
L’ancien président d’Emmaüs s’est ouvert dès 2009 des problèmes posés par le fondateur du mouvement, qu’il « fallait surveiller sans relâche », d’après des notes prises à l’époque par un conseiller de Nicolas Sarkozy.
Ce sont quelques lignes seulement, rédigées en 2009 par Patrick Buisson. Seize ans plus tard, en pleine affaire abbé Pierre, elles prennent une force qu’il n’aurait sans doute jamais imaginée. Les archives de l’ancien conseiller officieux de Nicolas Sarkozy – Mediapart a mis la main sur son journal de bord au cœur du pouvoir – exposent aujourd’hui Martin Hirsch, l’une des anciennes figures du mouvement Emmaüs.
Cette organisation a été cofond ée par l’abbé Pierre, mort en 2007 et aujourd’hui visé par quarante-cinq accusations de violences sexuelles. Martin Hirsch a quant à lui été le président d’Emmaüs de mai 2002 à mai 2007, date à laquelle il a démissionné de ses fonctions pour être nommé haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, au début de la présidence Sarkozy. (...)
À l’époque, selon les archives de Patrick Buisson, Martin Hirsch aurait expliqué que l’abbé Pierre « était un véritable obsédé sexuel », mais aussi « qu’il fallait le surveiller sans relâche ». (...)
Auprès de Mediapart, Martin Hirsch insiste sur le fait qu’il n’a « jamais été informé ou alerté d’agressions par l’abbé Pierre ». « Ce qui a été révélé depuis un an a été une découverte pour moi », dit-il encore. Même si Martin Hirsch en convient : il lui « est arrivé face à ceux qui [lui] expliquaient que l’abbé Pierre était un saint merveilleux de parler de ce qu’[il] considérai[t] comme de la désinhibition par l’âge, que ce soit des résurgences d’antisémitisme ou un côté très graveleux, qui l’apparentaient effectivement à un vieil obsédé, sans – encore une fois – qu’[il ait] pu imaginer qu’il puisse avoir commis le moindre viol ».
Un « secret » bien gardé
Dans une tribune publiée dans La Croix en juillet 2024 juste après la remise d’un premier rapport d’enquête commandé par Emmaüs à un cabinet spécialisé, Hirsch avait notamment raconté avoir été récipiendaire d’un « secret » du mouvement d’Emmaüs lié à l’envoi du religieux, en 1957, dans une clinique suisse en raison de son « comportement avec les femmes ».
« On ne parlait pas d’agressions, mais de pulsions. On évoquait une maladie et un traitement qui lui aurait été donné depuis lors », précisait l’ancien président dans ce texte (...)
Dans le premier rapport rendu public par Emmaüs en juillet 2024, une personne « qui connaît bien le mouvement » avait aussi confirmé l’existence de ce « secret » de Polichinelle : « Toute une génération savait que l’abbé Pierre dérapait. […] Ce n’était pas un épiphénomène. »
Dans leur livre-enquête Abbé Pierre : la fabrique d’un saint (éditions Allary), les journalistes Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin ont aussi révélé, sur la base d’archives consultées au Vatican, que le Saint-Siège avait été averti de ce problème dès 1955. (...)
En 2007 puis 2008, juste après la mort de l’abbé Pierre, à 94 ans, deux livres avaient déjà évoqué un comportement problématique, sans que le sujet soit à l’époque traité.
Emmaüs a depuis entrepris un large travail d’introspection. Dans un long communiqué publié au moment de la publication d’un quatrième rapport faisant état de douze nouveaux témoignages, mercredi 9 juillet, l’organisation a reconnu sa « responsabilité historique ». Et a annoncé notamment la création d’un « dispositif de réparation financière » sur le modèle des mécanismes déployés par certaines congrégations catholiques mises en cause dans des scandales pédocriminels. (...)