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Mediapart
Collège Stanislas « blanchi » : les inspecteurs confirment sous serment l’intervention de la numéro deux du ministère
#Betharam #Stanislas #NotreDamedeSion #enseignementcatholique #educationNationale
Article mis en ligne le 24 mai 2025
dernière modification le 22 mai 2025

Devant la commission parlementaire consacrée aux violences à l’école, quatre membres de l’inspection générale ont reconnu que Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire, était bien intervenue pour réécrire la lettre concluant le rapport sur le prestigieux établissement catholique.

(...) Une modification jugée « totalement étrangère » au contenu du rapport très sévère qu’ils ont rédigé en 2023 sur le prestigieux établissement scolaire catholique parisien par au moins trois inspecteurs et inspectrices sur les quatre mandaté·es pour cette mission. Ils et elles ont été auditionné·es mercredi 21 mai 2025, sous serment, devant la commission d’enquête parlementaire post-Bétharram. (...)

En juin 2022, Mediapart publie une enquête sur Stanislas et son univers sexiste, autoritaire et homophobe. Un rapport de l’inspection générale, que le gouvernement a d’abord voulu cacher, confirmait largement nos révélations. Ce document de trente pages montre notamment que l’établissement ne respecte pas la loi, en obligeant tous ses élèves à suivre une heure hebdomadaire de catéchèse. Et que dans ces cours, des intervenant·es tiennent des propos homophobes, anti-avortement, font la promotion des thérapies de conversion et demandent à « pardonner aux violeurs ».

Mais la lettre de transmission accompagnant ce rapport et transmise au ministre concluait tout l’inverse : « Au terme de la mission, l’équipe ne confirme pas les faits d’homophobie, de sexisme et d’autoritarisme mis en avant par la presse à partir de témoignages anciens, sauf éventuellement à remonter à une époque antérieure à l’actuelle direction et pour laquelle la mission n’a, au demeurant, recueilli aucun témoignage à charge. »

C’est cette conclusion qui sera ensuite utilisée sans relâche par le diocèse de Paris, la direction de l’enseignement catholique, le directeur de Stanislas Frédéric Gautier, et même Caroline Pascal et la ministre de l’éducation d’alors, Amélie Oudéa-Castéra, pour discréditer nos révélations.
Un ajout « très grave »

« Ce paragraphe, je le dis sous serment, je ne l’aurais pas accepté, je suis très claire », a expliqué Françoise Boutet-Waïss, inspectrice générale de l’éducation, du sport et de la recherche, devant la commission d’enquête parlementaire qui l’interrogeait sur le sujet mercredi 21 mai.

« J’endosse le rapport mais je n’endosse pas la lettre de transmission », a également affirmé sa collègue, Annie Dyckmans-Rozinski, considérant que ce paragraphe « discrédit[ait] l’inspection générale ». « La chose qui consiste à renvoyer au passé, c’est le discours de la direction. Nous avons enquêté au présent, a-t-elle ajouté. Il est écrit “l’équipe”. C’est mon intégrité professionnelle qui a été remise en cause et c’est très grave. »

Sur une position différente de celle de ses deux collègues, Roger Vrand, l’un des quatre inspecteurs choisi comme pilote de la mission, confirme l’intervention de sa supérieure, mais refuse d’y voir une quelconque dissimulation (...)

Son collègue, l’inspecteur référent de la mission, ne voit lui non plus aucune malice dans cet ajout de dernière minute : « Un rapport ne peut être modifié sans l’accord des inspecteurs. La lettre de transmission c’est autre chose, c’est une prérogative de la cheffe de service [Caroline Pascal]. »

De quoi faire sortir la présidente de la commission parlementaire, la socialiste Fatiha Keloua-Hachi, de ses gonds : « La lettre de transmission est un outil politique, c’est la seule chose que lit le ministre ! Et Amélie Oudéa-Castéra [ministre ayant succédé à Gabriel Attal – ndlr] l’a utilisée, le diocèse de Paris l’a utilisée [pour défendre Stanislas]. Et non, la lettre de transmission n’est pas fidèle au rapport, vous ne pouvez l’affirmer ! » (...)

Elle est rejointe par le corapporteur insoumis Paul Vannier : « Ce dernier paragraphe qui n’est écrit par aucun membre de la mission, ajouté par Caroline Pascal, c’est un paragraphe décisif car il blanchit l’établissement, au nom des inspecteurs… C’est donc la responsabilité de Caroline Pascal qui est posée », assène le député insoumis. (...)

Mercredi après-midi, c’est l’actuelle ministre de l’éducation nationale qui était interrogée sur le rôle de Caroline Pascal et la réécriture d’une partie des conclusions. Élisabeth Borne a seulement annoncé vouloir mettre fin aux lettres de transmission dans leur modalité actuelle et dit vouloir que les ministres reçoivent et lisent directement les rapports et leurs conclusions.

