
Sonia Mejri, veuve du commanditaire de l’attentat de l’Hyper Cacher, a participé aux sévices infligés à une adolescente yézidie esclavisée, du temps où le couple vivait à Raqqa, en Syrie, estime la justice. Elle sera la première Française à répondre de génocide.
(...) Que penser de cette femme en attente de son propre procès pour association de malfaiteurs terroriste ? Comment évaluer la sincérité de cette « revenante » qui jure face à un prétoire endeuillé avoir éprouvé de la « tristesse » au moment des attentats, mais avoir dû la masquer pour ne pas risquer la mort ? (...)
L’histoire de Sonia Mejri est une illustration de ce que des femmes ont subi et ont fait subir au sein du califat de l’État islamique. Au printemps 2014, celle qui utilise le pseudo « Perle d’Orient » surfe sur des pages Facebook discutant de l’État islamique. Le 19 septembre suivant, cette gérante d’un snack dans la Drôme franchit le pas et s’envole pour la Turquie, puis rejoint la Syrie.
C’est à Raqqa qu’elle va rencontrer son futur mari, Nasser, seize ans de plus qu’elle. Il est déjà marié à une femme qu’il a laissée en Algérie avec leurs cinq enfants. Il veut épouser une Française et Sonia, de son propre aveu, est « la seule disponible ». La cérémonie est expédiée en moins d’une heure au tribunal de Raqqa. (...)
Plus tard, son mari lui apprend à tirer « à la kalach » depuis une colline à Raqqa. L’entraînement dure une journée. En cadeau de mariage, il lui a fait confectionner une ceinture explosive sur mesure (...)
Nasser est djihadiste, Sonia le sait. Il ne lui a pas caché qu’il a combattu pour le compte d’Al-Qaïda. Pour le reste, il ne dit jamais un mot de trop. (...) si le repas n’est pas prêt, il pique une crise. « Des assiettes volaient, se plaindra Sonia. Ses crises faisaient peur parce que déjà il était plus vieux que moi, il était toujours armé, il dormait même avec le Glock en dessous du coussin, il était très colérique… » (...)
Nasser a pris une seconde épouse, belge. « Je n’avais pas le choix », expliquera-t-elle. La vie s’organise à trois. (...)
Le 30 mars 2016, ce vétéran du djihad décède des suites d’une balle à la cuisse reçue sur le champ de bataille.
Sonia Mejri se remarie avec un autre combattant de l’État islamique. Avec lui, elle vit les derniers instants du califat dans la poche de Baghouz, une « prison à ciel ouvert » où son nouveau mari souhaite rester, armes à la main. À bout de force, Sonia et ses désormais trois enfants (les deux premiers sont de Benyoucef) se rendent le 13 mars 2019 aux forces kurdes, qui la conduisent au camp d’Al-Hol, où elle passe huit mois avant de s’évader, moyennant 8 000 dollars. Avec ses enfants, elle se rend au consulat de France.
Rapatriée dans l’Hexagone, elle est mise en examen en janvier 2020 pour avoir rejoint une organisation terroriste et placée au quartier d’isolement de la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis (Essonne).
Le Parquet national antiterroriste (Pnat) affirme dans son réquisitoire que lors de ses interrogatoires, elle se montre « coopérative », « tout en limitant son rôle à celle d’une femme cloîtrée dans son foyer ». « Surtout », pointe le Pnat, elle tente « de se dédouaner de toute responsabilité dans la connaissance de l’activité de son premier mari », alors qu’« un seul message de sa part à un de ses proches aurait permis de déjouer l’attentat de l’Hyper Cacher ou celui de Villejuif ou d’arrêter en Europe Abdelhamid Abaaoud ». (...)
Nasser n’est autre qu’Abdelnasser Benyoucef, un vétéran algérien du djihad, ancien des filières tchétchènes. À Raqqa, il se fait discret, ne se montre jamais à la mosquée, circule le moins possible. À l’époque de leur union, il est accaparé par la logistique de la tuerie de l’Hyper Cacher.
