
Réalité des établissements, injonctions contradictoires, la « confrontation fait rage entre promoteurs et détracteurs des technologies actuelles », Bruno Devauchelle appelle dans sa chronique à une analyse globale dans la réflexion sur le numérique et l’IA dans l’Ecole. Dans ce contexte, il rappelle la nécessaire éducation à la pensée autonome.
Alors que la surchauffe de l’atmosphère contrarie cette fin d’année scolaire dans les salles de classe, on commence à préparer la suite, la prochaine rentrée. Plusieurs documents qui viennent ou vont être publiés nous invitent à imaginer ce qu’elle sera : circulaire de rentrée, cadre d’usage, stratégie pour le numérique éducatif, rapports de l’inspection générale et autres articles et ouvrages récemment publiés. Il semble bien qu’une confrontation fait rage entre promoteurs et détracteurs des technologies actuelles. Manifestement le pouvoir politique actuel a opté pour la limitation, l’encadrement, l’interdiction (se situant entre les deux extrêmes). Pendant que les promoteurs des technologies nous invitent à ne pas rater le virage imposé par la généralisation de l’Intelligence artificielle (confirmé par les investissements annoncés du pays pour développer l’IA). Dans le même temps les détracteurs nous annoncent des dégâts et peut-être même des catastrophes « cognitives » et « sociales ».
La nécessité d’une analyse globale
Au coeur des problématiques éducatives actuelles, il y a, en particulier, la limitation des « écrans », des smartphones (portables) et des réseaux sociaux et aussi la parentalité numérique. L’IA vient s’ajouter à cela pour ouvrir une nouvelle brèche dans le monde « traditionnel » des fondamentaux, du lire écrire compter qui sont au coeur de la forme scolaire actuelle. La lecture de la note d’analyse publiée en ce mois de juin (Note n°155 du Haut-commissaire à la Stratégie et au Plan.) donne un regard plus global mais ouvre à des hypothèses d’approfondissement qui ont le mérite de relativiser les assertions médiatisées de certains (détracteurs comme promoteurs des technologies), en particulier sur le rôle de la consommation d’écran. Ce document a le mérite de nous rappeler la nécessité de réfléchir de manière plus systémique… On peut penser qu’il est temps que nos politiques, comme nos « experts » et nos médias, cessent d’instrumentaliser le numérique en désignant régulièrement des boucs émissaires et proposent un sens des axes d’action concrets.
La réalité des établissements, un autre frein ?
Une analyse rapide, à partir d’enquêtes menées auprès d’enseignants du second degré, nous montre, à propos de l’IA que l’on est face à de nombreuses interrogations fondées sur des sentiments de méconnaissance, mais aussi de crainte. Rappelons ici que les conditions de mise en œuvre des moyens du numérique dans les classes et de manière régulière n’est l’apanage que de certaines disciplines en lien avec des équipements souvent insuffisants… (...)
A cela s’ajoutent les injonctions paradoxales, rappelées dans le rapport de l’IGESR de mai 2025 qui tentent de restreindre l’utilisation de l’IA à l’école l’illustrent bien :
Place des portables à l’école
Priorité aux fondamentaux
L’impact de l’IA face au développement durable
Absence d’outils souverains
Le bien être face aux évolutions techniques dont l’IA
La faiblesse du politique, une absence de vision éducative
Les hésitations et dilemmes des décideurs face au numérique dont l’IA est le dernier avatar, renforcent un sentiment d’inconfort chez les enseignants. A la rentrée scolaire prochaine nombre d’entre eux préféreront travailler personnellement en dehors de l’école avec le numérique et l’IA pour améliorer leur travail. Par contre, en classe, ce sera silence radio pour les élèves, au moins jusqu’à la fin du collège (malgré le projet PIX intégrant l’IA). Hormis quelques collègues de disciplines plus directement concernées par l’IA, le numérique sera remisé en arrière-plan, mais bien présent en filigrane des activités quotidiennes. (...)
Et pourtant nos enfants sont de futurs citoyens !
Et pourtant, il est aussi question d’éducation à la citoyenneté (sans ou avec le numérique) qu’il faudrait développer. Mais il est aussi question de préconiser auprès des familles, dans les réunions de rentrée, la limitation des écrans, faisant en sorte des enseignants « les éducateurs des familles ». Un ensemble de directives dont on attend confirmation, mais dont on a déjà entendu ou lu les prémisses (cf. l’interview de la ministre de l’Education dans les colonnes du quotidien Ouest France).
Les développements de l’IA ne sont pourtant pas sans remuer les systèmes éducatifs dans le monde entier (...)
Construire la capacité d’une « pensée autonome »
La question éducative impose pourtant de tenter de penser la manière de construire « une pensée autonome » dans un monde fait d’influences diverses, de saturation informationnelle, de contrôle, de surveillance, de nombreuses incertitudes… A l’instar d’autres pays engagés dans de véritables politiques autour du numérique (l’Estonie par exemple où « en mars 2025, le président estonien Alar Karis a annoncé le lancement du programme « AI Leap 2025 » visant à fournir aux lycéens et à leurs enseignants des outils d’apprentissage basés sur l’intelligence artificielle »), on ne peut que s’interroger sur l’écart entre les choix politiques en matière d’éducation, ceux en termes d’économie et plus globalement le projet éducatif global avec son volet numérique et IA.
Pour l’instant le cadre d’usage proposé est surtout restrictif, on attend la nouvelle version de la « stratégie pour le numérique éducatif » et aussi la mise à jour du Vademecum pour l’Education aux Médias et à l’Information…. Il faudra peut-être attendre la mi-juillet, pour faire passer ces documents qui seront, encore une fois, mis de côté… On attend aussi des politiques une vision plus claire de la place du numérique et de l’IA dans la société française.