
L’actrice et réalisatrice a dénoncé vendredi soir un cinéma utilisé comme « couverture pour un trafic illicite de jeunes filles ». Si la cérémonie a semblé continuer comme si de rien était, à l’extérieur de la salle, où une centaine de personnes manifestaient, sa prise de parole a été très soutenue.
(...) vague #MeToo : mise en cause des cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon par plusieurs actrices ; nouvelles accusations contre les comédiens Gérard Depardieu et Philippe Caubère ; lancement du mouvement #MeTooGarçons par l’acteur Aurélien Wiik. (...)
une tribune qui lui a été offerte, et qu’elle a utilisée pour porter les « deux mille » témoignages de violences sexuelles qu’elle dit avoir reçus « en quatre jours ». « Je suis une foule qui vous regarde dans les yeux ce soir », a-t-elle déclaré en préambule, en se présentant comme « une revenante des Amériques qui vient donner des coups de pied dans la porte blindée ».
« Où êtes-vous ? Que dites-vous ? »
Dans un discours de six minutes, Judith Godrèche a mis l’industrie cinématographique face à son silence. « Depuis quelque temps, la parole se délie, l’image de nos pairs idéalisés s’écorche, le pouvoir semble presque tanguer, serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face ? Prendre nos responsabilités ? Être les acteurs, les actrices d’un univers qui se remet en question ?, a-t-elle interrogé. [...] Où êtes-vous ? Que dites-vous ? Un chuchotement. Un demi-mot. [...] Je sais que ça fait peur. Perdre des subventions. Perdre des rôles. Perdre son travail. Moi aussi. Moi aussi, j’ai peur. J’ai arrêté l’école à 15 ans, j’ai pas le bac, rien. Ça serait compliqué d’être blacklistée de tout. »
« Nous pouvons décider que des hommes accusés de viol ne puissent pas faire la pluie et le beau temps dans le cinéma », a-t-elle poursuivi, en appelant au « courage de dire tout haut ce que nous savons tout bas ». « On ne peut pas être à un tel niveau d’impunité, de déni et de privilège qui fait que la morale nous passe par-dessus la tête. Nous devons donner l’exemple. Nous aussi. »
« Il faut se méfier des petites filles, elles touchent le fond de la piscine, elles se blessent mais elles rebondissent », a conclu l’actrice, émue. (...)
Mais après sa parole, le silence a semblé s’installer à nouveau. À l’exception des actrices Bérénice Bejo et Ariane Ascaride qui ont chaleureusement salué sa prise de parole en lui succédant sur scène (...)
La réalisatrice Audrey Diwan a rompu le silence en rendant hommage au « courage » de Judith Godrèche et de celles et ceux qui prennent la parole. « Nous, quand la parole se libère, on a une responsabilité. [...] Il ne s’agit pas de créer des camps, des antagonismes. [...] Personne ne soutient les violences sexuelles et sexistes dans cette salle, non ? », a-t-elle interrogé, sous de timides applaudissements.
Grande gagnante de la soirée avec six César pour Anatomie d’une chute – dont celui de la meilleure réalisation, qu’elle est la deuxième femme à décrocher –, la réalisatrice Justine Triet a dédié son trophée du meilleur film « à toutes les femmes, celles qui se sentent coincées dans leurs choix, dans leurs solitudes, celles qui existent trop et celles qui n’existent pas assez, celles qui réussissent et celles qui ratent, celles qu’on a blessées et qui se libèrent en parlant et à celles qui n’y arrivent pas ».
« Bravo à Judith »
À l’extérieur de la salle, le ton est plus radical. Une centaine de personnes se sont rassemblées devant l’Olympia, à l’appel de collectifs et syndicats de la profession : la CGT spectacles, la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF), le collectif 50/50, l’Association des Acteur·ices (ADA) et quelques autres. (...)
Après le soutien à Judith Godrèche, le rassemblement a mis l’accent sur les autres victimes de l’industrie du cinéma, plus invisibilisées encore que les actrices. (...)
Depuis le séisme provoqué par Adèle Haenel, le cinéma a tout de même entamé une lente évolution de ses pratiques. (...)
Le discours de Judith Godrèche aux Césars pour dénoncer les violences sexuelles dans le cinéma ⬇️
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Pour rappel, l’humoriste avait publié une story Instagram, mardi 20 février, dans laquelle elle s’insurge contre la sortie du film "CE2" de Jacques Doillon. Le réalisateur est accusé par Judith Godrèche de "viol sur mineur de moins de 15 ans".
Sur Instagram, Nora Hamzawi écrit que la sortie du film, tourné il y a 4 ans et dans lequel elle a un rôle, a été maintenue : "Je ne soutiens pas cette décision qui d’après moi, représente un mépris vis-à-vis de la parole des femmes". Ce nouveau long-métrage parle d’une jeune fille de CE2, harcelée et agressée sexuellement par un de ses camarades de classe. Il devrait sortir en salle le 27 mars prochain.
– (Regards/Clémentine Autain)
Les leaders politiques s’expriment quasiment sur tous les sujets de premier plan dans l’actualité. Mais pour le nouveau flot de la vague #MeToo, où sont leurs tweets, déclarations, communiqués de presse ?
Silence, on tourne
Un silence de plomb politique.
La bouleversante prise de parole de Judith Godrèche sur l’emprise et les violences commises par Benoit Jacquot, et Jacques Doillon [1], suivie d’autres, n’a suscité aucune réaction politique. Comme si nous nous étions habitués aux flots de la vague #MeToo. Comme si ces rapports de domination d’un sexe sur l’autre, d’un adulte sur un enfant n’avaient rien à voir avec la politique. Comme si nous n’avions au fond plus rien à dire, ni à proposer pour agir contre ces violences.
Les leaders politiques s’expriment quasiment sur tous les sujets de premier plan dans l’actualité. Mais sur celui-là, leur parole s’approche du néant. Et quand on entend une voix, c’est parfois pour le pire, comme Emmanuel Macron dénonçant une « chasse à l’homme » contre Gérard Depardieu.
À gauche, nos principes émancipateurs supposent d’accompagner cette parole. Pourtant, le mutisme domine. Ces témoignages qui font la Une de l’actualité et agitent les réseaux sociaux ne seraient-ils donc pas dignes d’un tweet, d’un communiqué de presse, d’une tribune ? Ni d’une question de journalistes dans les grands entretiens politiques, question qui ne serait donc pas uniquement posée aux femmes s’intéressant à cet enjeu ? Pourtant, c’est tout un imaginaire, celui de la muse et du génie créateur, qui est bousculé. C’est le discours du prédateur qui nous est livré. Ce sont des pratiques journalistiques complices qui se trouvent mises à nu. (...)