
L’enseignement catholique l’a dit sur tous les tons depuis Bétharram. Il est pour un contrôle accru des établissements privés. Il y a quelques mois pourtant, son patron Philippe Delorme tentait d’infléchir la position du ministère sur le périmètre de ces contrôles.
Il y a les choses qu’on dit et les choses qu’on fait. En la matière, l’audition du patron du secrétariat général de l’enseignement catholique (Sgec), Philippe Delorme, mardi 2 avril devant la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires, s’avère particulièrement éloquente.
Secoué par la montagne de révélations sur les violences sexuelles et physiques commises dans les établissements du réseau catholique (qui représentent 95 % des établissements privés sous contrat), Philippe Delorme a rappelé en préambule son ambition d’une complète « libération de la parole », et sa volonté de toujours protéger les enfants « plutôt que l’institution ». Il n’a d’ailleurs pas cessé de réclamer publiquement dans les médias « plus de contrôles » par la puissance publique des établissements scolaires de son réseau, assurant que l’enseignement catholique n’avait « rien à cacher ».
Le corapporteur de la commission d’enquête, le député insoumis Paul Vannier, a cependant exhumé un courrier troublant adressé par le même Philippe Delorme au ministère de l’éducation nationale, le 29 novembre 2024. Un courrier qui porte sur le guide de contrôle que la direction des affaires financières (chargée de l’enseignement privé) s’apprête alors à mettre en place, après que de nombreux scandales ont éclaboussé le secteur. (...)
Or, le futur guide de contrôle est assimilé, dans cet écrit de Philippe Delorme, à un « manuel de l’inquisiteur », qui favoriserait un « système de délation ». Le directeur du Sgec insiste également sur la nécessité que les contrôles réalisés dans le privé ne soient pas « identiques » à ceux du public, au nom du sacro-saint respect de la loi Debré, qui définit le contrat qui lie en France l’État et l’école privée. (...)
Au total, vingt-huit annotations sont faites directement sur ce document de travail, dont deux principales : la suppression de la fiche numéro cinq, qui organise le contrôle de la vie scolaire (tout ce qui concerne la vie d’un élève quand il n’est pas en classe), ainsi que celle de la fiche numéro huit, qui porte sur le respect du cadre du contrat d’association, sur les huit que compte le guide au total.
« La fiche cinq conduit notamment les inspecteurs à s’assurer de l’affichage obligatoire de la devise républicaine dans les écoles et de l’affichage du numéro 119, mis en place pour alerter sur des violences sexuelles. Pourquoi avoir voulu faire disparaître ces deux fiches ? », interroge Paul Vannier. Le député rappelle à cette occasion que le contrôle de la vie scolaire et de l’établissement inclut logiquement la surveillance des internats, deux fois plus nombreux dans le privé catholique que dans le public, et lieux propices aux violences sexuelles.
L’explication de Philippe Delorme est laborieuse. (...)
« On n’écrirait pas les choses de la même façon aujourd’hui », finit par lâcher le chef de file de l’enseignement catholique, avec peut-être en tête la demande unanime des collectifs de victimes, auditionnés la semaine passée par la même commission, d’un contrôle effectif des internats et de la vie scolaire, pour affronter le « #MeToo de l’enseignement catholique ». Le ministère a d’ailleurs finalement tenu bon sur les fiches cinq et huit du fameux guide, même si le chantier commence à peine.
Sur le caractère inopiné des contrôles, Philippe Delorme avait aussi il y a six mois plusieurs réserves, arguant qu’ils devaient reposer sur une « programmation paisible et cohérente fondée sur une concertation avec la direction diocésaine et les chefs d’établissement ». Les deux peuvent « coexister », assure-t-il désormais sous serment. (...)
Des responsabilités diluées
Les rapporteurs de la commission d’enquête et sa présidente se sont également heurtés à plusieurs reprises à la structuration même de l’enseignement catholique, que Philippe Delorme a présentée comme une « pyramide » bien différente de l’Éducation nationale.
Une pyramide dont le socle fondateur est constitué par les chefs d’établissement, qui relèvent – à la différence des enseignants – du droit privé et sont missionnés directement par les diocèses ou les congrégations religieuses. Ce qui dans les faits semble autoriser un pilotage aléatoire. (...)
Même flottement sur la question d’une éventuelle collusion entre les organismes de gestion des établissements (Ogec), chargés de l’embauche des chefs d’établissement et du personnel non enseignant dans le privé catholique, et la seule association des parents d’élèves du secteur, l’Apel. Leurs liens sont nombreux et questionnent. Ainsi, il arrive que la présidente de l’Apel soit l’épouse d’un président d’Ogec, ce qui ne faciliterait pas la dénonciation des dérives dans les établissements, soulignent divers témoignages.
Si cette « situation n’est pas souhaitable », le secrétariat général de l’enseignement décline sa responsabilité dans le suivi de ce dossier. « Pourtant, vous nous expliquez votre volonté pour que tout soit mis en œuvre pour que ces violences n’aient plus lieu ? », relève Violette Spillebout.
Progrès sur l’éducation à la vie sexuelle et affective
Enfin, alors que le député Jean-Claude Raux, membre du groupe Écologiste et social, pose la question de la remontée des signalements effectués auprès du procureur ou des départements en cas d’atteintes graves à la protection de l’enfance, Philippe Delorme confesse être totalement à l’aveugle sur la question : « Je n’ai pas de statistiques à vous donner. Soyons clair, nous n’avons pas les outils ou les informations qui remontent, c’est un point d’amélioration. »
Cette commission d’enquête a cependant permis de prendre date sur un sujet qui a tout à voir avec la prévention des violences sexuelles, mais aussi avec le recueil de la parole des victimes, comme l’a souligné la députée socialiste Ayda Hadizadeh (...)
« Je connais et je combats ces associations qui pratiquent la désinformation » sur le sujet, a même déclaré Philippe Delorme, ciblant les nombreux collectifs proches des milieux identitaires mais aussi catholiques, en campagne depuis des mois contre le programme.
Un changement de pied salué par la présidente de la commission d’enquête, Fatiha Keloua Hachi : « Pendant un an, nous avons travaillé sur ce programme, nous avons reçu l’évêque de France, le recteur de la mosquée de Paris, le représentant des protestants, le discours était unanime sur le fait que cette éducation doit être faite en priorité dans les familles et que l’Éducation nationale n’avait pas de rôle à jouer là-dedans. Vous avez donc une autre position aujourd’hui et j’en suis satisfaite. »
Mais chassez le naturel, il revient au galop. « Si nous respectons scrupuleusement le programme, il n’est pas anormal que nous choisissions les intervenants reconnus par l’Éducation nationale en fonction de notre anthropologie », a souligné Philippe Delorme, à la question de savoir si le Planning familial, connu pour ses positions pro-IVG, pourrait dispenser, comme dans le public, ce fameux enseignement à la vie relationnelle, affective et sexuelle.