
« L’enseignement catholique est devenu le lieu privilégié de la reproduction sociale ». Dans un petit livre (L’enseignement privé, La Découverte, 128 p), Pierre Merle, professeur émérite de sociologie, réussit le tour de force de présenter son histoire, de démontrer ses effets sur la société et de proposer des solutions pour le rendre conforme au pacte républicain et à l’esprit de la loi Debré.
L’enseignement privé, et particulièrement l’enseignement catholique, fait l’actualité avec le récit des atrocités commises sur des élèves dans plusieurs établissements pendant de longues périodes. Le rapport Vannier - Spillebout interpelle les pouvoirs publics pour ce qu’il laisse voir d’inaction et de laisser-faire aussi bien par l’appareil d’Etat que par les autorités religieuses. Et il fait le lien entre le fonctionnement de l’enseignement catholique et ce laisser-faire.
Ce fonctionnement, l’ouvrage de P Merle le situe dans la longue histoire de l’enseignement privé en France. Il montre comment se sont additionnées les lois autorisant le financement public de l’enseignement privé et au final les accords qui aujourd’hui encore sont utilisés dans la pratique des relations Etat - enseignement catholique. C’est un des apports de l’ouvrage de rendre plusieurs siècles d’histoire, avec de nombreux revirements, clairs et accessibles, et sans simplifications abusives.
Le séparatisme du privé
Le second apport de l’ouvrage, c’est le travail du sociologue. A rebours des défenseurs de l’enseignement privé, il démontre comment celui-ci est devenu un outil de la bourgeoisie française pour pratiquer l’entre-soi.
Pierre Merle démontre qu’il s’agit bien d’une stratégie de l’enseignement catholique. (...)
"Un abîme sépare le recrutement social des collèges REP+ et celui des collèges privés", écrit P Merle. "Il en est de même du niveau de compétences des élèves scolarisés dans ces deux catégories de collèges tant le niveau scolaire est fortement corrélé à l’origine sociale".
Sur cette ségrégation scolaire et sociale, P Merle met des chiffres. (...)
"La transformation sociale du recrutement de l’enseignement privé, marquée par l’exclusion progressive des enfants d’origine populaire et une spécialisation continue dans la formation des élites, montre que l’enseignement catholique est devenu le lieu privilégié de la reproduction sociale", écrit P Merle.
Avec l’enseignement catholique, on a reconstitué l’ancienne division qui séparait le lycée bourgeois et le primaire supérieur populaire. (...)
Le privé, la droite et la gauche...
"La liberté de choisir ses élèves a-t-elle pour finalité effective la culture de l’entre-soi au détriment du vivre ensemble ? Cette reproduction sociale des élites est-elle compatible avec la mission de service public des établissements privés ?", interroge P Merle.
On passe là à un apport très intéressant de l’ouvrage. P. Merle démontre que les politiques publiques, même en restant dans le cadre actuel des relations Etat- enseignement catholique, peuvent avoir un impact sur le développement de cet enseignement ségrégatif. Il montre comment dans les quinquennats Sarkozy et Macron l’enseignement privé a été favorisé, alors que ce n’était pas le cas sous Hollande.
Ainsi sous Sarkozy, l’enseignement privé a bénéficié de la création de 665 postes. Sous Hollande de seulement 249 (à un moment de forte création de postes). Et sous Macron de pas moins de 4 655 postes !
"L’embourgeoisement de l’enseignement catholique résulte ainsi d’une variable structurelle - sa stratégie de montée en gamme - et d’une variable conjoncturelle, constituée par les politiques éducatives de chaque quinquennat", écrit P. Merle.
Les recommandations de P. Merle (...)
Comment stopper cette montée ségrégative opérée par le privé ?
Pierre Merle fait trois propositions. La première c’est le retour à l’application de la loi Debré. Au lieu de négocier directement entre le secrétariat général de l’enseignement catholique et le ministère de l’Education nationale, les emplois financés par l’Etat, revenir à la lettre de la loi qui prévoit que l’Etat discute avec chaque établissement ses moyens. Cela permettrait d’avoir des politiques académiques plus favorables.
Second instrument : différencier la dotation du privé selon l’IPS des établissements. Ainsi les établissements défavorisés pourraient recevoir davantage de moyens et les plus favorisés moins.
Troisième instrument : P Merle invite à ajuster la règle des 80-20 issue des accords Lang - Cloupet pour chaque formation. En restant dans le volume fixé par les accords, on pourrait ainsi casser la spirale d’embourgeoisement. P Merle rappelle que l’attribution des moyens varie déjà, dans le public selon le type d’établissement.
Vers une nouvelle politique ?
Quelle probabilité pour une inflexion politique ? Le rapport Vannier - Weissberg a montré la situation particulièrement fragile sur le plan légal du financement du privé. Le nouveau rapport Vannier - Spillebout établit l’urgence d’une reprise en main par l’Etat de ses relations avec le privé et de contrôler aussi bien la vie scolaire que le financement des établissements. Les réponses apportées par E Borne semblent bien fragiles.
La montée de la droite et de l’extrême droite, historiquement favorables au privé, laisse mal augurer de l’avenir. (...)
À plus long terme, il faut réfléchir à la manière dont le caractère “systémique” se traduit dans les établissements... (...)