Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
À l’Assemblée, le mauvais coup du RN et du magazine « Frontières »
#RN #extremedroite #medias #AssembleeNationale #collaborateursparlementaires
Article mis en ligne le 12 avril 2025
dernière modification le 16 avril 2025

Provocation, tension et coup de pression pour mieux… faire diversion. En pleine tempête judiciaire et politique, le Rassemblement national (RN) n’en finit pas de tenter de détourner l’attention. Alors qu’une manifestation de collaborateurs parlementaires organisée mardi 9 avril, en réaction à un article du magazine d’extrême droite Frontières, avait créé des remous dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, le groupe de Marine Le Pen a monté l’affaire en épingle afin de jeter l’opprobre sur plusieurs député·es de gauche.

Le soir même, le député RN Jean-Philippe Tanguy a ainsi profité d’une séance sur le projet de loi de simplification de la vie économique pour s’en prendre aux élu·es du Nouveau Front populaire (NFP). « Il s’est passé des faits extrêmement graves cet après-midi [...]. Le RN n’acceptera pas que les travaux puissent se poursuivre alors qu’un des pires événements de la Ve République s’est produit aujourd’hui ! », a-t-il lancé sous les protestations du reste de l’hémicycle.

Puis, avec ses collègues lepénistes Sébastien Chenu et Thibaut Bernhardt, il s’est mis – chose jamais vue au palais Bourbon – à énumérer les noms des élus en question (...)

Jean-Philippe Tanguy a également pris à partie la députée socialiste Ayda Hadizadeh, qui se serait selon lui rendue coupable « d’intimidation, d’insulte, et de tentative de vol du téléphone d’une journaliste dans le jardin des Quatre-Colonnes ». Tout cela sur la foi d’une vidéo où l’on voit l’élue, sourire aux lèvres, faire un vague geste de la main signifiant « partez » à l’adresse d’une journaliste de Frontières qui était en train de la filmer.

Contacté par Mediapart pour tenter d’identifier ce qui aurait pu faire penser à Jean-Philippe Tanguy qu’il s’agissait d’une tentative de vol caractérisée, l’intéressé a répondu par l’absurde : « Si elle tend la main sans vouloir prendre le téléphone, c’est pour faire quoi ? L’intimider ? Lui caresser la joue ? »

« Frontières » aux manettes

Pour comprendre comment une séquence aussi « hallucinante » – selon l’adjectif employé par bon nombre de député·es – a pu advenir à l’Assemblée nationale, il faut revenir à la publication du dernier numéro de Frontières, revue qui milite activement pour l’union des droites, tout en tentant de la faire pencher vers son bord le plus radical et identitaire.

Consacré à La France insoumise (LFI), décrite comme « le parti de l’étranger » – une expression empruntée à l’extrême droite antidreyfusarde –, le magazine s’en prend nommément à une quinzaine de collaborateurs de députés LFI, présentés comme une « nébuleuse opaque » et classés en différentes catégories : « réseaux islamistes », « black blocs », « antisémitisme »…

Immédiatement, l’article a déclenché un tollé chez les collaborateurs parlementaires, inquiets d’être ainsi exposés à la vindicte, notamment sur les réseaux sociaux. (...)

Un courrier – resté pour l’heure sans réponse – a également été transmis par les syndicats à Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale. Il réclame le retrait de l’accréditation des rédacteurs de Frontières dans les lieux et l’extension de la protection fonctionnelle – aujourd’hui réservée aux seul·es député·es – aux collaborateurs parlementaires, afin que tout ou partie d’éventuels frais de justice soient pris en charge par l’institution.

S’agissant de jeter en pâture les noms d’inconnus, publiquement mis en cause pour leur engagement professionnel, Frontières n’en est pas à son coup d’essai. (...)

Reprenant la même méthode de fichage, Frontières vient également de mettre en ligne une très large carte interactive de « l’extrême gauche » où sont listés des journalistes, des militants antiracistes, féministes, etc.
Une manifestation pacifique

À la suite de la dernière publication du magazine d’extrême droite, un rassemblement était donc organisé le 9 avril à l’appel de la CGT soutenue par toute l’intersyndicale, de la CFDT à Solidaires (à l’exception de la CFTC, dont la section du Palais-Bourbon a été créée par un collaborateur du RN), dans le jardin situé en contrebas de la salle des Quatre-Colonnes.

