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En Méditerranée, des pêcheurs gèrent eux-mêmes une réserve marine
#pecheartisanale #Mediterranee
Article mis en ligne le 30 octobre 2024

Dans le Var, un collectif de pêcheurs gère collectivement une zone de la mer laissée en jachère pour que la biodiversité prospère. Un modèle bénéfique pour la vie marine et les pêcheurs artisans.

(...) Cet endroit, c’est le cantonnement de pêche du Cap Roux. Une étendue de 445 hectares d’eau, d’herbiers de posidonie et de rochers, située au pied du massif de l’Estérel (Var). La pêche y est strictement interdite. Mérous, dentis, pagres et barracudas foisonnent, voltigeant en bancs dodus entre des bouquets de gorgones écarlates, décrit Muriel Verrier, secrétaire du club de plongée voisin d’Agay et monitrice de biologie marine : « Des poissons, il y en a beaucoup, gros, et pas farouches. » (...)

La particularité de ce lieu : ce sont les pêcheurs eux-mêmes qui ont collectivement décidé, en 2003, d’y interdire la capture de poissons, afin de laisser la biodiversité marine prospérer. Une première dans le pays. Depuis près de vingt-et-un ans, la zone est autogérée par la vingtaine d’entre eux qui travaillent aux alentours, fédérés au sein de la prud’homie de pêche de Saint-Raphaël. « Les pêcheurs se sont enlevé une partie de leur chiffre d’affaires pour protéger la ressource », souligne Olivier Bardoux, pêcheur artisan et membre de la prud’homie de Saint-Raphaël.

L’initiative a été prise dans le contexte de la création des premières aires marines protégées. (...)

Fatalement, le projet a entraîné quelques protestations de la part des pêcheurs fréquentant le plus ce coin de Méditerranée. « Mais la majorité y était favorable », dit Christian Decugis. Ce plébiscite peut s’expliquer par l’adaptabilité et la polyvalence des petits pêcheurs méditerranéens, dont est composée la prud’homie de Saint-Raphaël.

« On s’adapte à chaque époque, on picore un peu de chaque ressource, explique Olivier Bardoux. Pour compenser la perte de chiffre d’affaires, on a pu modifier notre façon de travailler, nos techniques et nos zones de pêche. » En Bretagne, où la pêche industrielle est davantage présente, une telle initiative pourrait rencontrer plus d’embuches, selon Maud Maury, chargée de plaidoyer au sein de l’association de défense des océans Bloom. (...)

Encore aujourd’hui, la plupart des membres de la prud’homie de Saint-Raphaël soutiennent l’existence du cantonnement de pêche du Cap Roux : en avril dernier, ils ont renouvelé pour dix ans l’interdiction de capturer des espèces marines dans la zone. « Il y a toujours des voix qui aimeraient une réouverture de la réserve, constate Olivier Bardoux. Mais dans l’esprit collectif, il n’y a pas de retour en arrière possible pour le moment. »

L’implication directe des pêcheurs fait partie des principaux avantages de ce modèle, selon Maud Maury. (...)

Laisser en jachère une partie de la mer peut également profiter aux pêcheurs. La littérature scientifique montre que la biomasse qui prospère dans les aires de non-capture peut déborder hors de leurs frontières. (...)

Le modèle reste cependant perfectible, selon les scientifiques. Pour qu’un cantonnement ait de réels bénéfices pour la biodiversité, il doit avoir vocation à rester fermé — et non à servir de « frigidaire » où aller se servir en poissons lorsque leur nombre augmente, dit Joachim Claudet : « Quand on les rouvre à la pêche, les effets sont immédiatement annihilés. »

« Si on avait des subventions, on pourrait mettre en place des plans pérennes » (...)

En Méditerranée, la réglementation de 95 % des aires marines « protégées » est identique à celle des zones qui ne le sont pas, selon une étude publiée en 2020 dans la revue scientifique One Earth. Seul 0,23 % des aires marines protégées sont réservées aux techniques les moins agressives (comme le harpon ou la ligne) ou strictement interdites à la pêche, comme c’est le cas au Cap Roux.