Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
CMA CGM : Rodolphe Saadé défend bec et ongles son avantage fiscal indécent
#inegalites #multinationales #Saadé #Senat
Article mis en ligne le 16 mai 2025
dernière modification le 14 mai 2025

Lors d’une audition au Sénat, le propriétaire et PDG de l’armateur a défendu l’avantage fiscal astronomique dont bénéficie son groupe et qui coûte des milliards à l’État. Une position difficile à tenir en ces temps de troubles budgétaires.

« Je suis surpris qu’on revienne sur ce sujet […]. Ne pensez-vous pas qu’il soit temps de passer à autre chose ? » Auditionné lundi 12 mai par la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises, le PDG de CMA CGM Rodolphe Saadé s’est agacé quand le rapporteur communiste de la commission, Fabien Gay, a remis sur la table le sujet de la « taxe au tonnage », un avantage fiscal mirobolant dont bénéficie l’armateur basé à Marseille.

« Si vous voulez que CMA CGM reste un groupe solide qui continue à se développer en France, est-ce qu’à un moment donné, le débat n’est pas ailleurs ? », a lancé en guise d’avertissement Rodolphe Saadé, pourtant assez affable durant le reste de son audition. (...)

De quoi parlons-nous exactement ? D’un régime fiscal qui bénéficie quasi exclusivement à CMA CGM et dont le coût cumulé depuis le début de la crise du covid pour les finances publiques est supérieur à 10 milliards d’euros, soit à peu près une année de budget du ministère de la justice.

Ce régime dérogatoire permet à CMA CGM de ne pas payer d’impôts sur ses bénéfices réalisés grâce à son activité de fret maritime et de ne s’acquitter que d’une contribution indexée sur la capacité de transport de ses navires.

Problème pour le fisc, les bénéfices de l’armateur dans le fret maritime ont littéralement explosé depuis la crise sanitaire, où les prix des conteneurs se sont envolés lors de la reprise du commerce mondial. Prix qui se sont ensuite maintenus, certes après avoir reflué, à un niveau élevé du fait des tensions géopolitiques fortes, notamment en mer Rouge.

Mais Rodolphe Saadé a défendu mordicus son cadeau fiscal doré en expliquant qu’il était « adapté aux particularités du transport maritime, marquées par une forte cyclicité ». Également présent face aux sénateurs et sénatrices, le directeur financier de CMA CGM, Ramon Fernandez, ancien directeur général du Trésor, a précisé « que pendant quarante ans, les résultats de l’armateur étaient très très loin » de ceux réalisés récemment, donnant pour exemple la période « 2004-2021, où le coût pour les finances publiques de ce régime de taxe tonnage – et donc le bénéfice pour l’entreprise – [était] de 90 millions par an en moyenne ».

Accumulation perpétuelle (...)

Un autre argument développé par Rodolphe Saadé pour défendre son régime de taxe au tonnage est que ce « n’est pas une fleur que l’on fait à CMA CGM », car il « concerne 90 % de la flotte mondiale et l’intégralité de la flotte européenne ». Voilà donc pourquoi il ne faut surtout pas y toucher, pour « que la France reste au niveau de ses concurrents ». Il reprend ici à son compte la rhétorique classique du capital qui utilise toujours la concurrence internationale pour promouvoir le caractère irréversible d’une sous-taxation de l’accumulation des profits.

Fabien Gay lui a d’ailleurs répondu que ce « régime fiscal extrêmement avantageux » avait tout de même permis par ricochet « au groupe de dégager des marges et de pouvoir investir et de se diversifier », et donc de bénéficier d’un avantage comparatif fort. (...)

Sous perfusion d’argent public

Enfin, au-delà des arguments concurrentiels, il ne faut pas omettre que grâce à la sous-imposition de ses bénéfices, CMA CGM a aussi acté le versement, durant les exercices 2021, 2022 et 2023, d’un total, selon nos calculs, de 6,75 milliards d’euros de dividendes, dont près de 5 milliards à la seule holding familiale des Saadé.

Une somme énorme qui n’est imposée qu’à hauteur de… 1,25 % grâce au régime dit « mère fille », que nous expliquions dans cet article. Ce qui permet à la famille Saadé de cumuler deux régimes fiscaux superposés ultrafavorables. Il y a donc aussi un enrichissement personnel important dans cette affaire. (...)

si les profits avant impôt de CMA CGM avaient tant augmenté depuis 2020, c’était en premier lieu grâce à l’argent public déversé par les États, qui a permis de maintenir à flot la demande et de soutenir la reprise économique au moment de la levée des restrictions sanitaires.

Une politique qui a accru les déficits que le gouvernement prévoit de résorber par des coupes dans le modèle social et les services publics. Il n’est donc pas forcément trop tard pour demander un peu plus à CMA CGM…