
Sur le plateau de Millevaches, dans le Limousin, les habitants se sont organisés pour assurer leur autonomie, dans des domaines aussi différents que l’agriculture, la gestion des forêts ou l’accueil d’exilés.
Soudeur-chaudronnier pendant quinze ans en République du Congo, il aimerait travailler le métal, n’importe où en France. En attendant, il reprend des forces grâce à un emploi de réinsertion à Tarnac (Corrèze), qui lui est proposé par le Syndicat de la Montagne limousine, une organisation née en 2019 afin de fédérer les initiatives d’habitants et construire des institutions en dehors de l’État pour offrir une vie digne à tout le monde.
« Des besoins qui n’étaient pas assurés par l’État »
« En 2015, lorsque la “jungle” de Calais a été expulsée, plusieurs Cada ont ouvert dans les environs », raconte Manon, musicienne et maraîchère, qui habite la Montagne limousine depuis une vingtaine d’années. Plusieurs associations se sont mobilisées contre les conditions de vie déplorables dans ces centres, dont les membres de ce qui deviendra le Groupe exilés, l’une des branches du Syndicat de la Montagne limousine. « On est partis des besoins des exilés, qui n’étaient pas assurés par l’État, explique Manon. Ils n’ont pas de travail, pas d’argent, et ne peuvent pas être régularisés. »
Le Syndicat a donc ouvert une antenne d’Emmaüs, qui, grâce à l’agrément Organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires, pourra accompagner la régularisation des cinq exilés qui y sont accueillis en tant que compagnons. Ils se partagent entre activités de maraîchage, de traiteur et, prochainement, une conserverie, utilisant principalement des produits locaux. (...)
On s’installe au « MGT », le Magasin général de Tarnac, avec plusieurs membres fondateurs du Syndicat pour essayer de définir les contours de cette association loi 1901 non déposée en préfecture. (...)
Michel, l’un des cofondateurs, propose : « C’est un réseau formalisé d’individus, de groupes, de collectifs, qui voulaient se doter d’un outil pour défendre les enjeux du territoire. C’est à la fois une bouée de sauvetage, un acte de résistance et une manière de s’organiser. » Pas de président ni de trésorier... Le Syndicat organise tous les trimestres une réunion à laquelle participent une trentaine de volontaires — bureau officieux de l’association — pour discuter des grandes orientations.
Mais attention, prévient Michel, ce n’est « pas une superstructure » : chacun des groupes thématiques (sur l’agriculture, les forêts, le soutien psy, l’internationalisme, le grand âge, les exilés...) est autonome. Parmi les groupes existants, l’un se consacre à la lutte contre l’exploitation industrielle des forêts, et à la proposition de modèles alternatifs ; un autre aide à l’implantation de paysans sur le plateau et soutient la production et la transformation de produits d’élevage.
C’est une « tentative de surnager ensemble », dit Yann, qui apporte de l’assistance administrative aux personnes pour qui l’État est synonyme de « violence et de solitude ». (...)
une des rares options « politiquement enthousiasmantes » face à la progression de l’extrême droite dans les territoires ruraux. Autonomie matérielle, via l’agriculture et la transformation du bois, mais aussi institutionnelle, en imaginant des « contre-institutions révolutionnaires ». « Se réunir autour de bases politiques claires permet de dire qu’on se reconnaît comme force commune d’autodéfense d’habitants » (...)
Si le Syndicat est parvenu à rayonner dans ce territoire hyperrural, c’est en partie en raison de la dynamique propre au plateau de Millevaches, marqué par un fort tissu associatif et l’arrivée fréquente de nouveaux habitants à la recherche de formes de vie alternatives. Terre de communisme rural au siècle dernier, il a accueilli des soixante-huitards, puis des projets ruraux de toutes sortes (...)
« On s’inscrit ici dans une filiation politique », se réjouissent Étienne et Alice [2], deux militants antibassines des Deux-Sèvres croisés par hasard, qui se sont installés sur le plateau depuis deux ans. Faux-la-Montagne, l’un des villages les plus peuplés des environs (460 habitants), a même reçu le prix de Cité vive récompensant son dynamisme associatif. « Ce qui est riche, c’est moins toutes ces associations que les liens qui existent entre elles, dit Michel. Le Syndicat est un outil pour que le lien ne se fasse pas qu’au hasard des rencontres. »
Pourquoi ne pas s’en remettre aux institutions pour dynamiser le territoire ? La question fait sourire Michel : « Si on s’en remettait à l’État, il n’y aurait déjà plus aucun service à Faux. » Il ne s’agit pas pour autant de se positionner contre l’État : « Je m’inscris dans le cadre institutionnel républicain, sinon, je ne serais pas devenue maire », affirme Catherine Moulin. (...)
Ce succès d’institutions hors de l’État suscite la méfiance de la préfecture et d’un certain nombre d’élus locaux. Il faut dire que le plateau de la Montagne limousine est surveillé comme du lait sur le feu par les renseignements territoriaux, notamment depuis 2008 et « l’affaire Tarnac », lorsque plusieurs habitants avaient été détenus dans le cadre d’une vaste enquête pour association de malfaiteurs. Ils ont finalement été relaxés. (...)
Depuis, Le Point, Le Figaro et Gérald Darmanin se sont relayés pour le présenter comme « la base arrière de l’ultragauche française et européenne ». « Nous, on n’est pas anti-État. C’est plutôt l’État qui est anti-nous », dit Katell, en évoquant les hélicoptères survolant le barnum qui accueille chaque année la Fête de la Montagne limousine. Les actions de défense contre des coupes rases dans le bois du Chat ont apporté de l’eau au moulin du député ciottiste Bartolomé Lenoir, élu en juillet 2024 sur l’une des circonscriptions du plateau, qui promettait « une initiative forte contre l’extrême gauche en Creuse ». (...)
Malgré ce contexte, le Syndicat de la Montagne limousine continue de se développer et d’inspirer des groupes à travers la France. Avant de le fonder, plusieurs membres du plateau sont partis en « voyage d’étude » à Barcelone, auprès des communautés autogestionnaires, et y ont puisé des inspirations. À leur tour de servir de modèle : d’ici à quelques semaines, d’autres organisations similaires au Syndicat doivent éclore, dans le Périgord ou la montagne Noire.
Le Syndicat abrite par ailleurs un Groupe internationaliste, qui a notamment participé à la rédaction du manifesteRévolutions de notre temps (La Découverte, 2025) : de quoi faire bientôt des émules dans d’autres pays ? Ce serait bien la première fois qu’un syndicat deviendrait une multinationale.