Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Revue Ballast
Zoe Konstantopoulou : « Le gouvernement grec a sacrifié la démocratie »
Article mis en ligne le 18 novembre 2015
dernière modification le 11 novembre 2015

On connaît Zoe Konstantopoulou comme la seconde femme à avoir pris le rôle de présidente du Parlement grec. Largement élue à ce poste en tant que membre de Syriza au début du mois de février 2015, elle le quitta le 4 octobre de la même année, cette fois comme membre d’Unité populaire — un parti formé après l’annonce des élections anticipées. Tout au long de ces huit mois, Konstantopoulou a marqué les esprits pour son travail au sein de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque autant que pour son respect des règles démocratiques, son opposition forcenée à la capitulation du gouvernement Tsípras et sa pugnacité à contredire l’affirmation que celui-ci n’avait pas d’autre choix… Elle s’est moins exprimée sur la question monétaire, sa vision actuelle des « plans B », ou encore sa courte mais intense expérience de l’exercice du pouvoir : nous la retrouvons à Bruxelles, dans le hall de son hôtel — l’échange se fait en français. Un éclairage de l’intérieur sur ces quelques mois qui ont chamboulé l’Europe et trahi les espoirs du peuple grec.

On connaît votre parcours d’avocate spécialisée dans les droits de l’homme, mais moins votre parcours politique avant de rejoindre Syriza. Quel a-t-il été ?

En tant qu’étudiante, j’ai été membre des représentations syndicales des étudiants, au sein de syndicats indépendants. Dans mon parcours, je n’ai jamais cherché à m’inscrire dans des partis politiques ; la première fois que j’ai participé à un processus électoral, c’était lors des élections européennes de 2009, sur la liste de Syriza dont je n’étais pas membre. Je me suis présentée non pas pour être élue, mais pour soutenir cette liste. En 2012, j’ai été élue et c’est alors que je me suis faite membre de Syriza. C’était au moment où le parti s’était unifié et se concevait comme celui de ses membres ; c’est justement ce pari qui m’avait incité à rejoindre un parti politique, pour la première fois. Et c’est l’échec de ce but proclamé qui, à mon avis, a conduit à la dissolution de Syriza. Car, en vérité, ce qui apparaît comme Syriza aujourd’hui n’a plus rien à voir avec le Syriza dont j’ai fait partie. (...)

Ce qui est déplorable, c’est que toute la préparation faite au sein des « cabinets fantômes » (c’est-à-dire des personnes et des équipes chargées chacune d’un domaine) n’a pas été utilisée. Et dans plusieurs domaines, elle n’a pas été valorisée. En ce qui concerne les questions de justice, de transparence, de corruption et de droits de l’homme, dont j’étais en charge, le travail accompli n’a même pas fait l’objet d’une séance officielle de présentation. Après les élections, j’ai pris l’initiative de rencontrer le ministre de la Justice pour lui faire part de tout le travail préparatoire accompli, mais ce n’était pas organisé par le parti. De la même manière, les gens qui étaient en charge de la préparation, dans plusieurs autres domaines, n’ont pas été consultés pour la mise en place du travail gouvernemental.

Pour quelles raisons ?

C’est une question à poser au Premier ministre, Aléxis Tsípras. L’équipe était dirigée par Aléxis Mitrópoulos. Le futur vice-président du gouvernement, Ioánnis Dragasákis, et Dimítris Stratoúlis y participaient aussi. Il y a eu ce phénomène des comités de préparation qui n’allaient pas jusqu’au bout ou qui étaient dépossédés de leur mandat au cours des mois. Je ne peux que souligner le fait qu’on a été plusieurs à dire que ce travail préparatoire était indispensable et devait continuer. En ce qui me concerne, ayant été aussi chargée d’un comité formé au sein du groupe parlementaire pour suivre la législation sur les mémoranda et préparer leur abolition, j’ai signalé à plusieurs reprises qu’il fallait davantage de préparations. Pour ce comité spécifique, j’ai envoyé une lettre à Aléxis Tsípras en juin 2014 pour lui dire qu’il fallait soit s’assurer que le comité fonctionne, soit le dissoudre. Je lui signalais aussi que cette préparation contre les mémoranda est un travail très sérieux pour lequel on ne peut pas compter tout faire après les élections. (...)

