L’État promettait une « reprise rapide » de la scolarité. Mais entre bâtiments détruits, salaires impayés et manque d’eau potable dans les établissements, la rentrée post-cyclone a viré au cauchemar dans le département.
Le 18 août 2025, en visite sur l’île, Élisabeth Borne, alors ministre de l’éducation nationale, tentait de convaincre : « La rentrée va se passer dans de bonnes conditions, dans les mêmes conditions qu’avant le cyclone. » Mais plus de dix mois après le cyclone Chido, l’école publique peine à se relever à Mayotte. Certains établissements restent détruits, d’autres attendent des travaux, et ceux qui ont rouvert accueillent trop d’élèves, contraint·es à des cours par rotations. Sur le terrain, les enseignant·es s’épuisent et une génération entière risque de glisser vers le décrochage. (...)
La mairie avait promis une réouverture le 27 octobre 2025, elle n’a jamais eu lieu. « Nos enfants sont livrés à eux-mêmes. On leur dit juste d’aller chercher quelques exercices à la MJC [maison des jeunes et de la culture – ndlr] », souffle Faïna Karani. Là-bas, des agent·es tentent de sauver les meubles avec de l’aide aux devoirs et des ateliers. « Mais comment faire de l’aide aux devoirs quand il n’y a plus de devoirs ? », ajoute-t-elle. La mairie reste silencieuse sur le sujet.
Des écoles toujours à terre
À Vahibé, commune de Mamoudzou, le constat est brutal. L’école de Vahibé-1 a été entièrement détruite par le cyclone. Dans les ruines de l’établissement, les chats et les rats circulent librement, le site n’a jamais été nettoyé depuis la catastrophe. Toitures envolées, tôles entassées, verre brisé, bois pourri et cahiers trempés jonchent le sol.
Pour compenser, 1 300 élèves s’entassent dans Vahibé-2, conçue pour à peine la moitié, avec trois rotations de trois heures de cours par jour, une pratique devenue courante à Mayotte. (...)
Sur le terrain, rien ne bouge. « On parle d’une “année éducative blanche”, confie la professeure interrogée, la voix chargée d’émotion. On sait que 90 à 95 % de nos élèves sont en difficulté. On les a perdus. »
À Ongojou, commune de Dembéni, même tableau. Les écoles ont rouvert, mais dans des conditions précaires. Le collectif Ongojou uni, qui défend élèves et enseignant·es, multiplie les réunions avec la mairie, en vain. « Les vitres sont cassées, les tables sales, les fils pendent partout », déplore Sarfati Houmadi, présidente du collectif.
Quelques classes ont été repeintes, l’électricité y a été rétablie, mais le reste du site reste à l’abandon, et notamment les sanitaires, dans un état indigne. « Les chats défèquent dans les salles, la clôture est si basse que n’importe qui peut passer », souffle Fatima, maman de deux enfants. Sous un panneau « hors tension », une gouttière fuit, formant une rigole brunâtre au pied des câbles. (...)
Faute de solutions, les familles se débrouillent. « Les riches peuvent payer des cours en ligne. Les autres, non. Et même quand on veut aider nos enfants, il faut du matériel, du temps, des compétences », explique Sarfati Houmadi. Quant à l’école maternelle : « C’est une école qui devrait ne pas être ouverte, mais on se dit que quelques heures de classe, c’est toujours mieux que rien. » (...)
Professeurs sans salaire depuis des mois (...)
Au milieu du chaos, plusieurs professeur·es contractuel·les, mais aussi des titulaires ou des agents et agentes administratives ne sont pas payé·es depuis des mois, ce qui a occasionné plusieurs mouvements de mobilisation, dont le dernier le 4 novembre.
La rectrice d’académie, Valérie Debuchy, avait promis début octobre un premier acompte puis une régularisation, mais seul·es quelques agent·es ont réellement été payé·es, souvent partiellement. Au collège de Mtsamboro, une dizaine d’enseignant·es n’ont toujours rien reçu. « Certains ne peuvent plus acheter à manger ou mettre de l’essence », alerte le collectif des personnels depuis plusieurs mois.
Dans une lettre adressée aux professeur·es concerné·es, datée du 30 octobre, la rectrice a fait part de ses excuses, reconnaissant des « causes multiples », comme « un fort renouvellement des gestionnaires et des cadres, la complexité accrue des procédures et un déficit d’accompagnement et de formation des nouveaux agents », pour expliquer ces difficultés. (...)
Au lycée de la Cité-du-Nord, la lassitude vire à l’épuisement. « C’est l’exaspération qui domine », confie une professeure, alors que se dégradent en parallèle les conditions de travail : « Les ordinateurs ne fonctionnent pas, la connexion saute, les salles sont étouffantes faute de clim’. Tous les jours, il y a un truc qui ne marche pas. » Sur cette île française, adultes et enfants apprennent une curieuse leçon, celle du désenchantement.