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Mediapart
Dématérialisation de l’administration : faute d’une réponse de la préfecture, des vies à l’arrêt
#dematerialisation #migrants #immigration #France #precarite
Article mis en ligne le 16 décembre 2024
dernière modification le 14 décembre 2024

Angela Da Silva et Ullas, venus du Brésil et d’Asie du Sud-Est, peinent à joindre la préfecture pour régulariser leurs titres de séjour respectifs. De ce fait, les deux ne peuvent plus travailler, ni même bénéficier d’aides. Un silence administratif qui les mène en ligne droite vers l’extrême précarité.

C’est peut-être l’épreuve de trop pour Angela Da Silva. À 46 ans, elle a vécu trop de violences, de traumatismes et de rejet. Et perd de plus en plus pied. Depuis sept mois, elle n’a plus aucun papier d’identité et se trouve dans l’impossibilité de renouveler son titre de séjour faute de pouvoir prendre langue avec la préfecture de Paris, ni de se connecter à l’Anef (Administration numérique des étrangers en France) pour régulariser sa situation.

Depuis juillet 2019, la Brésilienne venue en France en 2014 bénéficiait d’un titre de séjour maladie régulièrement renouvelé au nom du VIH et de troubles psychiatriques. À partir de juin 2023, elle n’obtient que des récépissés. Elle a entrepris toutes les démarches nécessaires pour les renouveler, mais le dernier a expiré en juin 2024. Elle ne parvient pas à se connecter au site pour terminer ses démarches. (...)

Les problèmes s’accumulent en raison de ce souci administratif. Angela est privée de tous ses droits. Elle ne perçoit plus son allocation adulte handicapée (AAH), ses aides pour le logement (APL) et sa complémentaire santé solidaire. Or ces aides sont ses uniques moyens de subsistance, elle qui veut cesser son activité de travailleuse du sexe. La préfecture de Paris, sollicitée sur son cas, n’a pas répondu aux questions de Mediapart.

Résultat, Angela Da Silva ne peut plus s’acquitter de ses factures et accumule plus de 2 000 euros de dette de loyer. Mise en demeure de payer par son bailleur social, elle craint l’expulsion sitôt la trêve hivernale finie. Elle n’a plus Internet, et son électricité a été réglée par EDF au débit minimal en juillet.

Si elle a encore la lumière, elle ne peut plus utiliser les plaques de cuisine sans que les fusibles sautent. Peu importe, la femme n’a rien à cuisiner et peine à se « nourrir décemment » : « J’ai encore beaucoup de papiers à donner aux Restos du cœur pour pouvoir avoir à manger. »

Elle a honte d’en être réduite à récupérer les invendus à date limite de consommation très courte jetés par un supermarché à Paris. La solidarité de ses ami·es lui permet aussi de survivre alors qu’elle n’a plus de chauffage ni d’eau chaude pour se laver, ni même d’argent pour la laverie. L’hiver arrive, elle a froid.

Dans les « limbes administratifs »

Si sa situation initiale n’est pas identique, Ullas* se trouve aussi plongé dans un même cauchemar administratif, à l’instar de nombreux autres étrangers, comme le dénonce le rapport que publie ce mercredi 11 décembre le Défenseur des droits. (...)

Ullas dépose dès le mois de juin une demande de changement de statut, passant d’étudiant à salarié via la procédure du « passeport talent », réservée aux professions qualifiées et recherchées. Six semaines plus tard, sa demande a été classée sans suite au motif d’une pièce justificative manquante, une copie de son dossier de location. Or sur le site, il est stipulé que cette demande est facultative. Ullas avait pourtant joint ses quittances de loyer, celles-ci obligatoires. Il dépose une deuxième demande le 10 août, avec son contrat de location.

Dix jours plus tard, même sentence. (...)

toutes les conditions étaient pourtant réunies pour obtenir un visa de travail comme salarié en contrat à durée déterminée. Depuis, aucune nouvelle de la préfecture. (...)

Depuis le mois d’août, Ullas ne peut tout simplement pas travailler. Pour l’aider, son employeur contacte une avocate, Me Magda El Haitem, qui dépose un référé au tribunal administratif. Sans succès. Elle confirme les difficultés à joindre les préfectures, « inaccessibles et peu diligentes » concernant ces démarches. (...)

Angela Da Silva n’a donc plus de statut sans être vraiment en situation irrégulière. Son avocate, Me Sylvie Boitel juge que sa cliente est prisonnière dans les « limbes administratives », qu’une simple intervention humaine pourrait débloquer. Elle a néanmoins saisi le tribunal en référé.

Ullas non plus n’a jamais pu voir aucun humain pour se dépêtrer de ses ennuis. « Personne ne répond, c’est frustrant », dit-il. Lui aussi se trouve en délicatesse financière. Il a mis un peu d’argent de côté mais ses économies ne pourront lui permettre de tenir indéfiniment. Et sans titre de séjour, impossible de bénéficier de la moindre aide sociale ou chômage.

Son bail courait jusqu’à la fin octobre, il n’a plus de logement, et loue un Airbnb avec ses dernières économies. Pour se nourrir, le jeune homme se rend dans un temple sikh en Seine-Saint-Denis, qui réalise tout au long de la journée des distributions gratuites de repas végétariens.
Contexte politique anxiogène

Ullas est amer. Il s’attendait à ce qu’un pays occidental comme la France soit capable de gérer administrativement la délivrance de ces documents à ceux qui doivent travailler. « En fait, ce n’est même pas de la paresse, c’est de la négligence, poursuit-il. Je suis allé à la préfecture une fois, mais on ne peut pas entrer sans rendez-vous. On ne vous adresse même pas un regard. En sortant, j’ai vu cette file d’attente de 20 à 25 mètres de long avec ceux qui avaient pu obtenir un rendez-vous. » Le jeune homme est persuadé qu’il pâtit « du racisme » ambiant et d’une politique démagogique où les étrangers sont utilisés comme boucs émissaires électoraux.

Angela Da Silva se sent pareillement « malmenée » et semble visiblement à bout. Elle ne se résout pas à demander de l’aide auprès des différents travailleurs sociaux. La femme, transgenre, est réticente à les solliciter car elle doit aussi composer avec la transphobie des administrations. Ses papiers portent encore son ancien prénom. Elle est usée de faire face à des interlocuteurs persistant à l’appeler « Monsieur ». (...)

Tous arrivent dans un état de stress manifeste. Et un jour, on va avoir un problème grave. Quelqu’un va finir par s’immoler par le feu ou va brûler le cabinet.
Sylvie Boitel, avocate d’Angela Da Silva

(...)