celle que LA vérité nous serait intentionnellement cachée, à nous, simples citoyens ou experts de ces choses, et que la révélation de secrets mal gardés nous permettrait soudain, comme par miracle, de comprendre enfin ce qu’il se passe à cinq mille kilomètres de nos frontières. Or, tous les historiens familiers des archives le savent : un document ne vaut que replacé dans son contexte. Ecrire l’histoire, même celle du quotidien, exige de comprendre la nature de que l’on a entre les mains.(...)
pour la première fois, les moyens de comprendre cette guerre de l’intérieur sont mis à la disposition du lecteur francophone. Une guerre qui, rappelons-le, a déjà couté le vie à 53 soldats français. (...)

La traduction/adaptation des textes sélectionnés plonge le lecteur dans le « bourbier » afghan : puisse-t-elle nous aider à en sortir. "(...)
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