
S’intégrer par l’agriculture (3/3).
InfoMigrants est allé à la rencontre d’exilés qui ont trouvé dans l’agriculture une voie d’épanouissement en France. En Bretagne, un groupe de demandeurs d’asile a lancé un projet de jardin maraîcher au nord de Rennes.
Eddy Valère, Kassiri, Bena, Justine, David, Laurent et les autres participants au projet se sont rencontrés dans les différents hébergements par lesquels ils sont passés depuis leur arrivée en France. Notamment dans des gymnases où la ville de Rennes a hébergé des exilés pendant plusieurs mois cet hiver. Les lieux ont été évacués début avril et la plupart des exilés qui s’y trouvaient se sont installés dans le parc Maurepas, dans le nord de Rennes.
Pliés en deux au-dessus du sol, les agriculteurs migrants binent et arrachent les mauvaises herbes autour des salades. En à peine quatre mois de travail, ils ont également fait sortir de terre de beaux pieds de tomates, poivrons, pommes de terre, courgettes, concombres ou encore d’aubergines sur cette parcelle entourée par un champ de luzerne. Au ras du sol, sous de grandes feuilles vert foncé, de grosses courges sont déjà formées et tendent doucement vers le orange. (...)
Pas d’accès au marché du travail
Le Collectif des agriculteurs migrants est né de la volonté de cette poignée de demandeurs d’asile de s’occuper les mains et la tête pour ne pas subir l’attente interminable des démarches administratives. "On n’a pas accès au marché du travail [en France un demandeur d’asile a le droit de travailler après six mois de présence en France s’il est toujours dans l’attente du résultat de l’examen de son dossier, mais, dans les faits, les embauches sont extrêmement rares, ndlr] mais on ne voulait pas rester sans rien faire. On a commencé par contacter la ville de Rennes pour participer à l’opération ville propre mais la mairie ne nous a jamais répondu", explique Eddy Valère à l’abri d’un hangar de la ferme qui jouxte le terrain cultivé par le collectif.
Le projet s’est concrétisé ici grâce à l’aide de Maxim Barjou. Cet ancien conseiller en agroforesterie a rencontré Eddy Valère en février dernier à l’occasion de la projection d’un documentaire dans un squat de Rennes. "On était dans l’entrée du squat et il y avait 5-6 personnes dont Eddy, donc on a commencé à discuter et on s’est rendus compte qu’il était hyper intéressé par l’agriculture et que moi je travaillais là-dedans, donc on a vite accroché", raconte-t-il à InfoMigrants.
Maxim Barjou est également membre du collectif Campagnes ouvertes et solidaires. Ce groupe s’est formé en Ille-et-Vilaine dans l’entre-deux tours des élections législatives de juin 2024 face à la crainte de voir l’extrême droite l’emporter. (...)
"Envie d’être utiles à la société"
Dans le groupe, certains ont déjà de l’expérience dans le monde agricole comme Eddy Valère ou Bena, qui ont fait des formations agricoles au Cameroun et en République démocratique du Congo (RDC). D’autres ont tout appris sur le tas, comme Laurent, 68 ans, ancien professeur de physique-chimie au Cameroun, ou Justine, réceptionniste en Côte d’Ivoire. Mais tous partagent l’envie d’"être utiles à la société". "On veut cultiver la terre et que nos produits aillent à des personnes dans le besoin", souligne Eddy Valère. (...)
C’est l’aspect social du projet auquel le groupe est attaché : faire profiter les personnes précaires de leur production, cultivée selon les principes de l’agriculture biologique, "pour préserver la santé des humains ". Les premiers légumes cultivés ont donc été proposés aux Restos du cœur qui vient désormais les collecter directement sur la parcelle.
Tous expriment aussi leur besoin de s’occuper pour ne pas trop souffrir de leur statut. Qu’ils soient en attente d’un rendez-vous à l’Ofpra, d’une décision de la CNDA ou d’un titre de séjour, ils se disent rongés par l’angoisse et l’ennui.
"Je viens ici en premier lieu pour avoir une bonne santé mentale, explique David, 43 ans, originaire du Cameroun. Quand je ne viens pas là, je reste à la maison et les journées sont trop longues. Ici, les journées passent vite donc je ne cogite pas trop".
Besoin d’outils
Bena aussi a besoin de s’occuper l’esprit. Cette ancienne infirmière reconvertie dans le maraîchage à Kinshasa a fui son pays quelque temps après l’aggravation des conflits dans l’est de la RDC. "Mon mari est caporal dans l’armée, il a été envoyé combattre là-bas. Je ne sais pas pourquoi mais un jour, des gens sont venus chez moi et m’ont agressée en me demandant pourquoi mon mari n’était pas là".
Ce jour-là, Bena a été violée par l’un de ses agresseurs. "Quand le deuxième a voulu me violer, je l’ai mordu à la main de toutes mes forces, alors il m’a tabassée", confie-t-elle à voix basse. À son arrivée en France, des dents cassées lors de ce passage à tabac et une profonde blessure à la jambe la faisait beaucoup souffrir. Bena a pu être soignée physiquement. Mais depuis le départ de son mari, la Congolaise souffre aussi de graves maux de tête et d’hypertension. Le maraîchage l’aide à s’apaiser. (...)
Le Collectif des agriculteurs migrants fait sa part. Mardi, les Restos du cœur sont venus récupérer pour leurs bénéficiaires les légumes produits dans le champ de Melesse. Dans quelques mois, les exilés aimeraient aussi pouvoir proposer des paniers de légumes aux personnes isolées des environs.