
Accusé d’avoir rémunéré pendant des années un emploi fictif, l’hebdomadaire est par ailleurs mis en cause pour sa manière de traiter ses pigistes. Au moins trois d’entre eux attaquent le journal devant les prud’hommes et plusieurs de ses salariés dénoncent une gestion « minable ».
« Être pigiste au Canard, c’est rester invisible en subissant l’opacité et l’arbitraire. » Depuis plus de deux ans, le journal satirique fait face à un grand déballage qui divise la rédaction, ses journalistes et ses pigistes, ces collaborateurs et collaboratrices précaires payé·es à l’article.
La crise a débuté après les révélations de Christophe Nobili, enquêteur pour le « Palmipède » depuis plus de vingt ans. En mai 2022, il porte plainte puis raconte dans un livre ce qu’il a déniché dans sa propre maison : un emploi présumé fictif au sein même de l’hebdomadaire qui a révélé celui de Penelope Fillon. La compagne d’un dessinateur historique du journal a été rémunérée pour un coût de près de 3 millions d’euros pendant vingt-quatre ans. En juillet 2025, Michel Gaillard, président du Canard enchaîné de 1992 à 2023, son successeur, Nicolas Brimo, le dessinateur et sa compagne seront jugés pour abus de biens sociaux.
Pendant tout le temps de l’enquête, cette même direction, qui conteste toutes les accusations, a également été mise en cause pour s’être opposée à la création d’un syndicat et avoir tenté de licencier Christophe Nobili.
Depuis, face aux journalistes pigistes qui se sont regroupé·es, la direction a évolué, mais pas assez pour faire taire certaines colères. L’agenda judiciaire du « Palmipède » comporte ainsi, outre son procès prévu en juillet, plusieurs rendez-vous devant les prud’hommes.
Avant cela, trente-cinq pigistes, sur la centaine du journal, ont tenté d’alerter la direction. Dans un mail rédigé fin 2022, ils dénoncent des contributions trop souvent « oubliées » ou « scandaleusement sous-payées » et un « management erratique, opaque et même brutal ». « Le prestige de la marque ne justifie pas la maltraitance », écrivaient-ils. (...)
Trois procédures devant les prud’hommes (...)
plusieurs pigistes dénoncent leurs conditions de travail dans Arrêt sur images et StreetPress. Ils listent de nombreux problèmes jugés systémiques : l’opacité des rémunérations, le mépris régulier de la direction, l’interdiction de signer leurs articles ou leur appropriation par des journalistes…
Dans des documents obtenus par Mediapart, certain·es fustigent aussi la brutalité du journal. L’une raconte qu’un rédacteur en chef aurait exigé qu’elle travaille pendant son congé maternité. (...)
Au fil de réunions, ces pigistes arrachent quelques concessions : pouvoir relire leurs articles avant le bouclage, ne plus voir d’autres signatures rajoutées en douce ou la mise en place d’un tarif minimum. Loin d’être suffisant, d’après la quinzaine de pigistes et journalistes du Canard sollicité·es par Mediapart, qui ont tou·tes souhaité garder l’anonymat. Selon nos informations, quatre pigistes ont entamé des procédures contre le journal et trois ont une audience prévue cette année devant les prud’hommes. (...)
Si le journal accuse une baisse des recettes, il est tout de même assis sur près de 130 millions d’euros de réserves et ses salarié·es bénéficient d’avantages très importants : des 13e, 14e et 15e mois, une participation et une prime d’intéressement. La plupart touchent aussi un salaire confortable, parfois bien plus élevé que dans les autres médias. Jusqu’à récemment, aucun journaliste ne signait de contrat de travail et les salaires fixes, tenus confidentiels, étaient complétés par des primes annuelles distribuées de manière discrétionnaire lors d’une cérémonie dite « des chocolats ».
Frédéric Haziza, pigiste de luxe
Surtout, une dizaine de pigistes est très privilégiée et bénéficie d’un salaire fixe sans salariat permanent.
Frédéric Haziza, salarié sur la station Radio J et évincé de la rédaction de la chaîne LCP pour des violences sexuelles, est l’un d’eux. Il collabore depuis 1991 et pige régulièrement pour « La mare aux canards », la page 2 du journal.
C’est un des pigistes les mieux traités : un salaire fixe de 100 000 euros par an et les mêmes avantages que les autres journalistes. (...)