Mercredi, à 13 h 30, 350 collaborateurs étaient ainsi rassemblés au pied des marches, agitant leurs drapeaux syndicaux dans une ambiance bon enfant pour protester contre le trimestriel identitaire. Jusqu’à ce que trois rédacteurs de ce dernier, qui avaient déjà multiplié les selfies, magazine à la main, sur la place du Palais-Bourbon le matin-même, ne fassent leur apparition pour filmer ostensiblement le rassemblement avec leurs téléphones portables.

La tension est alors montée d’un cran, des huissiers, agents de sécurité et plusieurs députés se rapprochant des rédacteurs de Frontières pour leur demander d’arrêter de filmer. (...)

tandis que la petite foule de manifestants scandait « Frontières, casse-toi, l’Assemblée n’est pas à toi ! ».

« L’idée était d’apaiser les tensions. Les gens de Frontières savaient très bien qu’ils jetaient de l’huile sur le feu en filmant les collaborateurs avec leur sourire narquois », relate Arthur Delaporte, qui a fini par s’agacer face à Louise Morice, une rédactrice qui prenait à partie le député Jean-Paul Lecoq qui s’était mis devant elle.

Sur une vidéo, on voit la jeune femme hurler contre l’élu communiste. « Vous m’empêchez de faire mon travail ? Je fais mon travail de journaliste ! » « Vous êtes des fascistes, vous êtes là, vous attisez les haines ! », lui rétorque Arthur Delaporte. Depuis la diffusion de l’extrait sur les réseaux sociaux et sur CNews, Arthur Delaporte a reçu des centaines de messages haineux – une campagne de cyberharcèlement savamment orchestrée par les réseaux d’extrême droite, estime-t-il. (...)

Un peu plus tard, une autre vidéo, cette fois captée par un collaborateur du groupe Union des droites (UDR) d’Éric Ciotti, montre un journaliste de Reuters s’en prendre à celui-ci. « T’arrêtes de filmer, connard ? », lui lance le journaliste, avant de tenter d’arracher son portable. Le collaborateur ciottiste lui aurait en retour donné un violent coup de pied dans le tibia. Le journaliste, qui évoque un hématome sur sa jambe, est allé déposer une main courante.
Frontières et le RN, main dans la main pour faire le buzz ?

Si chacun reconnaît des incidents, tout le monde n’a pas la même vision de ce qui s’est passé mercredi 9 avril à l’Assemblée nationale. « En réalité, moi, je n’ai pas vu de violence, juste du monde parce que l’endroit est passant », raconte Manon Monmirel, collaboratrice du député LFI Éric Coquerel, qui participait au rassemblement. Prise pour cible par le magazine, qui a publié une photo d’elle, elle entend porter plainte contre Frontières pour propos calomnieux. (...)

Pour le RN, qui n’a cessé de faire tourner les vidéos sur les réseaux sociaux, l’altercation a offert l’occasion de détourner l’attention de ses démêlés politico-judiciaires. Quant à Frontières, difficile d’imaginer meilleure publicité pour cette revue à faible tirage dont le dernier numéro est arrivé en kiosque mercredi.

Plusieurs députés de gauche se demandent d’ailleurs s’il ne s’agissait pas d’une opération concertée entre le RN et les journalistes du magazine. (...)

Un député du NFP interrogé affirme d’ailleurs avoir vu une quinzaine de collaborateurs du RN se poster dans un coin du jardin vers 13 h 20, soit dix minutes avant le début du rassemblement, afin de capter les images à venir.

De son côté, le directeur de la rédaction de Frontières et ancien adhérent du Front national, Erik Tegnér, dément fermement toute collusion avec les groupes d’extrême droite. Auprès de Mediapart, il estime que la présence des collaborateurs RN et UDR au moment de l’altercation relève du hasard. (...)