
Des équipements militaires français fabriqués par les groupes KNDS-France et Lacroix équipant des véhicules blindés émiratis sont utilisés au Soudan, en « violation » d’un embargo de l’UE sur les armes, a dénoncé jeudi Amnesty International.
(...) Selon Amnesty, des véhicules de transport de troupes Nimr Ajban fabriqués aux Emirats arabes unis par le groupe national Edge sont utilisés par les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo « au Soudan, et vraisemblablement au Darfour ».
Ces blindés sont équipés du système d’autoprotection Galix, conçus par KNDS-France et Lacroix, selon des images de véhicules détruits diffusés par Amnesty.
Doté de capteurs, le système permet de détecter une menace et est équipé de plusieurs tubes lanceurs de fumigènes ou de munitions (de désencerclement ou de « neutralisation du personnel » situé à proximité du véhicule), détaille Lacroix sur son site internet.
Plus de 5.000 véhicules militaires dans le monde, dont ceux de l’armée française, en sont équipés.
Sollicité par l’AFP, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), chargé du contrôle des exportations de matériel de guerre, n’a pas pris connaissance du rapport et n’a pas fait de commentaire, tout comme KNDS-France et Lacroix (...)
Le Soudan fait l’objet d’un embargo de l’UE sur les ventes d’armes, tandis que l’ONU en impose un depuis 2004 pour la seule région du Darfour. L’ONG appelle à son extension à l’ensemble du territoire soudanais.
« Si la France ne peut pas garantir par des contrôles à l’exportation, y compris la certification de l’utilisateur final, que les armes ne seront pas réexportées vers le Soudan, elle ne devrait pas autoriser ces transferts », estime encore l’organisation.
La guerre au Soudan, qui a fait des dizaines de milliers de morts, oppose depuis avril 2023 l’armée, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, aux paramilitaires des FSR de son ex-adjoint, le général Mohamed Hamdane Daglo.
Les deux camps ont été accusés de crimes de guerre, notamment de bombardements aveugles de zones habitées, d’avoir visé délibérément des civils et bloqué l’aide humanitaire.
Lire aussi :
– (Amnesty International/communiqué)
Soudan. Un afflux constant d’armes alimente les souffrances des civil·e·s dans les conflits – nouvelle enquête
Des armes en provenance de Chine, des Émirats arabes unis, de Russie, de Serbie, de Turquie et du Yémen ont été identifiées
L’embargo sur les armes dans le Darfour est totalement inefficace
« Il s’agit d’une crise humanitaire qui ne peut être ignorée » – Deprose Muchena
Le conflit au Soudan est alimenté par un afflux constant d’armes dans le pays, souligne Amnesty International dans un nouveau rapport.
Ce rapport, intitulé New Weapons Fuelling the Sudan Conflict, présente des informations montrant que des armes étrangères récemment fabriquées ont été transférées au Soudan et dans ses environs, souvent en violation flagrante de l’embargo sur les armes dans le Darfour.
Amnesty International a constaté que des armes et des munitions récemment fabriquées ou transférées provenant de pays tels que la Chine, les Émirats arabes unis, la Russie, la Serbie, la Turquie et le Yémen étaient importées en grande quantité au Soudan, puis, dans certains cas, détournées vers le Darfour.
À ce jour, plus de 16 650 personnes ont été tuées depuis l’escalade du conflit entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces d’appui rapide (FAR) en avril 2023. Amnesty International a réuni des informations sur des cas de civil·e·s victimes de frappes aveugles et d’attaques menées directement contre la population civile. Certaines des violations du droit international humanitaire commises par les parties au conflit constituent des crimes de guerre. On estime que plus de 11 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays et que des millions d’entre elles sont exposées à un risque immédiat de famine. (...)
« L’afflux constant d’armes au Soudan continue de causer des morts et des souffrances à très grande échelle au sein de la population civile, a déclaré Deprose Muchena, directeur régional d’Amnesty International chargé de l’impact régional sur les droits humains.
