
Pendant six mois, une commission d’enquête du Sénat a convoqué les PDG et cadres dirigeants de 33 grands groupes. Objectif officiel : comprendre combien d’argent public ces mastodontes, ainsi que l’ensemble des entreprises en France, encaissent chaque année, et avec quels contrôles (spoiler : quasiment aucun), alors que dorénavant c’est carrément un gel des prestations sociales qui est envisagé pour “assainir” les finances publiques en faisant contribuer exclusivement les plus pauvres. Mise sur pied à l’initiative du groupe communiste, mais présidé par un Républicain, la commission a rendu son rapport le 8 juillet. Ce qu’elle révèle n’est pas nouveau, mais le chiffre ne cesse d’augmenter : il atteint carrément 211 milliards d’euros sur un an. Face à ce chiffre monstrueux, les chroniqueurs de plateaux TV, les think tanks patronaux et les politiciens droitiers nous bombardent d’arguments tous plus mensongers les uns que les autres. On les liste ici et on y répond
C’est l’argument le plus martelé par le patronat et ses relais médiatiques : les aides aux entreprises ne seraient “pas vraiment de l’argent”.
Juste des “moindres charges”, des “allègements” arrachés à un État trop gourmand. Mais ce tour de passe-passe rhétorique ne tient pas deux secondes. Car ces “moindres charges”, notamment les exonérations de cotisations sociales, n’annulent pas les besoins qu’elles étaient censées couvrir : elles sont quasi intégralement compensées par l’État. Autrement dit, par le budget public, financé par l’impôt, en particulier celui des classes populaires, car la hausse de la TVA est souvent mobilisée. (...)
. Et pendant ce temps-là, on coupe dans les minimas sociaux et on serre la vis aux chômeurs, en conditionnant le moindre euro reçu… (...)
“Mais 80% de ces aides vont aux entreprises publiques”
Cette intox provient de l’IFRAP, un “think tank” très médiatisé, souvent présenté comme “indépendant”, mais financé par les entreprises (par des dons… défiscalisés). Pour calculer ce chiffre, il ne prend en compte que 28 milliards d’aides budgétaires sur les 211 milliards. En réalité, les grandes entreprises privées captent la majorité des aides, notamment à travers les exonérations de cotisations sociales, les crédits d’impôts, les aides à l’investissement, les dispositifs Bpifrance (Banque publique d’investissement : c’est une banque publique qui soutient le financement et le développement des entreprises principalement en leur prêtant de l’argent), etc. Le rapport du Sénat révèle (à ceux qui ne le savaient pas) que les grandes entreprises françaises reçoivent des aides directes ou indirectes sans aucune contrepartie obligatoire sur l’emploi, la transition écologique ou le maintien d’activité en France. Et pendant ce temps, ces mêmes entreprises continuent de distribuer des dividendes records. (...)
“C’est trop hétérogène pour qu’on parle d’un seul système”
Encore une tactique de diversion : noyer le poisson dans la complexité administrative. Le rapport du Sénat souligne précisément cette fragmentation comme un problème structurel. Plus de 2 200 dispositifs d’aide distincts existent, répartis entre l’État, les collectivités et les agences comme Bpifrance (le rapport ne prend pas en compte les aides européennes). (...)
« Aucun tableau de bord ne permet de connaître le montant des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, car les obligations de transparence en vigueur sont parcellaires, de portée limitée et peu opérationnelles », pointe le rapport du Sénat.
Le Sénat bricole, nous voulons tout reprendre
La commission sénatoriale ne se contente pas de ses constats, elle avance une série de réformes. Certaines cherchent à mettre un peu d’ordre dans le chaos, d’autres osent enfin remettre un peu en question l’impunité dont bénéficient les grands groupes. D’abord, le minimum syndical : un tableau public et annuel, produit par l’Insee d’ici 2027, pour savoir enfin qui touche quoi, combien, et pourquoi. Une base de données des aides publiques ventilées par taille d’entreprise, actualisée chaque année.
Le rapport ose aussi quelques coups de pied dans la fourmilière, comme l’interdiction des aides aux entreprises condamnées pour infractions graves ou à celles qui refusent de publier leurs comptes (...)
Cerise sur le gâteau : exclure les aides publiques du calcul du résultat distribuable aux actionnaires. En clair : on ne transforme plus directement l’argent public en dividendes privés. À une nuance près : les exonérations de cotisations sociales resteraient distribuables, parce que visiblement, siphonner la Sécurité sociale reste une tradition sacrée dans ce pays.
Ces propositions vont dans le bon sens, mais elles ne s’attaquent pas au fond du problème : en France, les grandes entreprises vivent sous perfusion d’argent public, et cette perfusion ne sert pas à l’emploi ou à l’investissement, mais à gonfler les dividendes et alimenter les fortunes privées. Tant que ce système reste intact, aucune mesure technique ne suffira (...)
Mais qu’on ne se fasse pas d’illusions : ce n’est pas une commission de sénateurs planqués qui changera les règles du jeu. Leur job, c’est de tamponner les intérêts du capital, pas de le renverser. Il nous faudra arracher ce pouvoir des mains de ceux qui l’ont confisqué.