Quatre ans plus tard, l’AFP a révélé, fin septembre, que Sonia Mejri serait jugée prochainement pour génocide et crimes contre l’humanité (son ancien mari aussi, mais lui est présumé décédé depuis huit ans). Une première pour une personne de nationalité française. Maurice Papon a été jugé en 1997 pour crimes contre l’humanité, mais pas pour génocide. L’ordonnance de mise en accusation du juge qui a instruit son dossier considère que Sonia Mejri a participé à « un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, [...] en l’espèce la communauté yézidie ». Son avocat, Nabil Boudi, a indiqué qu’il allait faire appel de cette ordonnance. (...)
Entendue par un juge d’instruction le 3 juillet 2020, Sonia Mejri maintient avoir déchanté de l’idéologie du califat. « Surtout après le mariage avec Abdelnasser » et ses viols répétés. Et, puis précise-t-elle alors, « [elle] n’adhérai[t] pas non plus à l’esclavage des Yézidies ». À l’entendre, Sonia Mejri, qui a apporté son soutien aux survivants de Charlie Hebdo, serait elle aussi une victime du djihad. (...)
d’après Sonia, son époux aurait acheté fin 2014 une adolescente de 16 ans, prénommée Rafida, pour l’aider dans ses tâches ménagères alors qu’elle était enceinte de leur premier enfant, mais il en aurait profité pour violer la jeune fille avant de la revendre à un autre djihadiste.
L’auteur de ce dernier rapport s’étonne : « Le peu d’affect exprimé par Mme Mejri à l’endroit de la condition de la jeune Yézidie nous a interpellés. Est-ce là un manque de solidarité féminine ? Une preuve de son adhésion totale à la cause daeshie ? Mme Mejri, qui se considérait également comme un objet sexuel, a peut-être préféré la résignation... » (...)
En août 2014, des colonnes de djihadistes se déversent dans la province du Sinjar, en Irak, provoquant un exode brutal et massif des Yézidis, qui se réfugient dans un massif montagneux. Traquées, privées d’eau et de nourriture, soumises aux fortes chaleurs de l’été, des milliers de personnes décèdent. Quand elles ne sont pas tout simplement exécutées par les terroristes : ce qui est le cas des hommes et des garçons âgés de plus de 12 ans.
En tout, plus de 400 000 Yézidis sont déplacés et environ 5 000 trouvent la mort. Les garçons de plus de 7 ans sont embrigadés dans des camps formant des « lionceaux du Califat », les enfants soldats destinés à combattre et à mourir en martyrs.
Les femmes et les jeunes filles à partir de 9 ans sont conduites à Mossoul (Irak), à Raqqa ou Deir ez-Zor pour y être vendues sur des marchés. On estime à 5 000 le nombre de Yézidies soumises à l’esclavage, victimes de violences physiques, psychiques et sexuelles par les djihadistes. (...)
Grâce à l’aide d’ONG, de l’agence onusienne Unitad ainsi qu’à des recherches en sources ouvertes menées par le Parquet national antiterroriste, Rafida Naif Issa est identifiée comme la « Rachida » évoquée par Sonia Mejri.
Entendue par des magistrats irakiens, puis belges et enfin français au Kurdistan d’Irak, où elle réside, la jeune femme, âgée aujourd’hui de 26 ans, désigne « formellement parmi ses bourreaux » le couple Benyoucef-Mejri, dont elle a été pendant six semaines, écrit le Pnat, « l’esclave sexuelle du premier et l’esclave domestique de la seconde ». (...)
La jeune Yézidie confirme : « Sonia me traitait de manière inhumaine. Elle me violentait, me torturait et me laissait mourir de faim. Elle me torturait psychologiquement aussi en m’empêchant d’utiliser les toilettes quand j’en avais besoin et m’interdisait de prendre une douche et de me laver. » (...)
« Elle était d’accord que je sois là comme esclave, pas comme esclave sexuelle. Et donc quand il a consommé et quand il est passé à l’acte, alors elle l’a mis face à un choix : c’était soit elle, soit moi. » Benyoucef obtempère et revend Rafida Naif Issa. « Mon bourreau algérien m’a fait passer entre les mains d’un bourreau belge », résume la jeune femme qui, durant six ans de captivité, sera soumise à un esclavage sexuel par quatre djihadistes successifs. (...)
Confrontée au témoignage de Rafida, Sonia Mejri conteste. (...)
Romain Ruiz, conseil de la jeune Yézidie, qui s’est portée partie civile, estime que « ce procès doit permettre la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de crimes contre l’humanité ».