
La déclaration de politique générale du premier ministre n’a rien résolu de l’ornière politique du moment. Toujours minoritaire, l’exécutif a refusé d’offrir au PS la suspension de la réforme des retraites qu’il réclamait. Au risque de dépendre, comme Michel Barnier avant lui, du bon vouloir de l’extrême droite.
Encore un instant, mesdames et messieurs les bourreaux. La déclaration de politique générale de François Bayrou a ressemblé, mardi 14 janvier, à la longue supplique d’un homme soucieux de durer plus longtemps que son prédécesseur, renversé au bout de trois mois. « L’épée de Damoclès de la motion de censure paraît avoir installé la précarité au sommet de l’État », a reconnu le chef du gouvernement, affirmant sa volonté d’y échapper.
Le premier ministre a tenté d’inscrire son discours inaugural dans la longue histoire de l’exercice. Citant Sangnier, Péguy, La Fontaine, Weil ou Mendès France, il a vanté une « nouvelle promesse française » que son gouvernement mettrait en action. « Quand tout paraît aller mal, on est contraint au courage », a-t-il affirmé, avant d’imaginer faire passer le pays « du découragement à l’espoir », « ténu mais raisonnable ».
Le véritable enseignement de son discours, souvent décousu, est toutefois plus prosaïque. Dans sa quête de stabilité, le patron du MoDem avait un seul objectif parce qu’il n’avait qu’un seul chemin : ne pas reproduire le schéma qui a conduit Michel Barnier à sa perte, ne plus dépendre du Rassemblement national (RN) et, pour ce faire, sceller un accord de non-censure avec une partie de la gauche. (...)
Un tel dénouement semblait encore lui tendre les bras mardi matin. « Un accord est possible », était venu redire à la télévision Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste (PS). Ses termes principaux étaient connus : une suspension de la réforme des retraites de 2023, le temps de laisser les partenaires sociaux en rediscuter les termes, en échange de l’engagement du PS à ne pas censurer le gouvernement Bayrou.
Sous la pression de la droite et de l’Élysée, le toujours maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) a tourné le dos à cette option, pourtant négociée par son ministre de l’économie et des finances, Éric Lombard, au terme de longues journées de tractations. À la place, il a proposé de confier une « mission flash » de diagnostic à la Cour des comptes, puis de réunir les partenaires sociaux pendant trois mois, de soumettre leur éventuel accord au vote du Parlement et enfin, une fois ces trois étapes franchies, de remplacer la loi de 2023.
Bayrou place sa survie entre les mains de l’extrême droite
Les quelques inflexions concédées à la gauche, à l’image de l’augmentation du budget de l’assurance-maladie, d’une timide remise en cause de l’élargissement à trois jours de carence dans la fonction publique ou du passage de 4 000 à 2 000 suppressions de postes dans l’Éducation nationale, n’ont rien changé à l’hostilité du Nouveau Front populaire (NFP), déçu par la ligne autant que par la méthode. (...)
Et le groupe Droite républicaine (DR), à commencer par son président Laurent Wauquiez, ne s’est pas trompée en applaudissant François Bayrou après ses quatre-vingt-dix minutes d’allocution. Même à 47, même amputée de la présence d’un des siens à Matignon, la droite traditionnelle voit ses idées triompher au pouvoir. « Il a repris nos thèmes, donc ça donne la place pour un soutien », saluait à la sortie Vincent Jeanbrun, porte-parole du groupe DR, auprès de Mediapart.
Le parti Les Républicains (LR) a pourtant senti passer de près le boulet de l’accord entre l’exécutif et la gauche socialiste. Il a mis toute son énergie, ces derniers jours, à le tuer dans l’œuf (...)
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– Discours de politique générale de François Bayrou : sur l’écologie, le flou et le néant
Lors de son discours de politique générale, le premier ministre a pratiquement fait l’impasse sur les questions écologiques sur lesquelles il semble avoir aussi peu d’idées que de convictions.
François Bayrou a-t-il entendu parler de l’urgence écologique ? Dans sa longue déclaration de politique générale mardi 14 janvier, le sujet n’est arrivé que tout à la fin, comme un pénible passage obligé, après de longs développements sur la dette, la sécurité, l’immigration ou l’éducation. Manifestement, le sujet ne l’inspire guère.
Une série d’incantations, des mots-clés glissés ici et là comme pour signaler que la thématique n’a pas été complètement oubliée, mais surtout des propos encore plus vagues que ceux de Michel Barnier à la même place, quatre mois plus tôt : sur l’effondrement de la biodiversité comme sur le dérèglement climatique, aucune réponse n’est apportée et un doute subsiste : la planification écologique, cette politique lancée au début du second quinquennat, sera-t-elle maintenue ?