Si le gouvernement n’a pas créé lui-même des outils et des alternatives, le Parlement en a créé au moins trois : la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, le Comité pour la revendication de réparations de la part de l’Allemagne pour la Deuxième Guerre mondiale (le rapport d’un comité du Ministère des Finances estime ces réparations entre 278 et 340 milliards d’euros), et aussi le Comité sur les institutions et la transparence qui a rouvert deux affaires de corruption de grande ampleur, l’affaire Siemens et l’affaire de la liste Lagarde. Ces affaires concernent non seulement de la corruption au sein du gouvernement grec, mais aussi dans ses rapports avec d’autres gouvernements et avec les institutions européennes. (...)

Donc il y avait au sein du Parlement des outils créés et des alternatives, des biais à suivre qui auraient pu être des arguments très forts dans les négociations ! Le 25 février, lors d’une réunion de notre groupe parlementaire pour discuter de l’accord du 20 février (présenté par le Premier ministre et son cabinet comme une victoire), je faisais partie de ceux qui disaient que c’était un désastre. Qu’il fallait sortir de ce renouvellement des mémoranda qui nous plaçait dans le même cadre que celui des précédents gouvernements. Qu’il fallait surtout éviter d’accepter toute formulation disant que la Grèce allait payer le remboursement total de la dette, sans aucune restructuration. Qu’il fallait se créer des outils et des procédures pour sortir de cette logique. Et c’est ce que j’ai fait depuis ma position de présidente du Parlement. Non seulement le gouvernement n’a pas fait la même chose, mais en plus il n’a pas utilisé ce qui lui a été préparé et servi. (...)

En tant que présidente du Parlement, j’avais accès à des informations seulement lorsque je discutais avec le Premier ministre — et à des intervalles éloignés. Les membres du groupe parlementaire s’informaient via les médias. Il était impossible de discerner ce qui était de l’ordre de l’information ou de la propagande, quelqu’en soit la provenance ; ce qui fait que les parlementaires ne savaient pas répondre à leurs concitoyens. (...)

À propos du fait que le gouvernement n’a pas touché aux banques — ce qui est un résultat déplorable —, je dirais qu’il faut demander des réponses à Monsieur Dragasákis. Il était chargé de cet aspect. En ce qui me concerne, j’ai à plusieurs reprises cherché des réponses auprès de lui, non seulement sur la question des banques mais aussi à propos de tous les aspects du programme de Syriza qui n’ont pas été réalisés. C’était lui le responsable pour l’application du programme. Le fait qu’il y ait eu un échec total, ou une absence d’actions dans les domaines dont il est responsable, devrait mener à des conséquences. Pourtant, il a été reconduit au poste de vice-président du gouvernement. Cela pose la question très sensible de savoir quels étaient les accords internes entre Messieurs Dragasákis et Tsípras. Je répète qu’aucun des engagements de Syriza dans les domaines dont il est responsable n’a été honoré. Et, normalement, quand il y a un échec, il doit y avoir une conséquence… (...)

le peuple était mésinformé — voire pas informé du tout sur les négociations. Le peuple a été désorienté par des déclarations répétitives destinées à le calmer, à lui dire que tout allait bien et qu’il y aurait un accord, alors qu’on ne savait pas sur quoi était basée cette affirmation. Moi je n’ai jamais eu d’éléments concrets montrant qu’il y aurait un bon accord. Il y avait tout un peuple qui, dès le début, est sorti dans les rues pour soutenir ce gouvernement afin qu’il négocie et revendique en son nom, et cela n’a pas été valorisé. À mon avis, la mobilisation et la souveraineté populaires étaient des armes très puissantes que le gouvernement n’a pas su ou pas voulu utiliser. (...)

