
Si le Kremlin cache la chronologie de l’attentat du Crocus City Hall, c’est pour mieux masquer les failles béantes dans sa lutte contre le terrorisme djihadiste
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Reconnaître la nature de ce crime de masse, un attentat terroriste djihadiste, c’est entrouvrir la porte sur les failles des forces de sécurité russes. En l’espèce, ces failles sont béantes. (...) (...)
Avant l’attentat
L’histoire est connue. Les États-Unis ont recueilli début mars des renseignements selon lesquels l’État islamique du Khorassan, connu sous le nom d’EI-K, préparait une attaque contre Moscou.
Le 7 mars, l’ambassade des États-Unis à Moscou avait exhorté les Américains à « éviter les grands rassemblements, y compris les concerts », au cours des 48 heures suivantes, compte tenu des plans « imminents » d’« extrémistes » s’apprêtant à frapper la capitale russe. La porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, Adrienne Watson, a confirmé dans une déclaration fournie à CBS News dès vendredi soir que dans le courant du mois de mars, « le gouvernement américain a eu des informations sur une attaque terroriste planifiée à Moscou » et qu’il avait « partagé ces informations avec les autorités russes ». Et pourtant, trois jours avant la tragédie, Vladimir Poutine évoquait devant les agents du FSB cet avertissement en dénonçant « un chantage explicite et une volonté de déstabiliser et effrayer [la] société [russe] »… Le président russe préférait dans son allocution mettre l’accent sur les vrais ennemis menaçant le pays, les « traîtres » à la solde de l’Ukraine.
144 morts plus tard, la séquence est désastreuse pour celui qui vient d’être réélu dans un fauteuil pour six années supplémentaires. (...)
La réalité, c’est que la lutte antiterroriste russe a été réorientée depuis trois ans en direction de Kyiv. Lundi matin, Le Monde soulignait que si les affaires officiellement liées au « terrorisme » ont augmenté de façon exponentielle en 2023, elles concernent quasi exclusivement les opposants à la guerre en Ukraine. Et ce, alors que l’État islamique du Khorassan cible depuis plusieurs mois la Russie dans sa propagande et que, le 3 mars dernier, le FSB annonçait avoir déjoué une fusillade planifiée dans une synagogue par une cellule de l’EI-K.
Pendant l’attentat (...)
Les survivant·es du massacre sont évacué·es par des hélicoptères médicaux et des ambulances, tandis que des pompiers bataillent des heures pour maîtriser l’incendie. Pendant ce temps, les quatre terroristes ont abandonné leurs armes et sont repartis dans la Renault Symbol blanche avec laquelle ils étaient arrivés sur les lieux du crime. Dans son communiqué de vendredi soir, l’État islamique se félicitera que le commando ait « regagné sa base en toute sécurité ». Voilà pour ce qu’on en sait.
Pour le reste, les autorités russes se font très discrètes. (...)
C’est une évidence, il faut plus de temps pour tuer plus de cent personnes que moins de dix. Et, en fonction, cela interroge sur le délai d’intervention des forces de l’ordre russes. (...)
Comment expliquer l’inaction des policiers de Krasnogorsk, une ville en périphérie de Moscou ?
Après l’attentat
Samedi matin, onze personnes sont interpellées dans l’oblast de Briansk, dont les quatre terroristes présumés, originaires du Tadjikistan, et sont placés en détention provisoire dans la nuit de dimanche à lundi. Ils y resteront jusqu’au 22 mai, en attente de leur procès, dont la date n’a pas encore été fixée. Les quatre hommes encourent la réclusion criminelle à perpétuité. On ignore tout du sort des sept autres interpellés, leurs profils, et même si des charges ont été aussi retenues contre eux. (...)
C’est la Renault Symbol blanche qui aurait permis de remonter aux tueurs du Crocus City Hall. Repérés, ils auraient tenté de franchir un barrage. Leur arrestation est l’occasion d’une démonstration de force des autorités russes qui ne se privent pas de faire fuiter les images des visages ensanglantés de trois des quatre assaillants auprès de la télévision publique russe. Une autre vidéo, diffusée sur Internet, montre l’un des suspects en train de se faire sectionner l’oreille par une personne se trouvant hors champ. Sur une photographie publiée dimanche, un autre suspect apparaît avec un générateur électrique relié à son appareil génital. Lors d’une audience devant le comité d’enquête russe dimanche soir, l’un d’eux avait un bandage blanc à l’oreille, tandis qu’un autre est arrivé dans un fauteuil roulant, les yeux fermés.
Leonid Volkov, l’une des figures de l’opposition russe en exil, a dénoncé lundi une tentative des services de sécurité russes « de détourner l’attention de [leur] impuissance et de [leur] échec » en montrant ces vidéos. De son côté, interrogé par des journalistes à propos des allégations de torture des suspects, Dmitri Peskov a botté en touche : « Je laisserai cette question sans réponse… », a-t-il déclaré lors de son point presse.