
Actuellement jugé pour tentative de coup d’État, l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro (2019-2023) se retrouve au cœur d’un affrontement entre les présidents brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, et états-unien, Donald Trump. Dans une lettre adressée ce 9 juillet à son homologue Sud-américain, le locataire de la Maison blanche a ouvertement exprimé son soutien à Bolsonaro, tout en annonçant appliquer 50 % de droits de douane sur les produits brésiliens entrant aux États-Unis à compter du 1er août.
De passage en France le mois dernier, la ministre brésilienne des Sciences, de la Technologie et de l’Innovation – et présidente du Parti communiste du Brésil – Luciana Santos confiait à l’Humanité la difficulté de tourner la page Bolsonaro, tant les valeurs anti-démocratiques véhiculées par celui-ci ont infusé dans une partie de la société brésilienne.
Le retour de Lula à la tête du Brésil, en 2023, signifie-t-il pour autant que l’ère Bolsonaro soit définitivement dépassée ? (...)
Tourner définitivement cette page n’est pas si évident, pour de nombreuses raisons. Le premier aspect est la relance des politiques publiques, puisque la plupart de celles-ci ont été quasiment démantelées, alors qu’elles bénéficiaient énormément à la population. Qu’il s’agisse de la construction de logements sociaux, de programmes d’infrastructures et d’assainissement ou de la reprise des actions visant à augmenter le nombre de places vacantes dans les écoles et universités publiques… En fait, tous les secteurs ont été durement touchés.
L’un des exemples les plus frappants est peut-être celui du système de la santé publique, qui est l’un des acquis les plus importants du peuple brésilien. La reprise en main du SUS, le Système unique de santé, n’a pas été évidente en raison des énormes revers structurels qu’il a subis, des soins de base jusqu’aux programmes de vaccination.
Personne n’a oublié la gestion calamiteuse de la pandémie par Covid19 par le gouvernement de Jair Bolsonaro (2019-2023), avec des discours mortifères.
Sous l’administration précédente, le Brésil a tellement régressé en la matière que des maladies la polio ou la rougeole, qui avaient été éradiquées, ont refait surface, nous obligeant à remettre à jour les plans nationaux d’immunisation. En définitive, nous avons dû redoubler d’efforts pour relancer quasiment tous les programmes de santé.
Mais nous pourrions multiplier les exemples dans d’autres secteurs. Dans le cas du ministère que je dirige, nous avons subi un véritable black-out. Les budgets du Fonds national pour le développement de la science et de la technologie ont été drastiquement restreints. Mais cet impact va au-delà des aspects matériels, car le fait de véhiculer des valeurs négationnistes ou anti-scientifiques a laissé un héritage dangereux.
Et nous en venons ainsi au second aspect, plus subjectif. Nous avons tellement reculé qu’il nous a fallu revenir à l’essentiel : rappeler l’importance des vaccins, de la science, de la rationalité, de la technologie. Et puis il y a les « valeurs » autoritaires véhiculées par l’extrême droite brésilienne bolsonariste… (...)
On peut dire qu’ils ont essayé de démanteler notre jeune démocratie brésilienne, ce qui est évidemment extrêmement grave. Le système de gouvernement a été perturbé ; nous avions avant un présidentialisme de coalition, qui est aujourd’hui complètement déséquilibré. Et puis il y a tout ce qui s’est passé pendant les derniers mois du mandat de Bolsonaro… (...)
Celui-ci, ne voulant pas accepter la défaite, a tenté un coup d’État et l’enquête a même mis en évidence un plan visant à assassiner le président de la République, Lula, son vice-président ainsi que le président de la Cour suprême. Je ne sais pas si en Europe l’on se rend compte de l’extrême gravité des faits. (...)
Comment faire revenir une société vers des valeurs démocratiques après un mandat d’extrême droite qui a causé tellement de polarisation ? L’assaut de janvier 2023 contre les institutions de Brasília semble révéler une fracture assez profonde.
Il s’agit d’un processus de récupération, qui n’a pas été facile, car l’héritage le plus pervers est sûrement le message et les valeurs anti-démocratiques transmises par ces actions, un radicalisme qui s’est propagé aux fondements mêmes de la société, avec un extrémisme et des concepts pouvant nuire aux échanges civilisés et respectueux entre personnes. Nous voulons rétablir la civilité et la rationalité, afin que l’existence de différences et de désaccords entre les personnes ne puisse pas donner lieu à de la violence politiqueComment faire revenir une société vers des valeurs démocratiques après un mandat d’extrême droite qui a causé tellement de polarisation ? L’assaut de janvier 2023 contre les institutions de Brasília semble révéler une fracture assez profonde.
Il s’agit d’un processus de récupération, qui n’a pas été facile, car l’héritage le plus pervers est sûrement le message et les valeurs anti-démocratiques transmises par ces actions, un radicalisme qui s’est propagé aux fondements mêmes de la société, avec un extrémisme et des concepts pouvant nuire aux échanges civilisés et respectueux entre personnes. Nous voulons rétablir la civilité et la rationalité, afin que l’existence de différences et de désaccords entre les personnes ne puisse pas donner lieu à de la violence politique (...)
Évidemment, il ne s’agit malheureusement pas seulement d’un phénomène brésilien, mais mondial. Aujourd’hui, les grands propriétaires de médias et les entreprises technologiques utilisent les réseaux sociaux pour diffuser des contenus qui servent leurs intérêts, sans hésiter à utiliser l’intolérance et la haine comme vecteurs.
Alors que nombre de gouvernements reconnaissent ce problème, trop peu prennent des mesures pour agir et lutter contre le fléau de la manipulation des idées, la propagation des mensonges.
Le faux prétexte de la « défense de la liberté d’expression » masque souvent un attrait pour la violence politique et l’intolérance. (...)