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William Acker : « Aucun voyageur n’a envie de vivre dans un espace pollué »
Article mis en ligne le 15 avril 2021
dernière modification le 14 avril 2021

Depuis 2019, William Acker diffuse via Twitter des informations sur les aires d’accueil destinées aux personnes catégorisées « gens du voyage », en exposant notamment les pollutions auxquelles elles sont soumises. Cet intense travail de recensement a été développé dans un livre, Où sont les gens du voyage ? – Inventaire critique des aires d’accueil, à paraître le 16 avril aux Éditions du commun. S’appuyant sur son expérience familiale et une longue enquête de terrain, l’auteur y décrit le contexte dans lequel s’inscrit cette politique d’« accueil » et les discriminations systémiques dont elle témoigne. Entretien.

Pourquoi as-tu entrepris ce recensement des aires d’accueil et des nuisances auxquelles elles sont exposées ?

« Le point de départ, c’est le travail de l’anthropologue Lise Foisneau, qui a étudié la question des inégalités environnementales sur les aires d’accueil. Elle a notamment travaillé sur celle de Saint-Menet, à Marseille, située juste derrière un site Seveso, l’usine Arkema. Ses écrits ont agi comme un déclic, en m’offrant une analyse d’un sujet que je connaissais pourtant personnellement depuis longtemps. (...)

Peu après, à l’occasion d’une réunion avec des officiels, Saïmir Mile, juriste et ancien président de l’association La Voix des Roms, a soulevé le problème de la localisation des aires d’accueil. Il s’est vu répondre qu’il faisait de la démagogie et qu’il ne pouvait rien prouver, faute de chiffres. Effectivement, il y avait très peu de données : il n’existait même pas de recensement complet des aires d’accueil sur le territoire métropolitain. C’est là que je me suis dit qu’il fallait que nous produisions ces chiffres, en plus des luttes collectives menées sur le terrain médiatique ou juridique. »

Ton livre comprend à la fois un inventaire des aires par département et une mise en contexte politique, juridique et historique du sujet. Quel bilan tires-tu de l’étude que tu as réalisée ?

« Je n’ai pas été surpris par les données que j’ai récoltées. Je connais ces lieux, j’ai passé les premières années de ma vie sur le Voyage, ma famille continue à fréquenter les aires. Mais ce travail m’a permis de mieux comprendre le caractère systémique des mécanismes mis en œuvre dans la localisation des aires d’accueil.

Le premier, c’est la mise à l’écart (...)

Les municipalités peuvent, par exemple, retarder au maximum le moment où elles construiront une aire. Pour cela, elles désignent un terrain pourri, qu’elles savent non viable. À la fin de la procédure de désignation, la préfecture refuse le terrain, et on repart sur une nouvelle procédure de deux ou trois ans. Cette stratégie est régulièrement déployée par les collectivités et peut faire traîner un projet sur vingt ans. Cela explique que des projets existant depuis les années 2000 ne soient toujours pas réalisés.

La loi prévoit que la préfecture puisse mettre en demeure les collectivités qui ne remplissent pas leurs obligations, voire se substituer à elles. En réalité, ce pouvoir de substitution n’est jamais mobilisé pour la construction d’aires. Il ne l’est pas non plus pour lutter contre les terrains insalubres. Contrairement aux discours politiques qui suggèrent que les obligations pesant sur les collectivités sont trop lourdes, on constate qu’en réalité le non-respect de ces obligations n’entraîne aucune conséquence.

Quand la collectivité ne peut plus échapper à ses obligations, elle passe alors à une stratégie de mise à l’écart. Cela consiste à trouver le terrain le plus éloigné de toute zone d’habitation. (...)

Cette politique s’appuie notamment sur la loi Besson du 5 juillet 2000. Est-ce que tu peux revenir sur les principes de cette loi, et les problèmes qu’elle pose ?

« Le défaut intrinsèque de la loi Besson, c’est qu’elle prétend mettre en place un équilibre entre les collectivités d’une part, et les “gens du voyage” d’autre part. Mais il ne peut pas y avoir d’équilibre entre une institution publique et un individu, le rapport de force sera toujours en faveur de la première ! (...)

