
Le 21 mai 2018, à la veille d’une journée de manifestation intersyndicale dans la fonction publique, et cinq jours avant la mobilisation unitaire (« Marée populaire »), Yves Calvi recevait Danielle Simonnet (France Insoumise) [1] dans « L’info du Vrai » sur Canal+. En plus d’être un cas d’école de mépris du mouvement social, l’émission illustre le naufrage du débat politique au profit du commentariat politicien et personnalisant, et nous offre un énième exemple de l’obstruction des médias dominants dès lors que la moindre critique de leur travail tente d’être portée en leur sein.
Avec Danielle Simonnet, deux autres invités sont présents sur le plateau en leur qualité d’« experts ». Le premier est Jérôme Sainte-Marie, « politologue », « sondeur » et « président de l’institut PollingVox ». Le second, Jean Viard, est présenté par Yves Calvi comme « sociologue, directeur de recherche au CNRS et au Laboratoire Politique de Sciences Po ». Le présentateur omet simplement un léger détail : Jean Viard est également membre d’En Marche, dont il a été le candidat (défait) aux élections législatives dans la cinquième circonscription du Vaucluse. Une donnée de circonstance qui ne sera jamais mentionnée par l’animateur au cours de l’émission, lui préférant l’étiquette de « sociologue » qui apparaîtra à l’écran, comme gage de scientificité, à chacune des interventions de Jean Viard. Ce dernier avouera lui-même à propos d’Emmanuel Macron : « [Je l’ai] personnellement soutenu, donc je ne m’en cache pas. ». Un doux euphémisme pour quelqu’un qui est passé à 560 voix de devenir député de la majorité.
Marée populaire : Yves Calvi mobilisé pour démobiliser
La première partie de l’émission est consacrée à l’ambition formulée par Jean-Luc Mélenchon de construire un « Front Populaire ». Elle débute par un reportage sur les mobilisations passées – et celle alors à venir de la « marée populaire » du 26 mai – sous le seul angle des jeux d’appareils, quitte à en évincer tout contenu politique. Le rôle du leader de la France Insoumise y est souligné avec insistance, jusqu’à personnifier exagérément le mouvement (...)
« Samedi prochain, [Mélenchon] sera personnellement à l’initiative de rassemblements partout en France, baptisés "marées populaires". » Une assertion pour le moins discutable, l’initiative émanant d’ATTAC et de la Fondation Copernic – jamais citées dans le reportage – et non de la France Insoumise, et encore moins de Jean-Luc Mélenchon. La participation de la CGT est quant à elle abordée de la même manière par le journaliste : « Contre toute attente, la CGT a fini par céder aux avances de Jean-Luc Mélenchon. »
Voilà qui donne le ton : un lancement si impressionniste qu’il en est factuellement faux, mais qui inspire à Yves Calvi sa première « question » à Danielle Simonnet : « Front-Populaire, il y va quand même fort, non ? »
La réponse de Danielle Simonnet doit ensuite subir une salve d’interruptions de la part de l’éditocrate/procureur qui manifeste, bien plus qu’une forme de scepticisme, une dévalorisation systématique du mouvement social.
Florilège (...)
Chien de garde invétéré, Yves Calvi nous aura une nouvelle fois offert un bel exemple de la façon dont il conçoit et met en scène le débat politique. Aux commandes de la matinale de RTL et animateur quotidien de « L’info du vrai » sur Canal+ (rediffusée sur CNews), il applique la même recette de jour en jour, alliant dépolitisation et personnalisation du débat politique [2]. Cette émission ne fait pas exception : sur trente-trois minutes, environ quinze (soit près de la moitié) ont été consacrées au style (« excessif ») de Jean-Luc Mélenchon et treize minutes (plus d’un tiers) aux jeux d’appareil et à l’appréciation du « succès » du mouvement social. Restent seulement cinq minutes dédiées au débat politique de fond. (...)
À bien des titres, cette émission est finalement illustrative du sort réservé sur les plateaux aux responsables politiques ou syndicaux prenant parti pour le mouvement social [3]. D’abord, par la forte agressivité de l’animateur, exprimée par des interruptions intempestives et un mépris ostentatoire de la mobilisation, tantôt « ridicule », tantôt « flop terrible » ou insignifiante puisque ne rassemblant « pas foule ». Ensuite, par son comportement de procureur plutôt que d’intervieweur, enchaînant des « questions » péremptoires et des jugements définitifs, moralistes ou hostiles, assénés comme des condamnations : « C’est excessif », « ce n’est pas raisonnable », c’est « dangereux », ce sont des « excès », c’est « extrêmement violent », « il est mégalo ».
Ensuite, l’intolérance de l’animateur face à toute remise en cause du travail des journalistes vient confirmer un constat qu’Acrimed dresse depuis longtemps, à savoir la difficulté de porter une critique des médias au sein des médias dominants eux-mêmes. La critique en actes, somme toute basique, que tente de porter Danielle Simonnet en plateau est évincée par Yves Calvi à grand renfort de sophismes. Ainsi, émettre des critiques sur un reportage et la manière dont il est construit revient nécessairement à vouloir « salir les journalistes », et suffit à ne pas autoriser un droit de réponse à la personne qui le demande.