
Donald Trump était pourtant catégorique. « Je n’ai rien à voir avec le Projet 2025. Je ne l’ai pas vu et je ne veux pas le lire », assénait-il sur ABC face à sa rivale Kamala Harris le 10 septembre 2024. Deux mois avant l’élection et devant 67 millions d’Américains, le candidat d’alors ne veut laisser aucun doute sur sa relation avec ce programme controversé du think tank ultraconservateur Heritage Foundation. Brandi par le camp démocrate comme un manuel de destruction démocratique, ce document de 922 pages contient notamment des mesures drastiques contre les médias.
Derrière ces propositions, un visage bien connu du président américain. L’auteur du chapitre sur les télécoms du Projet 2025, Brendan Carr, travaille depuis 2012 à la Federal Communications Commission (FCC), le régulateur américain des télécommunications. Présentée comme une agence indépendante, la FCC régule les contenus des émissions de radio, télévision et Internet. Elle a notamment le pouvoir d’accorder et de retirer des licences et d’imposer des sanctions aux médias en cas de violation de la loi.
« Forums libéraux »
C’est Donald Trump qui, en 2017, nomme Brendan Carr commissaire de la FCC. Et c’est encore lui qui, quelques jours après sa seconde victoire, le propulse à la tête de l’organisation. Histoire de ne rien laisser au hasard, cette nomination est suivie d’un décret visant à donner à la Maison-Blanche le contrôle des agences indépendantes — dont la FCC. (...)
Désormais pleinement alignée avec les volontés de Donald Trump, l’agence dirigée par Brendan Carr peut passer à l’action. Le 29 janvier, soit neuf jours après l’investiture du nouveau président américain, le nouveau directeur de la FCC ordonne l’ouverture d’une enquête visant les médias audiovisuels publics NPR et PBS. Selon lui, il s’agit de déterminer si les stations membres de ces réseaux ont enfreint les règles fédérales en citant à l’antenne leurs sponsors financiers. (...)
La lettre envoyée aux responsables des deux organisations révèle toutefois un autre objectif. Brendan Carr y présente l’enquête comme un moyen d’éclairer le Congrès sur l’opportunité de supprimer le financement des médias publics. Lui-même affirme dans cette lettre ne « voir aucune raison pour laquelle le Congrès devrait continuer à envoyer des fonds publics à NPR et PBS ». Une opinion déjà inscrite dans le Projet 2025, où ces médias étaient qualifiés de « forums libéraux ».
Depuis sa réélection, Donald Trump et son administration multiplient de leur côté les attaques contre l’audiovisuel public. À la tête de la commission parlementaire sur l’efficacité gouvernementale, la représentante trumpiste Marjorie Taylor Greene l’accuse de promouvoir une « idéologie trans » et « woke ». De son côté, le président républicain estime qu’il serait « honoré » de mettre un terme à son financement. Une décision qui toucherait principalement les stations de radio et chaînes de télévision locales, lesquelles perçoivent 70 % des fonds publics alloués aux médias.
Dès son premier mandat, Donald Trump avait déjà engagé l’offensive en proposant à plusieurs reprises la suppression totale du financement de la Corporation for Public Broadcasting (CBS), l’organisme chargé de distribuer les subventions à l’audiovisuel public. À l’époque, le Congrès avait systématiquement refusé de suivre le président républicain.
Enquête ouverte et plaintes rétablies (...)
Si l’avenir de l’audiovisuel public national reste en suspens, celui des médias publics à vocation internationale s’est considérablement assombri. Par un décret signé le 14 mars, le président républicain a gelé les financements de l’Agency for Global Media (USAGM), l’agence chapeautant les diffuseurs publics américains tournés vers l’étranger. Cette décision a entraîné la suspension de 1 300 journalistes de Voice of America (VOA, « voix de l’Amérique »), ainsi que de centaines d’autres collaborateurs de Radio Free Asia et Radio Free Europe.
Un mois plus tôt, Elon Musk, à la tête du département de l’efficacité gouvernementale (Doge), avait déjà appelé à cette fermeture. (...)
Cette offensive globale s’accompagne de propos ciblés contre certains médias et journalistes. Avec Elon Musk, Donald Trump va jusqu’à réclamer publiquement le licenciement de journalistes sur leurs propres réseaux sociaux. « Il devrait être viré immédiatement !!! », écrit le président en février à propos d’un éditorialiste du Washington Post qu’il juge « incompétent ». Le même jour, Elon Musk emploie les mêmes mots sur X pour viser une journaliste du Wall Street Journal. Fin mars, depuis le Bureau ovale, Donald Trump qualifie le New York Times d’« ennemi du peuple », en réaction à un article critique à son égard.
Parmi les nombreux « démantèlements » prévus par le Projet 2025, celui du paysage médiatique est bien en marche. Plus largement, un mois après son investiture, le magazine Time estimait que deux tiers des décrets exécutifs signés par Donald Trump reprenaient des propositions issues de la feuille de route promue par le think tank. Le Projet 2025 imprègne chaque décision présidentielle, parfois au-delà même des intentions de ses auteurs. Dans un entretien fleuve accordé à Politico, son principal concepteur, Paul Dans, n’en revient pas : « C’est au-delà de mes rêves les plus fous. »