De plus, cette loi instaure un système public d’accueil à destination d’une catégorie particulière de la population, distinct des systèmes publics d’accueil pour les camping-caristes ou pour les autres catégories de personnes en habitat mobile. Ce qui distingue les cibles de ces différents systèmes d’accueil public, in fine, c’est une catégorisation historiquement fondée sur l’appréhension de l’ethnicité. (...)

La conséquence, c’est que les autres systèmes publics d’accueil des habitats mobiles sont interdits aux Voyageurs. (...)

si vous n’êtes pas Voyageur et que vous voulez aller dans un camping, la Fédération française de camping et de caravaning peut vous délivrer une attestation stipulant que vous avez une résidence principale. En clair : que vous n’êtes pas un gitan... On a donc organisé différents systèmes d’accueil public sur la base d’une discrimination ethnique. » (...)

Quel est l’impact de cette politique d’accueil sur le Voyage ?

« Les aires ont créé des schémas artificiels de Voyage. On ne voyage plus en fonction de ses activités professionnelles ou des événements familiaux, mais selon un parcours prédéfini et schématisé par les aires. Les habitudes de Voyage de nombreuses familles ont été bouleversées.

À ces dispositifs entraînant une restriction du Voyage se sont ajoutés des facteurs économiques et sociaux. Le versement de certaines aides sociales a été conditionné à la scolarisation des enfants en présentiel et le prix du carburant a augmenté : conséquence, les familles les plus précaires se sont donc retrouvées bloquées sur les aires d’accueil.

Aujourd’hui, ces aires sont l’anti chambre des terrains familiaux [1]. Après avoir poussé à la sédentarisation des Voyageurs, les pouvoirs publics insistent maintenant sur “l’ancrage” – comme si les personnes présentes sur les aires n’étaient pas ancrées dans leur territoire, quand bien même leurs familles y vivent depuis plusieurs siècles. Le Voyageur est vu comme un éternel étranger. (...)

Le traitement médiatique de cette question tourne essentiellement autour des installations illégales de Voyageurs. Dans quelle mesure participe-t-il au renforcement des stéréotypes qui les visent ?

« Ce traitement est le reflet du positionnement de l’État, qui ne s’intéresse aux Voyageurs que sous l’angle de leur position dans l’espace social et urbain, au détriment des questions mémorielles, scolaires, etc. Dans la mesure où tous les espaces ont été fermés à la présence des Voyageurs, les seuls moments où ils font irruption dans la vie du sédentaire, c’est quand ils sortent de leur espace d’assignation spatiale. Et comme la sortie de l’aire d’accueil les met en situation d’illégalité, le traitement médiatique correspondant leur est appliqué. Tant que le Voyageur reste dans son aire, tout le monde s’en fout, quoi qu’il se passe sur l’aire.

Cette dynamique est renforcée par l’absence de Voyageurs dans les rédactions ou parmi les acteurs des médias. (...)

Enfin, en termes de représentation, les médias donnent généralement la parole à des hommes correspondant au cliché du “patriarche”, puisque les Voyageurs sont appréhendés comme une tribu ou un clan. (...)

Cette représentation très masculine des Voyageurs dans les médias ne reflète d’ailleurs pas la réalité des luttes menées pour leurs droits, qui sont souvent portées par des femmes...

« Les Voyageurs ont fait l’objet d’un traitement très paternaliste depuis la guerre et la parole a souvent été confisquée par des associations et des personnes extérieures. Cela a notamment conduit à invisibiliser les femmes. Aujourd’hui, il y a un décalage entre le nombre de femmes auxquelles on donne la parole et le nombre de femmes en lutte. Ce sont très souvent elles qui en prennent la tête. (...)

La lutte contre les inégalités environnementales peut fédérer largement. La question fait consensus parmi les Voyageurs, personne n’a envie de vivre dans un espace pollué. Derrière, on peut construire des alliances avec des forces écologistes, mais aussi avec des forces féministes qui viendraient appuyer ces luttes menées par des Voyageuses. On peut aussi construire des alliances antiracistes, puisque le système d’accueil est l’une des portes d’entrée pour appréhender la question de l’anti-tsiganisme en France. Il y a un enjeu à mettre en lumière les différents combats menés localement contre les pollutions et à les rassembler en mettant en contact leurs acteurs et actrices. Cela permet de rompre l’isolement et de redonner de la joie, de l’espoir et de la combativité. »