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Alexeï Navalny, itinéraire d’un jeune avocat devenu principal opposant
#Navalny #Poutine
Article mis en ligne le 17 février 2024

Emprisonné depuis 2021, Alexeï Navalny bénéficiait, jusqu’à son décès annoncé vendredi, de l’aura de premier opposant à Vladimir Poutine. Et ce, en dépit de l’intense propagande d’État le présentant comme un ultranationaliste raciste. Retour sur un parcours politique complexe.

L’opposant russe et adversaire numéro 1 du Kremlin, Alexeï Navalny, est mort vendredi 16 février dans la prison de l’Arctique où il purgeait une peine de 19 ans de prison, ont annoncé les services pénitentiaires (FSIN). (...)

Ses multiples procès avaient été largement dénoncés comme politiques et une manière de le punir pour son opposition à Vladimir Poutine (...)

Il avait enchaîné les problèmes de santé liés à une grève de la faim et à l’empoisonnement dont il avait été victime en 2020 et auquel il avait miraculeusement survécu.

La prison n’avait pas entamé sa détermination. (...)

Dans son procès pour « extrémisme », il avait fustigé « la guerre la plus stupide et la plus insensée du XXIe siècle », évoquant l’assaut russe contre l’Ukraine. Dans ses messages en ligne, il ironisait sur les brimades que l’administration carcérale lui faisait subir.

Dans un message le 1er février diffusé par son équipe sur les réseaux sociaux, il avait appelé à des manifestations partout en Russie lors de la présidentielle prévue du 15 au 17 mars et qui doit permettre à Vladimir Poutine de se maintenir au pouvoir.

La victoire du président russe semble acquise car les opposants, Alexeï Navalny en tête, ont été emprisonnés ou poussés à l’exil ces dernières années, et la répression s’est encore accrue depuis le début de l’assaut de Moscou en Ukraine, déclenché le 24 février 2022.
Propagande poutinienne et propos xénophobes (...)

Vladimir Poutine l’avait accusé dès décembre 2020 d’être « un agent des services américains », ce qui justifiait sa mise sous surveillance (...)

À l’époque, les grands médias d’État, télévisions en tête, n’avaient cessé de consacrer des sujets à un Navalny présenté tour à tour comme un néonazi, fasciste, ultranationaliste, raciste antisémite et xénophobe, appelant à la haine interethnique et fomentant une quasi-guerre civile. (...)

Pour comprendre les propos effectivement odieux, xénophobes et racistes tenus un temps par Alexeï Navalny à la fin des années 2000, il faut retracer l’itinéraire politique de cet avocat de formation. Et il faut le situer dans le paysage très particulier de la Russie, où les catégories politiques de l’Occident se révèlent la plupart du temps inopérantes. (...)

En 2000, à 24 ans, le jeune juriste Navalny s’engage au sein du parti Iabloko, petit parti libéral, démocrate, dirigé par Grigori Iavlinski et dont les positions sont assez semblables à celles des chrétiens-démocrates allemands. Ce parti est alors marginalisé, a perdu toute représentation au Parlement. (...)

L’homme est aussi un suractif, pressé et ambitieux, et son militantisme bruyant provoque de fortes tensions au sein du parti à Moscou, où il a rapidement pris des responsabilités.

Alexeï Navalny comprend progressivement que ce libéralisme à la mode occidentale est assimilé par la population russe à la catastrophe des années 1990. Il découvre également qu’une partie de cette opposition urbaine et sophistiquée n’a parfois que mépris pour un peuple russe jugé apathique et soumis au tsar. (...)

Or Navalny veut emporter le peuple. À partir de 2006, il commence à parler de nationalisme sur son blog. En 2007, il crée le Mouvement de libération nationale russe, dont l’acronyme russe est justement Narod (« le peuple »), ce qui lui vaut d’être exclu de Iabloko pour « activités nationalistes ». Et Navalny se définit alors comme « national-démocrate ».

L’époque est à disserter sur ce que doit être la nouvelle « idée russe ». Le Kremlin théorise que la démocratie occidentale est une impasse pour la Russie. Poutine encourage la construction d’un nouveau récit national (...)

Mais il existe alors bien d’autres mouvements nationalistes et ultras qui rassemblent une partie de l’opposition et une jeunesse pauvre et contestataire : des néonazis, des skinheads, une extrême droite slave et raciste, des nostalgiques de Staline. Et une force domine cette nébuleuse : celle de l’écrivain Édouard Limonov et de son parti des nationaux-bolcheviks (les natsbol).

Marlène Laruelle, historienne, spécialiste des idéologies nationalistes dans le monde russe, détaille ce bouillonnement dans une remarquable étude publiée en 2014 dans la revue Post-Soviet Affairs. Dans cette marmite nationaliste où cohabitent le pire et le nauséabond, le projet de Navalny va être de « réconcilier le nationalisme, la démocratie et le libéralisme », note Marlène Laruelle.

Cela donne des horreurs, quand Navalny qualifie de « cafards » les Caucasiens, reprend à leur égard l’injure russe classique de « culs noirs » et demande « la déportation » de tous les travailleurs clandestins venus des pays d’Asie centrale anciennement soviétiques (...)

C’est ainsi que se justifie Navalny sur son blog, en notant qu’il y a dans ces marches « des gens normaux, de bonne foi, pas seulement des extrémistes, et qu’il faut leur parler ».

