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Changer de cosmologie : pour en finir avec le capitalisme et la domination masculine
#capitalisme #dominationmasculine #alternatives
Article mis en ligne le 4 avril 2024
dernière modification le 2 avril 2024

Retraverser la littérature médiévale, l’écoféminisme contemporain, les mythes grecs, la théologie chrétienne ou l’écologie décoloniale pour n’examiner rien de moins que la matrice d’un basculement anthropologique et cosmologique à la source de nos maux contemporains en matière de prédation planétaire ou d’inégalités de genre.

Et dégager ainsi quelques pistes pour rendre la Terre habitable de manière plus égalitaire et soutenable, en s’arrachant aux mirages d’abondance et aux modes de domination cristallisés par les sociétés industrielles.

Telle est l’ambition du livre de la philosophe Émilie Hache, intitulé De la génération. Enquête sur sa disparition et son remplacement par la production, que publient les éditions Les empêcheurs de penser en rond / La Découverte.

(...) l’enquête généalogique vise, in fine, à saisir la façon dont le paradigme de la « génération », encore visible dans nombre de sociétés anciennes et lointaines, a progressivement été remplacé par celui de la « production », un terme qui englobe à la fois des pratiques économiques extractives vis-à-vis de la nature comme des humains, mais aussi une forme de réduction des femmes à leur fonction reproductive.

Par « génération », Émilie Hache désigne des formes d’organisation sociale accompagnées de cosmologies fondées sur l’idée que l’existence du monde repose sur son renouvellement organique, multiple et éternellement recommencé. (...)

le concept chrétien de création rompt radicalement avec le monde antique et ses religions cosmologiques, longtemps mal désignées comme « païennes ».

« Le passage ou plutôt la mutation d’un monde non créé, dont il faut prendre soin et qu’il faut renouveler chaque jour, à un monde créé a radicalement changé notre rapport à la dimension générative du monde, écrit la chercheuse. Dans un monde créé une fois pour toutes, il n’y a pas besoin de se préoccuper de le reproduire. » (...)

Pour Émilie Hache, le christianisme a ainsi remplacé « la génération par une autre forme d’éternité : le salut ».

Cet « immense bouleversement cosmologique » nous a fait passer « d’un monde où l’on honorait le mystère de la (re)génération à un monde où l’on célèbre le mystère de la création et de la résurrection ». (...)

Dans ce contexte, la sexualité n’est plus, comme dans nombre de rituels antiques, un des éléments déterminants de la régénération du monde, et donc de son immortalité, mais un élément associé à la corruption, « au double sens de mortalité et de péché ».

La relégation des savoirs féminins (...)

Que les nouveaux dieux uniques des monothéismes qui se mettent en place soient des « dieux sans déesses » constitue ainsi pour Émilie Hache un « bouleversement inouï » (...)

Cet effacement des divinités féminines s’est poursuivi avec « le pillage des pouvoirs féminins de la génération » dont les chasses aux sorcières de la fin du Moyen Âge et surtout au-delà constituent l’emblème. (...)

La chercheuse montre comment cette prise de pouvoir de la cosmologie par les hommes appuyés sur des sciences nouvelles s’étend à toutes les sphères de la vie des femmes, jusque dans la langue, puisque c’est à cette même époque que s’impose la règle de la primauté du masculin sur le féminin dans la grammaire française. (...)

De façon symétrique, les savoirs paysans et les cultures vivrières sont, notamment à travers la pensée des physiocrates, relégués aux oubliettes ou aux marges, tandis que s’impose, à l’encontre du paradigme de la « génération », celui de la production, qui désigne un mode détaché « de toute contrainte et responsabilité à l’égard de la perpétuation de ce monde, ayant pour seul objet sa multiplication indéfinie ». (...)

nous vivons désormais dans un monde où la disparition du paradigme de la génération, corrélée à la domination des hommes sur les femmes comme sur la nature, paraît achevée et où « son remplacement par celui de la production dans la société industrielle » a des conséquences décisives sur la situation écologique comme sur les hiérarchies de genre et les inégalités raciales.

Pour la philosophe, la coupure cosmologique et anthropologique a en effet été telle qu’il serait impensable d’imaginer « revenir en arrière » en faisant des sociétés passées des modèles pour l’avenir face aux impasses du présent. Mais cette impossibilité ne doit pas être confondue avec « l’impossibilité de penser des sociétés » qui ne soient ni patriarcales ni soumises aux « rêves d’opulence des économistes ». (...)

Ainsi qu’elle le souligne, la perspective de l’épuisement de nombreuses ressources constitue moins la promesse d’un abandon des logiques de production et des pratiques de prédation que celle de « guerres acharnées pour les dernières gouttes ». (...)

L’invention, ou la réinvention, de nouvelles logiques accompagnées de nouvelles limites passe alors par des combats dont les luttes féministes constituent une matrice (...)

Mais cela passerait aussi, juge la philosophe de façon plus singulière, par la nécessité de « changer de système de parenté » dans l’idée de rompre avec des logiques seulement biologiques, nationalistes, voire spécistes, pour inclure notamment les corps humains colonisés longtemps réduits à l’état d’instruments de l’Occident, mais aussi des éléments non humains. (...)

S’ouvrir (...) « à de nouvelles divinités nous faisant mieux aimer le monde et sa variété presque infinie d’habitant·es » afin d’accompagner « de nouvelles manières d’habiter la terre ». (...) (...)