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Bolloré va-t-il écraser l’Arcom ?
#electionslegislatives #extremedroite #medias #Bolloré #ARCOM
Article mis en ligne le 25 novembre 2024
dernière modification le 22 novembre 2024

L’Arcom, c’est fini ? Le broyeur médiatique du milliardaire breton va-t-il avoir raison de l’autorité de régulation chargée de lui rappeler ses obligations ?

Le propriétaire de Canal+, CNews, C8, Europe 1 ou du JDD semble avoir les coudées franches pour procéder à toutes les outrances, la mésinformation et les manipulations au profit de son idéologie catho-fasciste.

Nous ne sommes ni journalistes, ni politiciens, nous n’avons pas nos entrées dans les institutions, et ne pouvons donc pas connaître les pressions qui ont joué, les tractations qui ont eu lieu et les mémos qui ont circulé. Mais il s’est passé quelque chose. Et voici, de l’extérieur, ce qu’on a pu en voir.

L’Arcom, c’est quoi ?

L’Arcom a succédé au CSA en 2022. L’Arcom, c’est l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. Elle attribue notamment les canaux hertziens de la TNT aux chaînes à qui elle fait signer une convention. Cette convention liste les droits et les devoirs de la chaîne en décrivant précisément ce qui est permis ou pas. Comme tous les éditeurs de services audiovisuels, Bolloré a signé une telle convention pour CNews et C8, dans laquelle il est notamment spécifié qu’une chaîne d’information ne peut pas être une chaîne d’opinion, que son indépendance éditoriale doit être assurée, qu’elle doit respecter le pluralisme politique (et les temps de paroles des personnalités, surtout en période électorale), faire entendre les opinions contradictoires sur les sujets polémiques, s’attacher à respecter et à promouvoir la diversité des cultures et des religions.

En cas de manquement, et selon sa gravité, une réponse graduée sera alors appliquée. (...)

2019 - Montée en puissance

Jusqu’alors peu actif, le CSA s’est vu contraint à regarder de plus près le contenu des chaînes Bolloré, qui faisaient voler en éclat les termes des conventions signées. La mise en place d’un formulaire Web permettant aux téléspectateurs de signaler les manquements des chaînes à leurs obligations a dévoilé l’étendue du désastre moral que constituaient CNews et C8, et forcé l’autorité à faire son travail. (...)

2020 - 2022 : CNews et C8 sur le grill

Lorsque tous ces critères sont présents, la décision de l’autorité de contrôle, qui va de l’intervention jusqu’à la sanction financière, est alors inévitable.

Propos racistes, discriminatoires, infractions aux temps de parole des politiques, désinformation, tout ceci mené sans contradiction sur des plateaux d’un brun monochrome, c’est la ligne éditoriale des chaînes de Bolloré.

De 2019 à 2021 les outrances racistes de Zemmour s’enchaînent (...)

CNews écope de la plus importante sanction financière jamais infligée à une chaîne d’info. 200 000€. Pour des propos ignobles de Zemmour. Ce dernier épuisera tous les recours et ira jusqu’à la CEDH, une institution qu’il honnit pourtant. Sans succès : la sanction sera confirmée. (...)

Ceci n’empêchera pas la chaîne de maintenir le "polémiste" à l’antenne, malgré la fuite des spots publicitaires autour de son émission, malgré les sanctions qui s’empilent. Jusqu’à ce que Bolloré transforme Zemmour en présidentiable, le pousse à se présenter et qu’il explose en vol, avec 7% des voix.