En 2011, il participe au comité d’organisation de cette marche et d’autres slogans apparaissent : « Pour les droits et libertés des Russes » ; « Pour des élections justes et libres ». La stratégie de Navalny est claire : faire un travail politique dans ces mouvances qui agrègent en cette fin des années 2000 une bonne partie de l’opposition. (...)

Mais cette synthèse entre nationalisme, démocratie et libéralisme échouera. À partir de 2013, après sa campagne électorale pour la mairie de Moscou (seule élection à laquelle il fut autorisé à se présenter), Navalny abandonnera ces questions, se consacrant exclusivement à la dénonciation de la corruption du régime Poutine. (...)

dès le début des années 2010, Alexeï Navalny comprend que sa notoriété ne provient pas de ses diatribes nationalistes, qu’il oublie progressivement, mais de son blog Rospil (« Le pillage de la Russie ») qui devient l’un des plus lus en Russie. Quelques années avant, l’avocat a acheté pour 10 000 dollars d’actions de grands groupes. Il s’invite aux assemblées générales, exige les documents et bilans financiers, se fait même nommer brièvement administrateur de la compagnie Aeroflot avec l’aide d’un homme d’affaires.

Le juriste Navalny, aidé par des informateurs au cœur du système, va dévoiler quelques-uns des plus gros scandales de détournement, d’évasion fiscale, de corruption. L’aéroport de Cheremetievo, Aeroflot, des banques, un gazoduc sibérien : l’argent s’échappe par milliards de dollars vers Malte, la Suisse, Israël, la City de Londres, les îles Caïmans et tous les grands paradis fiscaux de la planète.

On le soupçonne de n’être qu’un pantin dans les mains d’oligarques avides de régler leurs comptes entre eux via le blog Rospil. Navalny évolue encore en mettant la corruption en regard de la misère sociale et en s’en prenant aux grandes figures du pouvoir. En 2011, il crée le FBK, Fonds de lutte contre la corruption, qui se met à publier des enquêtes dévastatrices pour les élites.

Lors des grandes manifestations de 2011 et 2012, il découvre la soudaine popularité du Front de gauche, un parti de gauche radicale ancré dans les luttes sociales. (...)

Karine Clément, sociologue affiliée au CNRS, a été très investie dans les années 2000 dans les luttes syndicales et citoyennes en Russie. Dans un billet de blog sur Mediapart, en février 2021, elle explique avoir eu d’innombrables désaccords avec Navalny, rencontré à plusieurs reprises. « Mais lors de ses déplacements à la fin des années 2010, il soulevait régulièrement la question des inégalités sociales, des salaires lamentablement bas, de l’état de déliquescence des infrastructures et des services publics, ce qu’il était le seul à faire dans l’opposition libérale », écrit-elle.

Tout cela ne constitue pas encore un programme. À partir de 2015, alors que sa notoriété ne fait que grandir, Navalny martèle trois points : la lutte contre la corruption, l’État de droit, la démocratie par des élections libres. Le reste suivra. Et cela suit, avec des antennes régionales qui se créent de plus en plus nombreuses à partir de collectifs constitués autour de luttes locales (...)

« D’abord, Navalny va sur le terrain », expliquait Cécile Vaissié à Mediapart en 2021. « Ensuite, il a su s’entourer de gens compétents, efficaces. Quelqu’un comme l’économiste Sergueï Gouriev en est la preuve. On le décrit comme un homme seul, un Bonaparte décidant de tout, ce qui est faux. Il a au contraire constitué des équipes très autonomes, c’est un mouvement décentralisé. Et très peu de gens l’ont lâché ces dernières années. »

Ses organisations dissoutes, ses réseaux régionaux démantelés et lui-même décédé en prison, que restera-t-il de tout cela ? (...)

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 Mort de Navalny : le RN pris au piège de ses ambiguïtés-quotidienne-20240216-210325%20&M_BT=167753986353]

La classe politique française a rendu hommage à Alexeï Navalny et dénoncé la responsabilité de Vladimir Poutine. Le Rassemblement national a tenté de faire oublier qu’il avait voté contre plusieurs résolutions européennes qui condamnaient sa captivité.

QuelquesQuelques heures après l’annonce de la mort d’Alexeï Navalny dans le centre pénitentiaire de l’Arctique où il purgeait une peine de dix-neuf ans de prison, la classe politique française a unanimement réagi pour rendre hommage à l’opposant et dénoncer la responsabilité de Vladimir Poutine. Le président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella s’est lui aussi exprimé, tout comme Marine Le Pen, à rebours des positions et des votes de leur parti sur le sujet au Parlement européen depuis des années. (...)

 Dossier Navalny, l’anti-Poutine

 (France24)
La mort d’Alexeï Navalny suscite l’indignation en Occident, l’ONU réclame une enquête "crédible"

(...) Plusieurs rassemblements spontanés de Russes expatriés ont eu lieu à l’étranger, par exemple à Varsovie, à Vilnius et à Berlin. Les autorités de Moscou ont de leur côté mis en garde les Russes contre toute manifestation au moment où des personnes faisaient la queue dans la soirée pour déposer des fleurs dans plusieurs cités russes sur des monuments à la mémoire des dissidents politiques. Des interpellations ont été signalées dans un certain nombre de villes dont la capitale russe par des chaînes Telegram russes spécialisées dans le suivi de la répression des actions de protestation. (...)