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Mediapart
Les désillusions d’un jeune policier prometteur confronté aux dérives de sa brigade
#police
Article mis en ligne le 31 mai 2025
dernière modification le 27 mai 2025

Fils de policier, major de sa promotion, Evan L. était promis au plus bel avenir. Jusqu’à ce qu’il découvre les excès et les méthodes quotidiennes de ses collègues, parfois au mépris de la loi.

(...) Début avril, il a également adressé un signalement au parquet du Havre, au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale, pour dénoncer les pratiques « illégales » de ses anciens collègues des « stups ». Contactée par Mediapart, la procureure Soizic Guillaume indique avoir ouvert une enquête, confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Evan L. a été entendu comme témoin par les enquêteurs de la délégation rennaise, mardi 22 avril.

La liste de ses reproches est longue : des « blagues » à caractère raciste, homophobe et sexiste dans le groupe WhatsApp de l’unité ; le partage d’informations touchant à la vie privée des suspects, sans lien avec les enquêtes ; l’usage de techniques « limites », voire interdites : réquisitions téléphoniques sans autorisation du magistrat, perquisitions « mexicaines » (sans témoin), faux « marquages positifs » du chien spécialisé en détection de drogues.

Sollicité par Mediapart, le service de communication de la police nationale n’a souhaité faire aucun commentaire, invoquant l’enquête judiciaire en cours. (...)

Plus largement, le policier considère que ses collègues n’avaient « aucune considération pour les gens placés en garde à vue », traités couramment de « pouilleux » et de « bâtards », vus comme « des nuisibles de la société, irrécupérables » : « Pour eux, c’étaient tous des coupables. Le but, c’était de les détruire pénalement, de les pourrir. »

« Ce n’est pas la première fois que des propos inadmissibles et qui tombent sous le coup de la loi pénale, notamment racistes, sont tenus dans des groupes de discussion entre policiers », rappelle Yaël Godefroy, l’avocate d’Evan L., regrettant que « malgré des précédents ayant donné lieu à des procédures pénales, des condamnations et des révocations, ces pratiques et les idées persistent ».

Vidéos intimes

D’autres messages WhatsApp relèvent clairement d’une violation de la vie privée : on y voit l’intérieur des domiciles perquisitionnés, un interpellé en caleçon, un enfant en bas âge sur un lit, la photo d’une passante en brassière immortalisée par un dispositif de surveillance. Un policier partage même dans le groupe une vidéo intime d’une jeune femme.

Selon Evan L., ces images ont été extraites du téléphone d’une suspecte, finalement relâchée sans poursuites à l’issue de sa garde à vue en juillet 2023. (...)

« Ces personnes ne sont pas au courant que leur vie privée a été partagée dans un groupe à une dizaine de personnes, et on ne sait pas où ces images peuvent finir » (...)

Outre ces messages, le signalement d’Evan L. au procureur s’attarde sur des méthodes de travail potentiellement illégales, consistant à effectuer certains actes d’enquête hors procédure et à les régulariser seulement a posteriori, s’ils donnent un résultat positif.

Il affirme ainsi que de nombreuses réquisitions sont faites auprès des opérateurs téléphoniques, sans autorisation préalable du magistrat, pour obtenir les factures détaillées (fadettes) de suspects. Si le résultat intéresse les enquêteurs, le magistrat est alors sollicité a posteriori et une nouvelle réquisition envoyée aux opérateurs, pour que la date colle.

« Un collègue m’a formé à “travailler à l’envers” sur les fadettes, explique Evan L. Il m’a dit : “Tu vérifies avant, et si c’est probant, tu fais la demande et tu mentionnes en procédure.” » Dans les cas où la recherche est infructueuse, elle n’apparaît jamais dans l’enquête, bien qu’elle ait été effectuée par les policiers et facturée à l’administration. Le parquet a accès à ces requêtes, mais son contrôle reste la plupart du temps théorique (...)

« Rien n’a été volé, déposé, modifié ou altéré », assure cependant le gardien de la paix. « J’avais cinq mois de boîte et je ne voulais pas aller à l’encontre du chef, donc je l’ai fait, dit Evan L. J’ai quand même dit après coup que je n’étais pas d’accord. C’est quand j’ai commencé à contester qu’ils ont vu que je n’allais pas tout accepter. »

Le « coup du chien »

Evan L. décrit une autre méthode contestable, surnommée « le coup du chien ». Il raconte que lorsque des informateurs renseignent les policiers sur un potentiel vendeur de drogues, ils doivent ouvrir une enquête préliminaire qui limite leurs pouvoirs coercitifs. Il existe toutefois une parade : lorsqu’un chien policier, dressé à détecter les stupéfiants, « marque » devant une porte fermée, la procédure bascule en flagrant délit. Les agents peuvent alors perquisitionner le logement sans le consentement de l’occupant des lieux.

Selon le récit d’Evan L., quand les policiers de l’Uses sont déterminés à franchir une porte, ils écrivent donc sur procès-verbal que le chien a « marqué », même quand ce n’est pas le cas. (...)

Avec quelques mois de recul, Evan L. raconte avoir subi une « placardisation » progressive, qu’il attribue à ses désaccords sur « la façon de travailler » de ses collègues. Il s’inquiète aujourd’hui de savoir s’ils « vont tous rester unis » ou se désolidariser les uns des autres.

Selon son récit, moins de six mois après son arrivée, ses chefs commencent à lui reprocher son « manque d’intégration » et « d’implication » dans le groupe, sans pour autant critiquer la qualité de son travail, sur laquelle il soutient être « très pointilleux ». (...)

En avril 2024, moins d’un an après son arrivée, Evan L. demande à changer de groupe et rejoint la brigade d’atteinte aux biens du même commissariat, un service où il se dit « rassuré » de n’avoir rencontré « aucun problème similaire ».

Les reproches « officiels », c’est-à-dire couchés sur papier, n’ont pourtant commencé qu’après ce changement de service. Alors que sa titularisation se fait attendre, Evan L. apprend qu’il va devoir redoubler son année de stage. Ses supérieurs hiérarchiques multiplient alors les écrits sur son « manque d’implication », son « dilettantisme ». Ses « carences » professionnelles lui valent même un « rappel à la règle » à la suite d’une erreur de date sur un formulaire officiel.

Après l’échec de ses recours amiables, le jeune policier a récemment saisi le tribunal administratif pour contester son redoublement, qu’il interprète comme des représailles. Aujourd’hui, il a « peur d’être blacklisté un peu partout ». (...)