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Histoire coloniale et postcoloniale
Entretien avec Linh-Lan Dao : le racisme anti-asiatique, un racisme protéiforme dont il faut prendre conscience
#racisme
Article mis en ligne le 6 mai 2025
dernière modification le 4 mai 2025

Pour histoirecoloniale.net, Alain Ruscio et Cheikh Sakho se sont entretenus le 18 avril 2025 avec la journaliste Linh-Lan Dao, autrice de Vous, les Asiates. Enquête sur le racisme anti-asiatique en France, Denoël, 2025.

Votre livre est un véritable plaidoyer pour le fait qu’il y a un racisme anti-jaune. Tous les militants et tous les scientifiques récusent ce terme « jaune », mais enfin c’est le mot, utilisé.

Comment définiriez-vous le racisme anti-asiatique ?

En effet, le terme « jaune », à l’image du « n* word » est à bannir puisqu’il s’agit d’un terme raciste utilisé par les Occidentaux pour éloigner les populations asiatiques de la blanchité dès le XVIIe siècle. Aujourd’hui le racisme anti-asiatique se manifeste de plein de manières différentes et l’invisibilisation, elle nous vient de la part de la société, mais aussi des Asiatiques eux-mêmes, c’est-à-dire qu’un bon nombre d’Asiatiques vont intérioriser ce mythe de la minorité modèle qui pour moi fait partie de ce racisme. (...)

Quant à l’humour raciste, c’est quelque chose que je ne prenais pas non plus au sérieux, alors il a fallu que je discute avec des spécialistes pour légitimer mon indignation. Ils m’ont fait savoir que non, non, il existe bien ce qu’on appelle le « racisme récréatif ». (...)

Je montre aussi qu’il y a de la discrimination à l’emploi, au moment de l’embauche, et de la discrimination au logement, chiffres à l’appui. Donc, je dirais que le racisme anti asiatique est protéiforme et qu’il va se manifester de façon encore plus violente si l’on est précaire. (...)

Parmi les déclencheurs de votre engagement, un sketch que vous avez vu en 2016, Les Chinois de Kev Adams et Gad Elmaleh. Trouve-t-on encore ce genre de représentations dans la France de 2025 ?

Affirmatif ! Malheureusement, hélas oui ! J’étais déjà choquée de voir ce sketch en 2017, je me suis dit : « Mince alors ! à la cour de récréation, j’entendais les mêmes trucs et là ils les ressortent ». Et ils les ressortent tels quels, Michel Leeb dans les années 80, Gad Elmaleh dans les années 2010. Et là l’accent prétendument chinois, enfin le fameux « accent asiatique », je le retrouve beaucoup sur des vidéos humoristiques sur Instagram. Je sais qu’il y a un influenceur qui s’appelle Inox Tag qui est un peu connu maintenant depuis qu’il a gravi l’Everest. Je me souviens, il tombe sur un petit jeune Asiatique et commence à prendre cet accent… Et le jeune homme lui fait remarquer que c’est raciste. Toujours au niveau de de l’humour et des sketchs, il y a Aymeric Lompret qui a fait un sketch sur les accents de façon générale et il voulait imiter un Chinois qui avait un accent marseillais mais c’était très malaisant et il a fini par faire le fameux accent asiatique qui n’existe pas. Ça c’était sur Radio Nova et c’est dans une émission sur une radio de gauche. Mais il y a plein de gens qui m’ont dit : « Non mais, de toute façon ils sont de gauche »… Là j’avais envie de dire oui, on peut être de gauche, moi je suis de gauche, mais ça n’empêche pas de faire des dérapages racistes, bien au contraire. (...)

Ce soi-disant humour est quand même très dévastateur. On pense à l’abominable film de Jean Yanne, Les Chinois à Paris, un des grands succès des années 70.

Cet « accent » est encore présent dansdes sketchs. Et puis il y a souvent des extraits de films cultes qui ressortent, comme celui de la Tour Montparnasse infernale, où Éric Judor capitalise sur le faux accent asiatique. Ce racisme interpersonnel venant de la part de personnes racisées, et cela n’encourage pas à la solidarité. (...)

Un des chapitres de votre ouvrage s’intitule « Colonisation, décolonisation et formation des stéréotypes ». À votre avis, où en est la société française sur ces questions à l’heure actuelle ?

Je pense que la société française gagnerait à vous lire plus, vous qui connaissez très bien l’histoire coloniale. Je pense qu’il y a un déni actif de cet héritage commun, « un passé qui ne passe pas ». Rien qu’avec la polémique impliquant le journaliste Jean-Michel Apathie, qui a comparé les massacres commis pendant la guerre d’Algérie à celui d’Oradour-sur-Glane commis par les Nazis ! Ce comparatif a provoqué une tempête médiatique, surtout à l’extrême-droite, ainsi que le scepticisme de certain de mes collègues. En réalité, c’est notre boulot de journaliste d’étudier la guerre coloniale et d’en mesurer les effets sur la société française d’aujourd’hui. (...)

quel lien entre la rigueur que vous observez dans votre travail et votre position personnelle en tant que militante de votre association, l’AJAR (Association des Journalistes Anti-Racistes et Racisé.e.s) ?

Le but de l’association, c’est de lutter contre le racisme dans les rédactions, les écoles de journalisme et dans le traitement médiatique. Et c’est d’améliorer la représentation, c’est-à-dire, plus de personnes racisées dans ces rédactions. En fait, on aimerait bien que le journalisme soit à l’image de la société française, donc un petit peu plus varié, que les récits ne soient pas trop déconnectés de la réalité de la société. Parce qu’on sait que le journalisme est loin d’être neutre, le journalisme relaye quand même la position dominante, mais c’est une domination qui s’ignore. (...)

Les médias ce sont des espaces de pouvoir, on en s’en rend par forcément compte quand on se lance dans le métier. Les rédactions, ce sont des lieux où il y a des dynamiques de pouvoir très, très fortes. Et quand on arrive, qu’on est racisé.e et qu’on n’a pas de réseau parce que nos parents sont « juste » des enfants d’immigrés, c’est un peu la douche froide. Donc, on s’entraide. Je suis membre de cette association depuis la création en mars 2023, je fais partie des porte-parole. Mais je vais aussi m’occuper du groupe de parole, c’est-à-dire que c’est un groupe où on peut parler de de nos déboires et de se donner des conseils pour avancer. Enfin, on a besoin de ces espaces pour se confier parce que parfois c’est difficile. (...)

J’avais une dernière chose à dire sur le color blindn5ess de la France, ça c’est vraiment un gros frein au progrès de l’antiracisme. Ce color blindness où on nous dit : « Ah ben, je ne vois pas les couleurs ». Voir le racisme c’est voir les couleurs, peut être que la France se dit universaliste, mais nous, on les « sent » les couleurs, c’est-à-dire qu’on ne se réveille pas tous les jours en se disant oui je suis asiatique, oui je suis arabe ou quoi que ce soit, mais la société nous le rappelle très rapidement et très régulièrement.