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Mediapart
En Nouvelle-Calédonie, Manuel Valls se heurte aux macronistes radicalisés
#NouvelleCaledonie #Kanaky
Article mis en ligne le 25 février 2025

Au premier jour de son déplacement dans l’archipel, le ministre des outre-mer a été pris à partie par des élus de son propre camp politique. Les mêmes qui n’ont cessé de murmurer à l’oreille des responsables parisiens, tout en attisant les tensions sur place. Et qui ne cachent désormais plus leurs accointances avec l’extrême droite.

La scène, filmée samedi 22 février par les médias locaux, est à peine croyable tant elle tranche avec les échanges policés qu’ont d’ordinaire les membres du camp présidentiel lorsqu’ils accueillent des ministres en déplacement. On y aperçoit Manuel Valls, au premier jour de sa visite en Nouvelle-Calédonie – où il espère reprendre les discussions sur l’avenir institutionnel de l’archipel –, se disputer avec le député macroniste Nicolas Metzdorf et l’ancienne secrétaire d’État en charge de la citoyenneté Sonia Backès, toujours présidente de la province Sud.

Pris à partie par des militant·es non indépendantistes muni·es de pancartes où l’on pouvait notamment lire « Valls, trois fois non, même mon chien comprend » – en référence aux résultats des trois référendums d’autodétermination –, le ministre des outre-mer a réclamé à chacun·e du « respect ». Un message qu’il a surtout adressé à Nicolas Metzdorf, vers qui il s’est d’ailleurs tourné, le visage crispé et le doigt tendu : « N’oublie pas, tu es un député de la République ! » (...)

Dans un entretien accordé avant son déplacement, Manuel Valls avait expliqué être « revenu aux fondamentaux des accords de paix » déjà signés en 1988 et 1998, rappelant la « trajectoire inédite » écrite par l’accord de Nouméa il y a près de trente ans. « Ce chemin, nous devons l’achever, et l’État, impartial, en est le garant pour qu’il aille jusqu’au bout, avait-il indiqué. La trajectoire est celle qui va d’une souveraineté partagée à une souveraineté pleine et entière, ce sont les accords. Il ne peut y avoir de retour en arrière – ce que des forces, des deux côtés, voudraient. »

Des mots qui ont fait bondir les élu·es loyalistes les plus radicalisés de l’archipel, qui considèrent que les trois consultations référendaires ont fermé le ban aux revendications indépendantistes, quand bien même les résultats du dernier scrutin n’ont aucune légitimité politique – les premiers concernés ayant refusé d’y participer. (...)

Samedi, en marge d’un hommage au gendarme tué au plus fort des révoltes qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie à partir du 13 mai 2024, Nicolas Metzdorf a donc poursuivi sa diatribe en s’énervant directement contre Manuel Valls. « Quand tu dis qu’il y a un peuple premier chez les Kanak, tu ne nous respectes pas !, lui a-t-il lancé. Moi, on ne me traite pas de peuple second ! [...] Parce que si t’as un peuple premier, t’as un peuple second. L’insulte, elle est horrible. »

Face à lui, le ministre des outre-mer a été contraint de rappeler quelques fondamentaux : « Dire ça, c’est un révisionnisme de ta part... Je te le dis : je vais t’offrir une visite au musée des Arts premiers. » Et de poursuivre : « Attention, y compris quand tu parles de cette manière du peuple premier, c’est dans la Constitution. » « C’est une erreur parce que s’il y a un peuple premier, c’est qu’il y a un peuple second. Y en a qui sont plus importants que d’autres », a tout de même insisté le député. (...)

L’échange immortalisé par les caméras a atterré jusque dans les rangs des non-indépendantistes, où l’ex-député Philippe Gomès s’est ouvertement moqué de Nicolas Metzdorf. Plusieurs autres figures lui ont emboîté le pas, sur un ton plus affligé que railleur (...)

Mais les principaux intéressés n’en ont pas démordu, comme en témoignent leurs messages postés dans la foulée sur les réseaux sociaux, Nicolas Metzdorf insistant sur le fait que le mot « premier » renvoyait selon lui à « une hiérarchie, un podium des légitimités ». (...)

Ces discours se sont récemment transformés en premières mesures, prises depuis la province Sud que l’ancienne secrétaire d’État dirige depuis 2019. Suppression de l’allocation de rentrée scolaire, refus de bourses, difficultés d’inscriptions dans certaines écoles, problèmes de transports... Des responsables associatifs s’inquiètent à présent de ce qu’ils qualifient de « punition collective » visant les habitant·es des quartiers populaires de Nouméa où ont éclaté les violences en mai 2024.

La collectivité a beau se défendre de toute forme de discrimination, le constat est bien réel. (...)

Marion Maréchal, Éric Zemmour et les alliés du RN

Politiquement, Sonia Backès s’est de nouveau illustrée il y a quelques jours en relayant sur son compte Facebook une tribune de Marion Maréchal intitulée « Monsieur le Ministre Manuel Valls, la Nouvelle-Calédonie n’est pas une colonie, c’est la France ! ». Deux semaines plus tôt, c’est Nicolas Metzdorf qui posait aux côtés de l’eurodéputée d’extrême droite et de son collègue Nicolas Bay, rencontrés dans le cadre de travaux sur les ingérences de l’Azerbaïdjan en Nouvelle-Calédonie.

Début février encore, les deux loyalistes s’étaient rendus à Paris pour une première rencontre avec le nouveau ministre des outre-mer dans une petite délégation comprenant notamment Brieuc Frogier. Ce proche de Sonia Backès est aussi connu pour avoir soutenu Éric Zemmour pendant la campagne présidentielle de 2022 (...)

Les liens entre cette droite calédonienne et l’extrême droite sont nombreux. Au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, Guy-Olivier Cuénot, le délégué du RN dans l’archipel, siège par exemple parmi les six membres de la coalition « Rassemblement » présidée par l’élue Les Républicains (LR) Virginie Ruffenach. Il a récemment rejoint la longue liste des « brebis galeuses » du parti d’extrême droite pour des propos racistes retrouvés par Libération. (...)

Ces dernières années, la présidente de la province Sud et le député Nicolas Metzdorf ont tous deux alimenté le pouvoir avec leurs discours niant l’idée même du processus de décolonisation en cours en Nouvelle-Calédonie – toujours inscrite, ne leur en déplaise, sur la liste des territoires non autonomes établie par les Nations unies. Ce sont aussi eux qui ont poussé pour « revenir sur le gel du corps électoral », le fameux texte qui avait embrasé l’archipel. « Le bordel, c’est nous qui le mettrons, si on essaie de nous marcher dessus ! », avait prévenu Sonia Backès bien avant que les révoltes n’éclatent.

À l’époque, Nicolas Metzdorf, qui s’était amusé à offrir un fouet à Gérald Darmanin « pour l’encourager à faire aboutir [les] dossiers », avait même été nommé rapporteur du projet de loi décrié, comme une énième rupture du contrat initial. Et c’est tout naturellement qu’Emmanuel Macron a fini par adopter le point de vue de ses alliés. (...)