Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Ce que l’on sait de l’attaque de drone russe qui a tué le photojournaliste Antoni Lallican
#journalistes #guerreenUkraine
Article mis en ligne le 27 octobre 2025
dernière modification le 26 octobre 2025

Les témoignages recueillis par Mediapart décrivent une attaque ciblée, visant précisément Antoni Lallican et George Ivanchenko, grièvement blessé, menée par un drone kamikaze muni d’une caméra. Les deux journalistes venaient de finir de photographier des civils ukrainiens.

Le vendredi 3 octobre devait être leur dernier jour de mission dans le Donbass. Après deux semaines à sillonner l’est de l’Ukraine, le photojournaliste français Antoni Lallican et son confrère ukrainien Heorhiy « George » Ivanchenko avaient prévu d’accompagner la 4e brigade de chars ukrainienne. Antoni Lallican n’en est pas revenu : le journaliste – qui a collaboré à de nombreuses reprises avec Mediapart – a été tué, dans la matinée, par une attaque de drone russe.

Afin de retracer les circonstances de cette attaque, qui a également grièvement blessé George Ivanchenko, Mediapart a interrogé des personnes qui se trouvaient sur place, à leurs côtés, des témoins qui les ont croisés avant puis après l’attaque, des militaires ukrainiens et des connaisseurs de la région. Leurs témoignages concordent pour décrire une attaque ciblée, menée par un drone kamikaze muni d’une caméra, alors que les deux jeunes hommes, à découvert, identifiables comme journalistes grâce à leurs appareils photos, venaient de photographier des civils ukrainiens. (...)

Depuis l’été, les forces russes grignotent méthodiquement le Donbass, en appliquant la même stratégie de dévastation que depuis deux ans : anéantir une ville pour mieux l’occuper. Dans la région, les drones sillonnent désormais le ciel sans relâche, en plus des missiles, de l’artillerie et des bombes planantes. Les civils n’ont d’autre choix que de se terrer dans des abris, avec peu d’espoir que la situation s’améliore. C’est cette horreur quotidienne que les deux photojournalistes, familiers du terrain et travaillant très souvent ensemble depuis 2022, cherchaient à raconter dans leurs photos.

« Ils voulaient compléter leur reportage en couvrant les aspects plus militaires, prendre quelques images des fortifications, puis quitter le Donbass avant midi », poursuit Olha Kovalyova, également vice-présidente de l’Association des photographes professionnels ukrainiens. Présente aux côtés de George dès le lendemain de sa blessure, elle coordonne aujourd’hui ses soins. Selon elle, les deux journalistes, qui l’informaient de leurs déplacements, ne s’attendaient pas à un reportage particulièrement dangereux, la zone étant éloignée du front.Depuis l’été, les forces russes grignotent méthodiquement le Donbass, en appliquant la même stratégie de dévastation que depuis deux ans : anéantir une ville pour mieux l’occuper. Dans la région, les drones sillonnent désormais le ciel sans relâche, en plus des missiles, de l’artillerie et des bombes planantes. Les civils n’ont d’autre choix que de se terrer dans des abris, avec peu d’espoir que la situation s’améliore. C’est cette horreur quotidienne que les deux photojournalistes, familiers du terrain et travaillant très souvent ensemble depuis 2022, cherchaient à raconter dans leurs photos. (...)

Le photographe français et son confrère ukrainien, équipés de leurs gilet pare-balles et appareil photo, s’apprêtent à quitter la zone lorsqu’ils entendent le vrombissement distinctif d’un drone, déjà juste au-dessus d’eux.

L’appareil fonce droit sur Antoni Lallican, qui est tué sur le coup. George Ivanchenko, touché à la jambe, est grièvement blessé et subira une amputation. Des éclats le frappent également au bras et à l’abdomen.

« Je ne connais pas les motivations de l’opérateur du drone. J’ai simplement vu le drone s’arrêter quelques secondes au-dessus d’Antoni avant l’impact. Il avait un appareil photo, il suffisait à l’opérateur d’observer pour comprendre qu’il visait un civil, un journaliste », s’insurge Anastasia, l’officière de presse.

Cette dernière s’est jetée au sol à temps, mais souffre d’une commotion cérébrale et a été mise au repos cinq jours avant de reprendre le travail. Trois civils ont également été blessés. « Les victimes présentent des traumatismes crâniens, des blessures par éclats, des surdités de choc et des contusions sévères », précise le procureur de Donetsk dans une réponse écrite à Mediapart.

Alerté par radio, Oleksandr Kachura revient aussitôt sur les lieux. Il trouve George Ivanchenko grièvement blessé, parvient à le charger dans sa voiture et le conduit vers un point médical de stabilisation de l’armée. Le photographe, qui s’était déjà fait un garrot, perdait beaucoup de sang. (...)

Chasse aux journalistes

La présence prolongée des deux photoreporters dans cette zone, leurs vêtements noirs et leurs appareils photos de grande taille les rendaient identifiables comme journalistes, selon différents témoins. « Ils portaient des objectifs photo qui brillent énormément et se voient sur les images des opérateurs », souligne Olha Kovalyova.

Photojournaliste, elle-même blessée par un tir d’artillerie en juillet 2024, elle a renoncé à tout signe de presse visible, comme de nombreux reporters sur le front ukrainien, pour ne pas devenir une cible des drones russes.

Serhiy Horbatenko, reporter ukrainien basé à Kramatorsk, ne transporte plus aucun appareil photo : il filme uniquement avec son iPhone, même à vingt-cinq kilomètres de la ligne de front, pour éviter d’être repéré. « Les Russes traquent les journalistes, surtout occidentaux. C’est pour cette raison que nous déconseillons leur venue dans certaines zones », confirme Oleksandr Kachura. (...)

Le droit international humanitaire interdit formellement de prendre des journalistes pour cibles. Le fait qu’Antoni Lallican et George Ivanchenko aient été attaqués par un drone russe constitue une violation des conventions de Genève et un potentiel crime de guerre.

L’armée russe a-t-elle conscience d’avoir commis un crime d’une particulière gravité ? Alors que ses militaires diffusent régulièrement sur les réseaux sociaux des vidéos où l’on voit leurs drones pourchasser et tuer des civils ukrainiens en voiture, à vélo ou à pied, ils n’ont, cette fois, posté aucune image de l’attaque. (...)

Espoir dans la coopération internationale

Les services de sécurité ukrainiens ont ouvert, le 3 octobre, une enquête pour crime de guerre, sous la direction du parquet régional de Donetsk. Le lendemain, le Parquet national antiterroriste (Pnat) français a fait de même. Des enquêteurs de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH) se sont déjà rendus à Kyiv. Selon le Pnat, sept enquêtes similaires sont en cours pour des faits touchant des ressortissants français, principalement des journalistes et des humanitaires. Un nombre infime comparé aux 180 000 procédures ouvertes par le parquet ukrainien, qui manque cruellement de ressources pour toutes les mener. (...)