Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
À Mayotte, les migrants sont la première cible de la « refondation »
#Mayotte #cyclone #migrants #immigration
Article mis en ligne le 25 juin 2025
dernière modification le 24 juin 2025

Alors que le projet de loi arrive à l’Assemblée nationale lundi 23 juin, Mediapart revient sur les enjeux de ce texte, qui mise davantage sur la baisse de l’immigration sur l’île que sur la reconstruction après les ravages du cyclone Chido.

Au lendemain du cyclone Chido, qui a dévasté Mayotte le 14 décembre et mis en lumière les conditions de vie des habitant·es les plus vulnérables de l’île, la France aurait pu s’attendre à des prises de parole courageuses, reconnaissant les inégalités criantes qui sévissent entre ce département et ceux de la métropole. Au lieu de cela, plusieurs personnalités politiques ont fait le choix de l’indécence : mettant en cause les personnes migrantes, elles ont laissé entendre ou affirmé que l’ampleur des conséquences du cyclone Chido était due à leur présence sur l’île.

Jusqu’au premier ministre François Bayrou, qui aura justifié la notion de « submersion migratoire » en évoquant Mayotte, un mois seulement après la catastrophe. Très vite, un projet de loi pour la « refondation » de Mayotte a été annoncé. Celui-ci va être examiné et débattu par les député·es dès lundi 23 juin, après avoir été validé au Sénat. Comme souvent lorsqu’il s’agit de Mayotte, il semble que le cœur du « problème » soit celui de l’immigration, et en particulier la venue de Comorien·nes qui fuient la misère économique.

Ces derniers, qu’il s’agisse de familles, d’enfants, d’adolescent·es, de femmes, d’hommes, de malades ou de personnes handicapées, traversent la mer en kwassa-kwassa, parfois au péril de leur vie, à la recherche d’une vie meilleure. Ces mêmes kwassa-kwassa dont Emmanuel Macron, alors chef de l’État, s’était moqué – ce dernier avait déclaré que le « kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien », faisant fi des dangers encourus par celles et ceux qui sont bien contraints, faute de visa et de possibilité de voyager légalement, d’emprunter ces embarcations de fortune. (...)

Le texte de loi attaque ainsi d’emblée sur ce sujet : la « refondation » de Mayotte imposera de « lutter contre l’immigration clandestine et l’habitat illégal », et les mesures proposées sont nombreuses, s’étalant sur de nombreuses pages, avant les mentions « protéger les Mahorais » et « façonner l’avenir de Mayotte ». C’est ainsi que des droits, habituellement acquis pour le reste du territoire français, sont amputés pour les habitant·es de Mayotte, devenue une zone d’exception depuis plusieurs années, de façon assumée par l’État (le droit du sol y est déjà tronqué et a encore été durci en 2025).

Faire le tri (...)

Les personnes sollicitant un titre de séjour mention « vie privée et familiale » devront par exemple justifier d’une résidence habituelle « depuis au moins sept ans à Mayotte », en plus de devoir être entrées de manière régulière sur le territoire (ce qui rend quasiment impossible l’obtention d’un titre). La délivrance d’une carte de résident pour un parent d’enfant français sera également conditionnée à une durée de présence de cinq ans, alors que la loi Darmanin a déjà ajouté le critère des ressources stables et régulières pour cette catégorie de titre à Mayotte. (...)

Le parent d’un enfant français devra par ailleurs, pour obtenir un titre de séjour, présenter un visa long séjour : cela signifie qu’il ou elle devra retourner dans son pays d’origine et faire une telle demande auprès des autorités françaises avant d’espérer pouvoir revenir et se voir délivrer un titre. « Il ou elle devra donc repartir avec son enfant ? En le confiant à un tiers le temps d’effectuer les démarches ? », s’interrogent la LDH et le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), dans une note alertant sur les « fondations douteuses » de ce projet de loi.

Les associations ajoutent : « On ne sait pas ce qu’il adviendra si cette personne a d’autres enfants, si ces mêmes enfants sont scolarisés ou bénéficient d’un suivi médical, si cette personne veille sur un proche ou bénéficie d’un suivi médical. L’objectif poursuivi par le gouvernement ne tient aucun compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, ni même du droit à la vie privée et familiale. » Dans le même esprit, il sera possible de procéder au retrait d’un titre de séjour pour les parents dont l’enfant représenterait, aux yeux de l’État, une « menace à l’ordre public ». (...)

Le texte propose également d’« améliorer les dispositifs de lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité », comme s’il y avait une présomption de mensonge et de culpabilité pour les personnes migrantes vivant à Mayotte (...)

Malgré Chido et la destruction de plus de la moitié des logements, des habitations et infrastructures, la préfecture a déjà pris trois arrêtés de démolition de bidonvilles, déplore Daniel Gros, dénonçant la « brutalité de l’État ». « Personne n’a été relogé. Tout le monde se débrouille, plus personne ne croit en rien. Les gens se déplacent, reculent, vont plus loin dans la montagne dans des endroits où l’accès à l’eau est encore plus difficile… Ils dégradent leur existence », énumère celui qui ne cesse de défendre les droits de toutes et tous à Mayotte, peu importe la couleur de leur passeport.

Paradoxalement, le projet de loi ne s’attaque pas tellement à de potentiels nouveaux arrivants qui chercheraient à gagner l’île. Sans doute parce que les autorités françaises sont bien conscientes que rien n’empêchera les Comorien·nes et ressortissant·es des pays de l’Afrique des Grands Lacs de tenter de migrer vers Mayotte : peu importe la surveillance des frontières, les murs et barbelés construits ou la répression mise en place, les routes migratoires restent ; elles évoluent et s’adaptent toujours aux contraintes.

« Cette loi vise à priver les personnes qui sont déjà là, qui résident déjà à Mayotte, de leur droit au séjour, insiste Marjane Ghaem, avocate en droit des étrangers. Il n’y a aucune volonté politique d’instruire les demandes. » (...)

« On est vraiment dans l’absurde. On entend que c’est “ce que veulent les Mahorais”. Mais de quels Mahorais parle-t-on ? », pointe l’avocate. Dans une île pouvant prendre des airs de paradis comme des airs de tiers-monde, des investissements massifs étaient attendus pour améliorer l’accès à l’eau, soutenir les services publics et les systèmes éducatif et de santé, créer du logement… Mais un choix politique a été fait au détriment de la reconstruction et de l’apaisement : celui de la stigmatisation et de la division.