Au-delà des sanctions financières infligées par l’Arcom, CNews est également condamnée en justice pour des propos tenus à l’antenne : provocation à la haine raciale puis diffamation publique (envers la députée Danielle Obono). Sa condamnation en première instance pour des propos de Zemmour visant les personnes homosexuelles sera quant à elle annulée en appel.
Triste palmarès, CNews est la seule chaîne de télévision à avoir été condamnée en justice pour racisme depuis 25 ans.
2023 à début 2024 - L’emballement

Tout s’accélère. Le système Bolloré est exposé au grand jour dans les médias et des travaux de recherche. Et c’est effrayant. Le milliardaire mène une bataille civilisationnelle, ses médias en sont les armes. Ses obsessions forcenées de catho tradi contre l’Islam, les immigrés, les progressistes, il les impose au pseudo-comité de rédaction. Les présentateurs et tous les chroniqueurs qui ont remplacé les journalistes, en sont ses porte-voix. La fidélité au boss et à ses idées fixes a pris depuis longtemps le pas sur l’info.

Côté C8 ça finit aussi par se voir. L’idéologie est la même, mais l’emballage, c’est de la trash-tv. Les records explosent : les sanctions chiffrent en millions d’euros, assez pour impacter le budget de la chaîne.

L’Arcom ne peut que le constater (...)

Le temps de parole des différentes formations politiques doit être égalitaire ? On diffuse la gauche entre 2 et 4h du matin, en boucle, pour pouvoir passer la droite et surtout l’extrême-droite aux heures de grande écoute.

On se fait prendre ? On fait dérouler l’argumentaire de l’extrême-droite à des personnalités qui ont quitté le parti (ou ont rendu la carte). Et si l’Arcom décide de les comptabiliser également, on passe le relais aux animateurs et chroniqueurs.

Là, nous sommes arrivés début 2024. L’Arcom a le tournis, la tâche devient lourde, des pages entières de sanctions contre CNews et C8 se sont remplies. Les sanctions financières, ordinairement rarissimes, il y en aura 11 depuis début 2023, tous médias confondus. Toutes concerneront les médias Bolloré, 6 pour CNews, 5 pour C8. (...)

Deux ans plus tôt, Reporters sans Frontières avait déposé une saisine exposant l’absence générale de pluralisme sur CNews, ce qui permettrait de combattre l’utilisation de l’ensemble des animateurs et des chroniqueurs comme VRP de l’extrême-droite. Mais l’Arcom avait alors botté en touche et rejeté la saisine, considérant qu’elle dépassait le cadre de ses compétences.

RSF avait alors porté l’affaire devant le Conseil d’État, et en février 2024, le Conseil d’Etat rend son verdict : l’Arcom doit prendre en compte l’ensemble des opinions à l’antenne, pas celles des seules personnalités politiques !
Mi-2024 - Le clash

Obligée d’agir, l’Arcom reconsidère la saisine et sanctionne CNews d’une petite tape sur la main : une mise en garde. Mais on entrevoit le champ de bataille : avec un manque de pluralisme aussi flagrant, aussi constant, CNews va être désossée.

Bolloré passe alors à l’offensive. Il mobilise tous ses médias et ses troupes contre RSF, contre le Conseil d’État, contre l’Arcom. C’est du dénigrement frontal non-stop, la curée, sa meute a senti le goût du sang et ne se contrôle plus. Sur les réseaux sociaux, Bolloré fait entrer en jeu ses milices et ses mercenaires sur tous les fronts : une de ses agences d’influence, Progressif Media, utilise un compte X appelé "Les Corsaires" (créé originellement pour nuire à nos actions) pour lancer une offensive. La méthode employée contre RSF reste la même qu’avec nous : raids numériques menés via mass-mailing ou fabrication d’un faux site aux couleurs de leur cible pour mieux la dénigrer. Ces méthodes sont éventées par RSF et exposées au grand jour, obligeant ces officines à stopper leur action. (...)

On arrive à l’été 2024, et au renouvellement des fréquences TNT. CNews et C8 sont sur un siège éjectable. En toute logique, les deux chaînes devraient perdre leur fréquence, tant elles ont gravement enfreint la convention à d’innombrables reprises.

L’Arcom ne peut plus reculer, et décide de retirer la fréquence à C8. Mais elle abdique pour CNews et, inexplicablement, ne lui retire pas sa convention.