« Nos recherches montrent que des armes entrées dans le pays ont été mises entre les mains de combattants qui sont accusés de violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains. Nous avons méthodiquement suivi la trace de diverses armes meurtrières – notamment des armes de poing, des fusils et de carabines – utilisées au Soudan par les forces belligérantes.
« Il est évident que l’embargo sur les armes qui ne s’applique actuellement qu’au Darfour est totalement inadéquat et qu’il doit être revu et étendu à l’ensemble du Soudan. Il s’agit d’une crise humanitaire qui ne peut être ignorée. Alors que la famine menace, le monde ne peut pas continuer de se désintéresser du sort de la population civile au Soudan. » (...)
Amnesty International a analysé plus de 1 900 dossiers d’expédition provenant de deux fournisseurs de données commerciales distincts, et examiné des preuves numériques et en accès libre – dont environ 2 000 photos et vidéos – concernant des armes récemment fabriquées ou récemment importées au Soudan. Amnesty International s’est également entretenue avec 17 spécialistes régionaux des armes et du Soudan entre février et mars 2024 afin de corroborer l’analyse des données et d’enquêter sur les filières d’approvisionnement en armes utilisées par divers groupes.
Un commerce mondial de la mort
Amnesty International a constaté que des armes légères et des munitions récemment fabriquées ou récemment transférées provenant de divers pays sont utilisées sur le champ de bataille par diverses parties au conflit. Des brouilleurs de drones de technologie avancée, des mortiers et des fusils antimatériels fabriqués en Chine ont été utilisés par les deux parties au conflit. Divers types véhicules blindés de transport de troupes récemment fabriqués et provenant des Émirats arabes unis ont été utilisés par les FAR.
Les données sur les expéditions indiquent que des centaines de milliers d’armes à blanc ont été exportées par des entreprises turques vers le Soudan ces dernières années, ainsi que des millions de cartouches à blanc. Amnesty International pense que ces armes pourraient être transformées en armes létales à grande échelle au Soudan, ce qui montre qu’il est nécessaire d’examiner de plus près ce commerce largement non réglementé.
Amnesty International a également constaté une tendance émergente consistant à détourner au profit des forces gouvernementales et des groupes d’opposition armés des armes légères normalement vendues sur le marché civil. Des entreprises en Turquie et en Russie ont exporté des variantes civiles d’armes légères qui sont utilisées par les deux parties au conflit.
Des armes telles que le fusil de précision Tigr et le fusil Saiga-MK, fabriqués par l’entreprise russe Kalashnikov Concern, qui sont normalement destinées à des détenteurs·trices d’armes civils, ont été vendus à des marchand·e·s d’armes ayant des liens étroits avec les FAS. (...)
« Le Conseil de sécurité de l’ONU doit de toute urgence étendre l’embargo sur les armes au reste du Soudan et renforcer ses mécanismes de surveillance et de vérification, a déclaré Deprose Muchena.
« Cet élargissement doit permettre de surveiller et prévenir efficacement les transferts internationaux et le détournement illicite d’armes vers le pays, et doit couvrir le plus large éventail possible d’armes afin de lutter contre le détournement généralisé de carabines, de fusils de chasse, de pistolets à blanc et de munitions connexes vers le Soudan.
« En fournissant des armes au Soudan, les États parties au Traité sur le commerce des armes – tels que la Chine et la Serbie – violent leurs obligations juridiques au titre des articles 6 et 7 du Traité, et sapent ainsi le cadre juridiquement contraignant qui régit le commerce mondial des armes. »
« Compte tenu des risques graves et persistants en matière de droits humains, tous les États et toutes les entreprises doivent également cesser immédiatement de fournir des armes et des munitions au Soudan, ce qui couvre la fourniture, la vente et le transfert directs ou indirects d’armes et de matériel militaire, y compris les technologies, pièces et composants connexes, l’assistance technique, la formation et l’aide financière ou autre. Les États doivent également interdire explicitement le transfert vers le Soudan d’armes à feu destinées à la clientèle civile, Amnesty International ayant constaté à maintes reprises que de telles armes se retrouvaient entre les mains des parties au conflit. »
(...)