
Le coup de téléphone entre Vladimir Poutine et Donald Trump ainsi que la tournée de ce dernier au Proche-Orient permettent de mieux comprendre les ressorts de sa diplomatie. Washington ne peut plus se permettre d’être le « gendarme du monde », et la priorité est la rivalité avec Pékin.
Lundi 21 mai, pendant plus de deux heures, Donald Trump et Vladimir Poutine se sont parlé au téléphone. Rien de substantiel n’est sorti de cet échange. Alors que le président des États-Unis s’était engagé, avant d’être élu, à mettre fin en vingt-quatre heures à la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, il renvoie désormais la responsabilité aux deux principaux acteurs.
En rendant compte de cet échange aux journalistes, Vladimir Poutine l’a qualifié de « substantiel et assez franc ». « Dans l’ensemble, je crois que c’était un échange très productif », a-t-il ajouté, signifiant, en termes diplomatiques, que finalement aucun résultat majeur n’avait été obtenu. « Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’identifier les moyens les plus efficaces pour parvenir à la paix », a expliqué le dirigeant russe. (...)
Le président états-unien a affirmé que des progrès avaient eu lieu et, contrairement à ce qu’il avait laissé entendre auparavant, il n’a pas fait état de sanctions si jamais Moscou continuait à gagner du temps. Il s’en est tout simplement remis à une éventuelle médiation du tout nouveau pape, son compatriote Léon XIV, qui a reçu lundi 19 mai le vice-président J. D. Vance au Vatican. « Que le processus commence ! », a-t-il lancé en conclusion d’un communiqué publié sur les réseaux sociaux.
La fin des « ennemis permanents »
Ce coup de téléphone et la tournée au Proche-Orient de la semaine dernière, qui l’a conduit en Arabie saoudite, au Qatar et aux Émirats arabes unis, sans passer par Israël, ont confirmé les principales orientations de sa politique étrangère, menée au nom de son slogan : « America First » (« l’Amérique d’abord »).
Selon Donald Trump, les États-Unis ne peuvent plus se permettre d’être les « gendarmes du monde » et n’ont plus vocation à imposer la démocratie sur la planète, une marque de fabrique de la diplomatie prônée par les néoconservateurs et appliquée en particulier par George W. Bush lors de la guerre en Irak en 2003.
Il y a une semaine, à Riyad, Donald Trump l’a martelé devant le prince saoudien Mohammed ben Salmane et un parterre de dirigeant·es politiques et économiques.
Dans son discours, il a ainsi dénoncé les errements de ses prédécesseurs et les guerres sans fin menées par son pays. (...)
Dans ce cadre, le président états-unien s’est émerveillé de la transformation en cours en Arabie saoudite et dans les pays du golfe Persique, louant « une nouvelle génération de dirigeants [qui] transcende les conflits anciens et les divisions lassantes du passé, et façonne un avenir où le Moyen-Orient sera défini par le commerce, et non par le chaos ». (...)
Les flatteries adressées au prince Mohammed ben Salmane contrastent avec l’absence de toute référence à Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien. Sur Gaza, Donald Trump s’est contenté de dire que sa population méritait « un avenir bien meilleur » et que « la façon dont ces personnes sont traitées [dans le territoire] est horrible ».
Donald Trump, qui a vanté la puissance militaire de son pays et sa capacité de l’utiliser si besoin, a même annoncé vouloir trouver un accord avec l’Iran – une option farouchement combattue par Nétanyahou –, expliquant n’« avoir jamais cru qu’il fallait avoir des ennemis permanents » (...)
Main tendue à la Syrie
Le président états-unien a aussi annoncé durant sa tournée la levée des sanctions contre la Syrie (prises en 2004, puis à nouveau en 2011, alors que le pays était par ailleurs désigné comme État soutenant le terrorisme depuis 1979) et serré la main à son homologue syrien Ahmed al-Charaa. « Les sanctions ont été brutales et paralysantes, a-t-il souligné. Elles ont eu une fonction vraiment importante, à l’époque, mais maintenant leur heure de gloire est passée. Nous supprimerons toutes les sanctions, et nous dirons bonne chance à la Syrie. »
Sur son blog de Mediapart, Ziad Majed, politiste franco-libanais qui enseigne la science politique et les études du Moyen-Orient à l’université américaine de Paris, souligne que Donald Trump, en raison de sa personnalité et de sa conception des relations internationales – et du Moyen-Orient en particulier –, se démarque totalement « des doctrines diplomatiques traditionnelles de Washington ». (...)
paradoxalement, Donald Trump reprend un des axes de la stratégie de Barack Obama, le « pivot » qui s’était traduit par un rééquilibrage vers l’Asie, à la fois militaire et politique.
La Chine au premier rang
En Europe, les États-Unis de Donald Trump jugent ne plus avoir vocation à servir de « parapluie » si leurs alliés ne contribuent pas plus aux efforts, dans le cadre de l’Alliance atlantique. (...)
« Le XXIe siècle sera défini à mon avis par celui qui gagne la grande compétition entre grandes puissances qui oppose les États-Unis et la Chine », a averti Eric Schmitt, ajoutant : « Je n’exagère pas en disant que nous n’avons jamais eu un adversaire de cette taille, à la fois un rival économique et militaire. L’Union soviétique était un rival militaire et bien sûr un rival nucléaire, mais jamais un rival économique. La Chine l’est. » (...)
on voit bien que Trump s’engage dans une voie où les alliés, que ce soit Israël ou l’Otan, n’empêchent pas de se rapprocher des ennemis, qu’il s’agisse de Moscou ou de Téhéran, l’essentiel étant de se concentrer sur la Chine.
John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump et figure du néoconservatisme en politique extérieure, s’inquiète de voir Steve Witkoff, qui ne connaît rien à l’Iran ni à la Russie, s’occuper de tous ces dossiers. « Engageriez-vous le meilleur avocat spécialisé en divorce du pays pour gérer votre prochaine affaire antitrust ? », a-t-il lancé au sommet sur la sécurité de Politico, jugeant que l’émissaire présidentiel s’était « déjà montré vulnérable à la manipulation de Vladimir Poutine ».
Par ailleurs, il s’est étonné d’un possible accord avec l’Iran, qui serait une nouvelle version de celui conclu par Barack Obama, pourtant rejeté par Trump lui-même. (...)
Pour le sénateur Eric Schmitt, ce qui relie néanmoins les « réalistes » et les « néocon », c’est la conviction trumpienne que la paix s’obtient « au moyen de la force ». Bref, qu’il ne faut pas hésiter à montrer les muscles au moment opportun.