La décision du Conseil d’Etat imposant à l’Arcom de juger globalement du parti-pris de la chaîne semble avoir eu un effet incapacitant. Après cette décision, l’institution n’a jamais clarifié la manière dont elle comptait procéder pour contrôler ce pluralisme, si c’était au téléspectateur de le signaler, et comment.

Face à la puissance de Bolloré et à la menace qu’il affiche, face à la campagne de dénigrement de l’Arcom qu’il mène, l’institution a-t-elle craint pour sa survie ? Certains membres ont-ils été convaincus qu’il valait mieux ne pas persister dans cette voie ?
Automne 2024 - Petite mort

Les saisines en attente contre CNews qui semblaient pourtant indiscutables sont maintenant massivement rejetées. Et le site de l’Arcom, qui permettait auparavant à chacun de consulter l’objet précis de la saisine et le motif du rejet a été refondu : il ne présente plus que le nom de l’émission et la date et heure de diffusion. Impossible de savoir exactement ce qui a été rejeté et pour quelle raison. Pour celles dont nous avions connaissance, parce que nous avions nous-même visionné la séquence et saisi l’Arcom, les décisions sont souvent incompréhensibles (...)

Une salve de décisions, publiée in extremis pour donner l’illusion que la machine fonctionne encore, démontre pourtant qu’il y a un véritable problème. Il y a une décision pour chaque chaîne, bien rangées, comme les panneaux "10" à l’école des fans. Comme pour éclipser le fait que CNews et C8 devraient concentrer la grande majorité des saisines et surtout des sanctions. De la poudre aux yeux pour lisser les statistiques, tout en faisant profil bas face à Bolloré. Une surcompensation face aux accusations de partialité. (...)

Car la nouvelle stratégie de Bolloré face à l’Arcom se dessine en observant les faux comptes X gérés par son agence : le compte “Les Corsaires” a commencé à monter des dossiers contre les médias du service public, censés démontrer leur parti-pris “islamo-gauchiste”. Ceci s’accompagne d’appels à des signalements Arcom pour des motifs tellement hors-sol qu’on hésite entre l’ébahissement et le fou rire.

Les intervenants en plateau sont scrutés à la loupe à la recherche de la moindre action ou déclaration, même ancienne, prouvant qu’ils auraient des sympathies “de gauche”. (...)

Toutes ces attaques sont-elles destinées à intimider l’Arcom ou bien à donner des munitions à des politiciens amis qui la “réformeront” (ou la détruiront) définitivement ? Derrière la prudence désormais affichée par l’Arcom se profile une épée de Damoclès : cette volonté d’éliminer l’autorité de contrôle est une constante de l’extrême-droite, et plus précisément des régimes fascistes – à commencer par le service public audiovisuel –, l’Arcom, la justice, le Conseil Constitutionnel, le Conseil d’État, la CEDH, le Conseil d’État, le défenseur des droits, tous sont dans le viseur des extrémistes qui rêvent d’exercer leurs discriminations, leur violence et leur harcèlement sans la moindre barrière.
Et la suite ?

L’Arcom se retrouve maintenant face à un choix qui peut engager jusqu’à sa survie. (...)

L’Arcom va-t-elle se reprendre et décider de jouer à nouveau son rôle, et même d’aller plus loin ? De faire enfin respecter le contrat signé, d’utiliser les moyens mis à sa disposition pour cela ? La bataille serait sans doute sanglante, face à un Bolloré connu pour ses méthodes brutales et son absence de limites, mais l’avenir des médias audiovisuels est conditionné à ce choix.

Car si l’Arcom se replie sous la menace, essaie de se faire oublier et de ne plus faire de vague, les portes seront alors grandes ouvertes à l’expression sans contrainte des pires désinformations, outrances et stigmatisations, du racisme débridé, des appels au conflit, à la constitution de milices ou à la guerre civile.

Certains ont surnommé CNews “Télé 1000 collines”. On n’en a jamais été aussi près.