
De plus en plus présent dans les médias français, l’Observatoire de l’immigration et de la démographie a été lancé en 2019 par un lauréat de la bourse Tocqueville à son retour des Etats-Unis. Derrière ses prétentions à l’objectivité, il ne faut pas gratter beaucoup pour retrouver l’influence des conservateurs nativistes américains, avec le même mépris pour la réalité des chiffres et la science. l
Ce think tank anti-immigration et nataliste bénéficie aujourd’hui une bonne couverture médiatique, principalement sur Cnews et d’autres médias très à droite (Le Figaro, Le Point, Europe 1…), mais aussi occasionnellement sur Radio France, BFM ou Arte.
Un institut proche de l’extrême-droite et d’organisations étatsuniennes
La création d’instituts et de think tanks pour distiller ses partis pris idéologiques sous le couvert de l’expertise et de la neutralité fait partie des modes d’action privilégiés du réseau Atlas et de ses partenaires, avec qui les lauréats de la bourse Tocqueville ont largement le temps d’échanger lors de leurs séjours aux Etats-Unis. L’OID affirme ainsi porter « une vision rationnelle et dépassionnée, fondée sur la rigueur scientifique et l’indépendance politique ». Pourtant, son directeur des études Grégoire Daubigny vient des Républicains, pour qui il a travaillé au siège du parti (brièvement) et en tant que collaborateur d’élus (pendant plus de cinq ans). Quant à son conseil scientifique, il comporte des personnalités proches de l’extrême droite, comme Xavier Driencourt, membre du comité stratégique du média d’extrême droite Frontières (ex Livre noir) et qui serait en contact régulier avec des cadres du RN, Thibault de Montbrial, qui cultive ses réseaux au sein de la droite radicale, ou Pierre Brochand, ancien de la DGSE ouvertement anti-immigration qui échangerait régulièrement avec Eric Zemmour.
Surtout, les notes d’analyse de l’institut sont largement contredites par les chercheurs travaillant sur les questions migratoires, qui dénoncent l’utilisation de chiffres décontextualisés ou des méthodologies biaisées.
Par exemple, l’OID fait croire qu’il existe une immigration massive en France, alors qu’il s’agit de l’un des pays d’Europe de l’ouest où elle est le plus faible et où les délivrances de titre de séjour se situent plutôt dans la moyenne basse de l’OCDE. Les porte-paroles de l’OID restent pourtant invités dans les médias, et ses idées s’infusent en outre dans la sphère politique. Ses membres sont ainsi auditionnés par les députés, leurs propositions auraient eu une certaine influence sur la loi Asile et immigration de 2024, et en novembre dernier, l’OID a organisé deux colloques, à l’Assemblée nationale (sous l’égide du député LR Eric Pauget) et au Sénat, sur l’Europe et les États-Unis face à la crise de l’asile.
Ce succès s’explique-t-il en partie par l’application de méthodes apprises aux États-Unis ? Revenant sur son expérience avec la bourse Tocqueville, Nicolas Pouvreau-Monti explique que « les formations dispensées sur place en termes de passages médias et de levée de fonds [lui] sont toujours d’une utilité concrète aujourd’hui » et insiste sur l’utilité de réseauter avec des partenaires internationaux et de partager les bonnes pratiques : « Parmi les contacts très utiles pris durant la Bourse, je retiens spécialement ceux du Center for Immigration Studies et de NumbersUSA ».
L’internationale anti-migrants en vedette au Parlement français (...)
Unis par les mêmes biais et les mêmes failles méthodologiques dans leurs études, qui n’ont d’autre objectif que de s’opposer à l’immigration, l’OID et ses homologues américains ont joint leur forces en fondant en 2023 l’International Network for Immigration Research (INIR) dont la bannière était affichée lors du colloque organisé en novembre 2024 à l’Assemblée nationale. Parmi les autres membres, on trouve l’Israeli Immigration Policy Center et le Migration Research Institute de Hongrie, une organisation liée au Mathias Corvinus Collegium (MCC), unversité privée « temple du national conservatisme en Europe » qui forme l’élite pro-Orban.
Eric Ruark, directeur de NumbersUSA rencontré par les lauréats de la bourse Tocqueville en 2019, était l’un des intervenants des colloques au Sénat et à l’Assemblée nationale, de même que Marc Krikorian, du Center for Immigration Studies. Dans la foulée de ces événements, les membres de l’International Network for Immigration Research se sont retrouvés pour préparer leurs prochains événements et publications communes. L’OID – qui n’a pas répondu à nos questions, notamment celles relatives à son financement – n’a donc pas fini de collaborer avec les réseaux conservateurs antimigrants, des États-Unis à la Hongrie.