« L’écologie n’est pas le problème. C’est la solution », finira-t-il par affirmer, avant de se lancer dans un très bref et très flou développement pour affirmer que la « transition écologique » en particulier est un sujet « crucial ». Heureusement, la France aurait « commencé mieux qu’aucun pays du monde » dans la voie de « l’adaptation » au dérèglement climatique.
Un étrange cocorico alors que Mayotte ne se remet toujours pas du passage du cyclone Chido et que l’Hexagone a connu un terrible cycle d’inondations cet automne face auquel les habitant·es ont semblé bien peu préparé·es et accompagné·es. (...)
À aucun moment François Bayrou n’a souligné l’urgence de réduire drastiquement nos émissions. (...)
Aucune nouvelle annonce non plus sur le front de la transition écologique. (...)
Et si Bayrou a rapidement évoqué la politique énergétique, c’est pour rappeler son plein soutien au nucléaire.
Autant de domaines dont les lignes directrices ont déjà été définies en octobre et novembre derniers, avec la publication du Plan national d’adaptation au changement climatique ainsi que de la stratégie nationale bas-carbone et de la programmation pluriannuelle de l’énergie, trois feuilles de route qui conduisent la transition écologique du pays.
Passé à la trappe dans le budget 2025, le plan vélo pourrait en revanche refaire surface, puisque le premier ministre a indiqué qu’il « devrait se poursuivre avec les moyens nécessaires ». Ce sera la seule véritable nouveauté de son discours en matière d’écologie. Un peu maigre.
Pour le reste : rien sur la pollution – le terme n’est même pas prononcé –, rien sur le ZAN (zéro artificialisation des sols) dont tant d’élus locaux veulent la peau, ni sur les problèmes sanitaires causés par les pesticides…
L’Office français de la biodiversité dans le viseur
Sur les réponses apportées à la colère agricole, et aux promesses obtenues par la FNSEA, pourtant très concrètes jusqu’ici, François Bayrou est resté vague (...)
Tout au plus comprend-on que la police de l’environnement, l’Office français de la biodiversité (OFB), est définitivement dans le viseur. « Quand les inspecteurs de la biodiversité viennent inspecter les fossés ou les points d’eau avec une arme à la ceinture dans une ferme déjà mise à cran par la crise, c’est une humiliation. Donc une faute », a déclaré le premier ministre. C’est une des victoires que la FNSEA, actuellement en campagne pour les élections agricoles, se targue d’avoir obtenues : l’invisibilisation des armes de service de ces inspecteurs et inspectrices. (...)
Le premier ministre, qui n’a pas manqué cette occasion pour rappeler qu’il vient d’une famille de paysans, a eu également quelques mots allusifs sur les mégabassines. « Qu’on assimile la gestion de l’eau de surface au pompage des nappes profondes, comme si c’était la même chose, c’est absurde. Nos agriculteurs vivent cela comme une injustice. » Cet argument n’est pourtant jamais formulé du côté des Soulèvements de la Terre et de la Confédération paysanne, qui dénoncent la construction de mégabassines et demandent en réalité une gestion plus démocratique et plus économe de la ressource hydrique.
Pas un mot sur la stratégie de réduction des pesticides, le plan Écophyto, également mis à mal l’an dernier. Pour une politique de « préservation de la biodiversité » – l’expression figure pourtant telle quelle dans le discours ! –, pour une politique soucieuse de la santé de la population, il faudra repasser.
Un discours hors du temps, à la limite du déni de la crise écologique.
– Marine Tondelier : « Il n’y a objectivement aucune raison de ne pas voter la censure »
La secrétaire nationale des Écologistes taille en pièces le discours de politique générale de François Bayrou, qu’elle appelle à censurer. Elle invite aussi les membres du Nouveau Front populaire à se retrouver malgré leurs divisions autour des négociations avec Matignon.
Après un discours de politique générale insipide, les partis du Nouveau Front populaire (NFP) sont presque à nouveau unis sur l’idée de censurer le gouvernement dès jeudi 16 janvier, à l’exception du Parti socialiste (PS) qui espère encore obtenir des concessions.
Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Écologistes, donne sa lecture de ces atermoiements, analyse le dédain de François Bayrou vis-à-vis de la gauche et explique la stratégie qui a conduit les écologistes à tenter la négociation malgré leurs réserves. Elle appelle désormais les membres du NFP à se retrouver et à cesser de se lancer des invectives. (...)