Notre discours politique, durant toute la période d’avant l’accession au pouvoir, soulignait cette dimension d’un changement pour l’Europe et pour le monde entier. Mais ça a été détruit par le gouvernement. La capitulation a aussi ciblé cet espoir et cette solidarité. C’est pourquoi il y a une responsabilité très grave chez ceux qui ont décidé et implémenté la capitulation, parce qu’elle s’étend hors des frontières de la Grèce. (...)

Quant à l’intention réelle qui se trouvait derrière la proclamation du référendum, c’est une question très intéressante. Je peux vous dire que mon but en tant que présidente du Parlement, c’était de protéger la démocratie et de rejeter ce chantage. Le but déclaré du gouvernement, c’était de gagner le référendum. Mais durant la semaine de campagne, il y a eu des interventions de la part de membres du gouvernement qui étaient tout à fait contraires à ce but et qui n’allaient pas dans le sens de protéger la procédure. Par exemple, des déclarations de M. Dragasákis, le mardi 30 juin, disant que le référendum serait annulé. En tant que présidente du Parlement, j’ai clarifié publiquement qu’il n’y avait aucune manière de retirer un référendum décidé par le Parlement. Tsípras a aussi fait des interventions qui allaient dans le sens de gagner. Ma conclusion est que Tsípras ne pensait pas qu’il allait gagner. Je pense qu’il avait perdu le sens de la société, et c’est pourquoi il avait l’air aussi surpris par l’ampleur de la manifestation pour le « non », le 3 juillet — la plus grande organisée à Athènes depuis quarante ans. (...)

Je suis aussi allée dans le bureau de Tsípras ce soir-là, avant de rejoindre la place Syntagma. Outre Tsípras, Dragasákis et Varoufákis, il y avait Alékos Flambouráris, Níkos Pappás, Euclide Tsakalotos et Dimítrios Papadimoúlis, le vice-président du Parlement européen : il est vrai que le climat n’était pas positif. Je leur ai amené un paquet d’exemplaires du rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette, je l’ai distribué à tout le monde et je leur ai dit : « Maintenant, il faut valoriser ce travail. » Bien sûr, il n’y a eu que Varoufákis qui l’a pris avec intérêt. Tsakalotos m’a demandé de lui donner en anglais pour mieux le comprendre, alors qu’il l’avait déjà reçu. Dragasákis l’a mis de côté… (...)

Il faut quand même dire que le peuple grec est très attaché à la démocratie. Il n’accepterait pas de céder la démocratie pour une monnaie, quelle qu’elle soit. Ce qui est adressé au peuple, en ce moment, c’est un chantage direct : « Ou bien l’euro, ou bien la démocratie. » Dans ce dilemme, je suis persuadée que le peuple déciderait majoritairement pour la démocratie. Et il est vraiment honteux qu’il y ait eu un gouvernement qui a répondu à ce dilemme en sacrifiant la démocratie. (...)

Je ne suis pas quelqu’un qui envisage la politique comme une profession. Je crois que le premier devoir des politiciens est d’être des citoyens. Je n’ai aucune difficulté à continuer, depuis ma place de citoyenne, tout ce que je faisais comme membre du Parlement. La Commission pour la vérité sur la dette publique grecque n’est pas encore abolie, même si je pense que le nouveau président du Parlement va essayer de l’éteindre. Mais les membres de la Commission ont la volonté de continuer et nous avons déjà programmé une prochaine réunion en janvier ou en février. Donc il y aura une suite. Il ne faut pas oublier que cette Commission n’est pas une idée qui a émergé au sein du Parlement, elle a été initiée par la revendication et le rêve de toute une société en 2011. Elle est née au sein des mouvements sociaux et elle n’a été que rebaptisée et structurée par le Parlement. Maintenant, elle va sans doute continuer en fonctionnant d’une autre manière, parce que comme son nom l’indique, c’est une commission de vérité — et la vérité est liée avec la notion de perpétuité.