
Lundi 23 juin, le tribunal de Pontoise revenait sur la manifestation tenue en 2023 dans le Val-d’Oise à l’égard d’un campement de familles roms. Au terme de cette mobilisation aux accents racistes, les occupants avaient quitté les lieux. Une relaxe générale a été déclarée pour les participants au cortège.
Cela ressemble à une manifestation raciste, les propos qui y sont tenus ont tous les atours de propos racistes et la résultante a tout d’une expulsion sous la contrainte. Mais à la fin, c’est relaxe générale pour les six mis en cause. Lundi 23 juin au soir, le tribunal correctionnel de Pontoise a libéré le maire de la commune de Villeron (Val-d’Oise) et cinq de ses administrés des charges qui pesaient sur eux depuis cette manifestation du 5 février 2023. À cette annonce, un soulagement et même des larmes de joie sont apparus sur leurs visages.
Toutes et tous avaient participé un dimanche d’hiver, il y a deux ans, à la manifestation intitulée « Pour la dissolution du camp de Roms ». Trois avaient déclaré le rassemblement en préfecture – qui l’avait autorisé – alors même qu’une procédure devant la justice en vue d’une expulsion était en cours. L’un avait contourné le dispositif de sécurité mis en place par les gendarmes et avait haussé le ton contre les militaires pour mieux aller crier « barrez-vous » aux occupant·es du campement installé dans le bois de la commune depuis cinq mois et dans lequel ont vécu jusqu’à 150 personnes cet hiver-là.
Le maire, Dominique Kudla, avait quant à lui observé le cortège sans broncher, même quand une pierre avait visé les habitations, à la vue des pancartes « Villeron n’est pas ville rom ». Aux militaires présents, il déclarait : « Il faut bien qu’ils se défoulent un peu. » (...)
Puis les familles roms ayant quitté les lieux face à la mobilisation, l’élu avait décidé d’appeler un entrepreneur de sa connaissance pour qu’il intervienne immédiatement, un dimanche après-midi, pour creuser une tranchée empêchant toute nouvelle occupation. Et enfin, tant qu’à faire, pour qu’il détruise les baraquements.
Le sixième mis en cause était le conducteur et propriétaire de l’engin, qui avait planté son repas de famille et le match de rugby du jour pour obéir à la demande apparemment urgente de l’édile.
Pour toutes et tous, le tribunal a estimé que les infractions reprochées n’étaient pas constituées, que les éléments de preuves n’étaient pas suffisants. Quant au contexte général, il n’est pas là pour « apprécier le reste », a déclaré la présidente dans un jugement formulé en quelques phrases et rendu en moins de vingt minutes, au terme de plus de sept heures d’audience. Relaxe générale donc, et accession à toutes les demandes d’indemnisations pour dommages-intérêts ou « citation abusive ».
Manifestation « bon enfant » et « bienveillance »
Au fil de la journée, les auditions ont pourtant une nouvelle fois illustré que le déroulé de cette manifestation présentée comme « bon enfant » était tout sauf banal. (...)
« Qu’est-ce que j’ai dit de mal ? »
Même s’il ne manquait pas de commenter le début du procès à ses voisins de banc, une fois à la barre, le maire, Dominique Kudla, balbutie et s’emmêle, empreint de nervosité. La faute, explique-t-il, à un AVC survenu en 2023, « certainement lié » à sa mise en cause dans l’affaire. Lui ne faisait pas partie des organisateurs. Si les gendarmes ont pointé dans leurs auditions sa passivité lors des débordements, il dit ne pas comprendre le reproche.
Sur l’appel au propriétaire de la pelleteuse, un dimanche après-midi, pour détruire le campement hors de tout cadre légal, il déroule la partition de l’élu local accablé : « C’est toujours la faute des maires, pas étonnant qu’il n’y ait plus de candidats et qu’on sabote la démocratie. Si on fait rien, c’est notre faute, si on fait quelque chose, c’est notre faute. »
Rappelé aux propos qu’il a tenus dans ses éditos du journal municipal, au sujet des Roms : « Rien que d’évoquer leur nom, mes poils se hérissent » ; ou encore un développement sur « l’action négative et polluante de cette population sans foi ni loi », celui qui dirige la commune depuis onze ans rétorque avec aplomb : « Qu’est-ce que j’ai dit de mal ? » Lui aussi se défend de toute forme de racisme au nom de « ses grands-pères polonais » aux ascendances « probablement tziganes ». (...)
Les plaidoiries des parties civiles, une dizaine d’associations venues en renfort des trois plaignants – parmi lesquelles Romeurope, La Voix des Rroms, la Fondation pour le logement des défavorisés, le Mrap – n’auront pas survécu à ce décorticage en règle. Balayées, les considérations sur les droits fondamentaux et la permanence de l’antitsiganisme encore récemment confirmée par un rapport de la CNCDH.
Pour Gabriel Sebbah, avocat de Romeurope et de la Fondation pour le logement des défavorisés, ce qui a eu lieu était pourtant « une manifestation violente, prête à en découdre, dans un climat de tensions depuis plusieurs mois, un contexte forcément impressionnant pour ces familles », rendant l’idée d’un « départ volontaire » absurde. « On a rarement assisté ces dernières années à des faits racistes d’une telle ampleur », assure dans un même élan l’avocate du Mrap, Sophia Toloudi. (...)
Comme un château de cartes, chaque délit reproché voit ses bases vaciller sous la froide technicité du droit. Et la responsabilité des accents haineux, xénophobes et antitsiganes constatés, diluée dans la masse des 150 manifestant·es.
Les associations, sonnées, ont annoncé qu’elles feraient appel. « Si on autorise une manifestation comme ça, c’est la porte ouverte à tout », souffle Henri Braun, avocat de l’association La Voix des Rroms.