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De « L’Heure de Vérité » à « L’Heure des Pros » : retour sur quarante ans de lepénisation médiatique
#extremedroite #medias #journalisme
Article mis en ligne le 18 février 2024
dernière modification le 14 février 2024

Il y a tout juste quarante ans, le 13 février 1984, l’invitation de Jean-Marie Le Pen pour sa première émission politique, sur le plateau de l’émission politique de prime-time, « l’Heure de vérité », suscitait manifestations et polémiques. En 2024, ses successeurs sont omniprésents et traités avec complaisance. Le fruit d’un lent renoncement journalistique, auquel le quotidien L’Humanité a consacré dans son édition de ce mardi un intéressant dossier, sous-titré : « Comment la presse française a banalisé l’extrême droite » (...)

appel à se mobiliser plus que jamais pour stopper le rouleau compresseur médiatique qui a conduit le fascisme aux portes du pouvoir d’État, et ne manifeste aucune capacité de s’arrêter tout seul. (...)

Est-ce que la participation de Jean-Marie Le Pen à l’Heure de vérité, le 13 février 1984, a été un élément déterminant dans la propagation des idées du Front national ?

Oui, mais un élément parmi d’autres. Ce qui a rendu possible le phénomène médiatique et les succès électoraux qui ont suivi, ce n’est pas tant l’invitation en elle-même que la démission des journalistes qui l’interviewaient, et qui le plus souvent, sous couvert de « neutralité », se sont abstenus de tout fact-checking, et ont laissé le leader d’extrême droite dérouler son discours sans debunker ses grossiers mensonges (sur les chiffres de l’immigration, son prétendu lien avec l’insécurité, le chômage ou les déficits des comptes sociaux). Ils auraient pu le faire sans sortir de leur rôle de journaliste, ils auraient même dû le faire pour rester des journalistes – et ne pas devenir de simples porte-voix qui, en ne disant mot, consentent au mensonge xénophobe.

L’exposition médiatique du FN/RN lui profite-t-il de facto ?

Elle lui profite assurément, dès lors qu’aucun interviewer, ou quasi, ne fait ce travail consistant à opposer non pas un parti-pris à un parti-pris, mais la réalité des faits à des mensonges anxiogènes et stigmatisants. Tout récemment encore, j’entendais sur France Inter Jordan Bardella prétendre qu’il existe une « préférence étrangère » dans l’attribution des logements sociaux, sans que son intervieweuse Léa Salamé n’apporte la moindre contradiction à ce mensonge patent, grossier et particulièrement pervers – puisqu’il incite à la rancoeur et à la haine contre les étrangers. Qui ne dit mot consent, donc qu’elle le veuille ou non, en tant que journaliste, Léa Salamé valide, par son silence, l’affirmation mensongère et haineuse de Jordan Bardella. Elle le valide encore plus lorsque, à la demande d’un auditeur, elle valide explicitement le chiffre cité (une proportion importante d’étrangers habitant un logement social, vérifié sans ses services, sans démentir en revanche l’interprétation mensongère qui en est faite et que le chiffre n’implique aucunement. (...)

Ma position est qu’il ne faut pas donner de tribune aux fascistes. Le moins possible. On ne peut-sans doute pas – ou plus – pratiquer aujourd’hui un ostracisme total, en particulier en période de campagne électorale, et dans ce cas effectivement, la moindre des choses serait qu’au moins on apporte la contradiction aux candidats d’extrême-droite. Une contradiction sur deux plans : celui des principes et des parti-pris politiques, et celui des faits. (...)

L’histoire des quatre dernières décennies est hélas l’histoire d’une extraordinaire et terrifiante démission sur chacun de ces deux plans, dans ces deux champs que sont « le monde politique) et « le monde médiatique ». (...)

Macron a « débattu » à deux reprises avec Marine Le Pen, en se plaçant sur le strict plan technique, celui de la « compétence », face à la « poudre de Perlimpinpin » de son adversaire. Les mots « racisme » et « xénophobie » ont tout simplement disparu de son vocabulaire, et le président a récemment sanctionné durement Pap Ndiaye puis sa première ministre Elisabeth Borne quand ils se sont hasardés à appeler un chat un chat et l’extrême-droite l’extrême-droite. La morale, a tranché le président à cette occasion, est un registre « des années 90 ». Bref : la norme est devenue anomalie, et ce sont maintenant les intransigeants qui sont sur la sellette, sommés de répondre des pires accusations : sectarisme, intolérance, refus de la démocratie...

D’autres moments sont importants, comme les années Sarkozy, les années Valls, les années Macron – de nombreux épisodes, orchestrés par les gouvernants, ont alors contribué à banaliser et légitimer le FN et son héritier le RN. (...)

la progressive construction et expansion de l’empire médiatique de Vincent Bolloré, et notamment de ces deux machines de guerre idéologique et politique que sont d’une part « L’Heure des Pros » sur CNews et d’autre part « Touche pas à mon poste » sur C8 – et bien sûr le « Face à l’info » d’Éric Zemmour, repris par Mathieu Bock-Côté. Une autre partie se trouve, en amont, dans l’extraordinaire tribune hebdomadaire qui a été offerte par le service public de télévision à Éric Zemmour et à son travail de taupe idéologique – je veux parler ici de la responsabilité accablante de Laurent Ruquier et de ses supérieurs de France TV. (...)

On se prépare de plus en plus à l’alternance politique, et si celle-ci doit être lepéniste, ainsi soit-il ! Honneur aux vainqueurs et mort aux perdants, et tant pis si ces derniers se nomment démocratie et État de droit.

Cette disparition du journalisme offensif, des questions incisives, du travail de contradiction, cette radicalisation de la complaisance et de la servilité, trouve aussi son explication, sans doute, dans les transformations du champ politique mainstream, auquel le champ médiatique mainstream est profondément intégré, sinon fusionné. (...)

aucune règle de l’ARCOM n’interdit de programmer, à côté de ces temps d’antenne imposés, des reportages journalistiques ou des entretiens de chercheurs qui debunkent le faux et visibilisent les populations, les problèmes et les questions qui n’ont pas droit aux sondages. Si ce travail était fait, l’extrême droite ne serait pas, comme aujourd’hui, aux portes du pouvoir suprême.