
Peu d’armes existent contre les bactéries résistantes aux antibiotiques, qui font des millions de morts. Mais des scientifiques ressuscitent une solution vieille d’un siècle, les bactériophages, des virus qui s’attaquent seulement aux bactéries.
Dérèglement climatique mondial, crises de la biodiversité, pollution « éternelle » généralisée… Ces dernières années, les périls que l’humanité génère, pour elle-même comme pour l’ensemble du monde vivant, s’accumulent. À l’initiative de l’OMS, cette liste s’est encore allongée après que les souches bactériennes multirésistantes aux antibiotiques ont été désignées comme autant de menaces à prendre au sérieux.
Selon une publication parue dans The Lancet1 , les bactéries antibiorésistantes seraient impliquées dans près de 5 millions de décès à travers le monde en 2019. Un chiffre qui pourrait doubler d’ici à 2050, estime un rapport2 commandé par le gouvernement britannique en 2014. (...)
Les phages, une découverte ancienne
Pour entraver cette épidémie de moins en moins silencieuse, peu de solutions s’offrent à nous. L’une d’entre elles, la moins médiatisée, consiste à utiliser un type particulier de virus pour combattre et éliminer les bactéries antibiorésistantes. Pour la plupart formés d’une tête et d’une queue au bout de laquelle émergent des appendices semblables à des pattes, les bactériophages ont la particularité de ne s’attaquer qu’à certains génotypes de bactéries. Une arme de plus pour la médecine personnalisée ? (...)
La phagothérapie (l’idée d’utiliser des virus afin de soigner des personnes infectées par des bactéries pathogènes) n’est pas nouvelle. Découverts de façon indépendante au début du siècle dernier par les bactériologistes Frederick Twort et Félix d’Hérelle, les bactériophages, communément appelés « phages », ont d’abord été identifiés comme des agents capables de lyser (dégrader) des colonies bactériennes. (...)
bien avant l’avènement des antibiotiques (en 1944, avec la commercialisation de la pénicilline), les microbiologistes disposaient déjà d’une arme redoutable de précision contre les bactéries. Or c’est l’« arme chimique » que sont les antibiotiques qui a pris le pas sur son pendant biologique.
Les antibiotiques, « armes de destruction massive » (...)
Des phages spécifique à leur cible
Aujourd’hui, soit plus de quatre-vingts ans après l’arrivée des antibiotiques, pointe Anne Chevallereau, « le nombre de souches bactériennes pathogènes multirésistantes ainsi que leur prévalence forcent et poussent les scientifiques du monde à reconsidérer l’approche bactériophage ». Si bien qu’en 2017, l’OMS a publié une liste d’agents pathogènes prioritaires pour la recherche et le développement de nouveaux antibiotiques . (...)
bien qu’hyper efficaces, les antibiotiques ont un effet collatéral de taille, leur non-spécificité. « Au contraire, les bactériophages sont extrêmement spécifiques », s’enthousiasme Rémy Froissart. Une façon de réaliser la médecine qui n’a donc rien à voir avec celle menée à l’aide des agents chimiques tels que les antibiotiques.,
« Lorsqu’on utilise des bactériophages, il est impératif de connaître l’agent étiologique, l’agent qui crée la maladie, précise le chercheur. Or on sait de plus en plus que l’essentiel des maladies sont souvent provoquées par plusieurs pathogènes. » Voilà ce qui a favorisé le recours aux antibiotiques plutôt que le développement de bactériophages, qui sont spécifiques d’un seul génotype bactérien à la fois.
« Une médecine différente »
« Cela souligne bien qu’au sein de la médecine pratiquée en Occident, qui est principalement symptomatique, tout est un peu fait à l’aveugle, poursuit Rémy Froissart. Et, à ce titre, les médecins se trompent assez souvent (voir, par exemple, l’emploi inapproprié, encore aujourd’hui, d’antibiotiques contre des angines virales), ce qui en soi n’est pas un problème fondamental, mais montre clairement que la volonté d’utiliser les phages plutôt que les antibiotiques relève d’une médecine différente. » (...)
Certes, quelques phages sont aujourd’hui utilisés comme traitement compassionnel pour des patients en impasse thérapeutique. Mais il est désormais impératif de prouver à nouveau leur efficacité, du fait de leur exclusion du Vidal, en menant des essais cliniques (...)
L’intérêt des médecins pour les phages est largement corrélé aux nombreux bénéfices de ces derniers en comparaison avec les antibiotiques. Spécifiques de leurs cibles, les phages sont aussi et surtout peu toxiques.
Course à l’armement
« Un autre avantage réside dans leur propriété d’auto-amplification, spécifique aux virus, ajoute Rémy Froissart. Pas besoin de commencer un traitement avec une grande quantité de phages, car ils se multiplieront in situ avec le temps. » De plus, ces virus, une fois qu’ils ont éliminé leur cible, ne s’accumulent pas dans l’organisme, mais disparaissent simplement, faute de cibles.
En revanche, comme avec les antibiotiques, l’utilisation de bactériophages a aussi tendance à induire des résistances chez les bactéries. Un problème de taille pour les scientifiques ? Pas exactement. (...)
l’étude des résistances des bactéries vis-à-vis des phages est cruciale. « On utilise désormais ces résistances contre les bactéries, explique Rémy Froissart. On les pousse vers des culs-de-sac évolutifs afin de s’en débarrasser définitivement. » (...)
Le développement de la phagothérapie montre à quel point il faut réapprendre et repenser la médecine telle qu’on la pratique aujourd’hui dans la lutte contre les bactéries antibiorésistantes. (...)
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La phagothérapie n’aura de futur que dans un contexte de service public. Puisque, typiquement, on a besoin de produire et sélectionner les phages au cas par cas. »