Sur la responsabilité de la numéro deux de son ministère, elle a en revanche refusé de se prononcer. (...)

Une enquête sous tension

Ces auditions ont également été l’occasion de revenir sur les tensions qui ont émaillé toute l’enquête sur Stanislas, et que chacun des inspecteurs a reconnues à des degrés divers. Sur le cadre de la mission d’abord. L’une des inspectrices demande ainsi assez rapidement au pilote et au référent de la mission de pouvoir élargir les travaux d’enquête au budget de l’établissement, et notamment la part et l’utilisation des financements publics.

Elle obtient une fin de non-recevoir mais insiste : « J’ai reçu ensuite un sms de M. Vrand, qui m’était manifestement adressé par erreur, qui disait ceci : “C’est intenable, elle parle encore du budget.” J’ai eu l’impression à ce moment-là que nous étions sous surveillance, je n’avais jamais connu ça auparavant. » (...)

L’équipe de la mission découvre également, au cours de ses travaux, qu’un des animateurs du catéchisme (alors obligatoire pour tous les élèves, au mépris des règles), tient des propos qualifiés de « terrifiants » par l’une des inspectrices, Françoise Boutet-Waïss.

« Des horreurs du type : “Si papa trompe maman, l’enfant le ressent et devient homosexuel, mais on peut se soigner en allant au Canada” ; la promotion en fait, des thérapies de conversion… Puis : “Une fille qui se fait violer ne doit pas avorter”, des propos tenus devant des ados, en pleine construction de leur sexualité, insiste l’inspectrice. C’était inadmissible. » (...)

Une des deux inspectrices rappelle aussi le contexte de cette enquête sur Stanislas, et la « terreur » de certains témoins. « Nous avons par exemple reçu un témoignage d’un salarié, tellement terrorisé qu’il nous a écrit sous pseudo pour s’assurer que ses propos ne seraient pas rapportés, explique Annie Dyckmans-Rozinski. Lui dénonçait des propos d’homophobie graves. Est-ce que nous prenions la responsabilité de mettre cette personne en difficulté en l’écrivant ? Ce sont des cas de conscience. »
Des contrôles sans effet

Malgré le rapport accablant médiatisé en 2023, le lycée Stanislas refuse toujours de suivre les recommandations des inspecteurs. La commission d’enquête a révélé mercredi que deux contrôles récents ont pointé de graves dysfonctionnements.

En mars 2024, un rapport de suivi constate que les programmes d’éducation à la vie affective et sexuelle, pourtant obligatoires, ne sont toujours « pas respectés ». En seconde, les séances « ne sont pas suffisamment développées ». Et pour les classes de première et terminale, le contenu des heures n’a pas été « présenté » aux inspecteurs.

Lors d’un deuxième contrôle effectué le 17 mai 2024 sur deux classes de cinquième, les inspecteurs ont relevé que les cours d’éducation à la sexualité étaient « insuffisants et non conformes au programme ». Plus grave encore, ils ont constaté qu’une heure « d’instruction religieuse » était toujours imposée à tous les élèves du lycée Stanislas, ce qui relève d’une atteinte à la liberté de conscience et constituait un point clé du rapport. Ils ont dénoncé plusieurs autres dérives :

absence de « message de prévention » auprès des élèves,
absence de « mise à disposition de préservatifs », pas même à l’infirmerie,
« stéréotypes de genre entretenus »,
« des contenus scientifiques approximatifs et inappropriés ».

Interrogée sur ces nouvelles dérives, Élisabeth Borne a refusé d’évoquer la suspension du contrat d’association. « Aujourd’hui, je pense que 10 % des élèves bénéficient des cours d’éducation à la vie affective et sexuelle », à l’échelle nationale, a-t-elle minimisé en promettant qu’ils seront assurés dans tous les établissements à partir de la prochaine rentrée.

Sur les autres manquements, la ministre s’en remet à un prochain contrôle de l’établissement prévu le 28 mai. « Je ne suis pas en mesure de me prononcer sur l’état des recommandations et des mises en demeure », balaye-t-elle ensuite.

À la fin de son audition mercredi, Françoise Boutet-Waïss a déploré la nomination du nouveau directeur de Stanislas, déjà responsable sous l’ère de l’ancien directeur Daniel Chapellier, accusé d’avoir agressé sexuellement un élève de 14 ans et jugé mercredi à Nanterre. « L’esprit Stan’ a de beaux jours devant lui, a regretté l’inspectrice. On peut faire tous les contrôles que vous voulez. Stan ne bougera jamais. C’est un peu désespérant. »