
Alors que les moins de 20 ans représentent 55 % de la population de l’île, aucun plan pour la jeunesse ne se profile, laissant chaque jour la violence et l’errance gagner du terrain. Dernier rempart à un abandon généralisé, l’école tente de faire face mais se retrouve elle-même bien isolée.
Deux mois après la visite express d’Élisabeth Borne, alors première ministre, rien n’a changé ou presque à Mayotte. « C’est encore pire », dit-on même du côté de Koungou, où les conflits entre quartiers font plus que jamais rage. Le 24 janvier, le collège était pris d’assaut par une cinquantaine de jeunes. Partout, les droits de retrait fleurissent en même temps que les violences explosent aux abords des établissements scolaires. (...)
Tous et toutes évoquent alors les pluies de pierres quotidiennes, les coups de machette, de couteau, de ciseaux, la panique générale puis les sirènes, les détonations en salves fournies. Car à Mayotte, principalement autour de Mamoudzou, les affrontements entre bandes ou avec les forces de l’ordre rythment la vie et charrient leurs lots de dommages collatéraux. Sur le maigre réseau routier, les bus scolaires sont pris pour cible au petit matin. Le soir venu, au tour des automobilistes et des motards de recevoir cailloux et fers à béton pour être mieux rançonnés. (...)
« On vit dans la peur, on a peur pour nous, pour nos élèves, parce que l’on sait qu’à un moment, dans la journée, ça va péter. La question n’est plus de savoir si ça va péter mais quand. Ce ne sont ni des conditions de vie, ni des conditions d’enseignement acceptables quand on est censés être dans un département français », dénonce une enseignante du collège du Koungou, commune au nord de Mamoudzou. (...)
« C’est désespérant, réagit une infirmière scolaire. Quand on voit la souffrance de nos gamins au quotidien, on se sent vraiment abandonnés. » (...)
une partie de la population a érigé des barrages aux quatre coins de l’île, initialement pour exiger le démantèlement d’un camp de réfugié·es et de demandeurs et demandeuses d’asile, avant de faire muter le mouvement en une protestation plus large contre l’insécurité et l’immigration clandestine. Un glissement qui, en ces temps violents qui secouent l’île, permet aux militant·es de s’attirer quelques soutiens supplémentaires. À l’instar de plusieurs équipes pédagogiques.
Rebondissant sur les prises de position effectuées par la base, le syndicat CGT Éduc’action prend à son tour la parole dans un communiqué commun diffusé début février avec la CGT Protection judiciaire de la jeunesse. Les deux branches locales expriment ainsi « leur solidarité envers tous ceux et celles qui se mobilisent pour défendre nos droits afin que Mayotte puisse enfin vivre dignement et sereinement ».
Mais les syndicats alertent : « En ces jours difficiles, il nous paraît vital de ne pas se laisser berner par celles et ceux qui tenteraient d’opposer les différentes franges de la société mahoraise en ciblant des boucs émissaires. » (...)
Illustrant cette mise en garde, la manifestation du mardi 6 février, organisée par « Les Forces vives », la nouvelle bannière des différents collectifs locaux mobilisés contre l’immigration et l’insécurité, a été émaillée d’incidents au tribunal judiciaire de Mamoudzou, dont les manifestants accusent les magistrats de laxisme envers les délinquants. Puis elle s’est soldée par le cadenassage et le siège des locaux de deux associations à caractère social, accusées de favoriser l’immigration clandestine.
De manière générale, toute structure qui œuvre sans distinction de nationalité est perçue comme favorisant un « appel d’air » migratoire. (...)
« Le problème, c’est qu’en dehors de l’école, il n’y a plus aucun accompagnement pour énormément d’enfants, ne serait-ce que pour les besoins les plus primaires comme manger ou se soigner. Si l’on devait faire des “informations préoccupantes” auprès des services de l’aide sociale à l’enfance sur les mêmes standards qu’en métropole, on ne ferait que ça. Mais c’est impossible, car on sait qu’il ne se passe rien derrière », déplore une infirmière scolaire qui, accompagnée d’une collègue, a « l’impression de pallier à travers l’école tout ce que le reste de la société devrait faire, sans en avoir les moyens ». (...)
Des moyens qui manquent de toutes parts, comme les perspectives : près de la moitié des lycéen·nes sort de l’école sans papiers ni avenir. (...)
« Il manque une véritable politique jeunesse, c’est pourtant essentiel », abonde le recteur de Mayotte, Jacques Mikulovic. Reste à convaincre les élus locaux de la mettre sur pied, puis en œuvre. (...)
pour la CGT Éduc’action, « le principal fautif est bien l’État, incapable d’assurer ses missions sur le territoire ». État auquel le syndicat demande de « concevoir une vraie politique qui ne se limite pas à l’envoi des forces de l’ordre à Mayotte, mais [procède] à des investissements massifs dans tous les services publics ».