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Reporterre
Face au risque de guerre nucléaire, les États se réintéressent aux abris anti-atomiques
#guerreenUkraine #armeNucleaire
Article mis en ligne le 2 décembre 2024
dernière modification le 30 novembre 2024

Face au durcissement de la guerre en Ukraine, plusieurs pays recensent ou construisent leurs abris antinucléaires. Mais pas la France, qui compte sur la puissance de sa dissuasion.

D’austères alignements de couchettes métalliques, dans un parallélépipède aveugle composé de plaques d’acier d’un vert glauque aux rivets apparents. La Russie a commencé à produire en série des abris anti-atomiques mobiles, a rapporté l’agence Reuters mardi 19 novembre.

D’après l’institut de recherche du ministère des situations d’urgence, ce refuge baptisé « KUB-M », composé d’une salle et d’un bloc technique, peut protéger ses 54 occupants des ondes de choc, des radiations, des incendies et de multiples autres menaces pour une durée pouvant aller jusqu’à 48 heures. Il peut être facilement transporté sur un camion et connecté à des réserves d’eau, et peut également être déployé dans le vaste permafrost du nord de la Russie, a précisé l’institut.
Missiles à longue portée

Cette décision intervient dans un contexte de tensions internationales croissantes. Dimanche 17 novembre, l’administration du président Joe Biden a autorisé l’Ukraine à utiliser des missiles étasuniens à longue portée ATACMS pour frapper la Russie — un revirement important de la politique de Washington dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie. En réponse, Vladimir Poutine a signé mardi 19 novembre un décret élargissant les possibilités de recours aux armes atomiques.

Les autres alliés de l’Ukraine lui ont aussi fourni des armes, mais avec des restrictions sur la manière et le moment où elles peuvent être utilisées à l’intérieur de la Russie, de crainte que leur utilisation n’entraîne des représailles qui attireraient les pays de l’Otan dans la guerre ou provoqueraient un conflit nucléaire. (...)

Malgré cela, les annonces concernant le développement ou la remise en état d’abri anti-atomiques se multiplient sur le continent européen. L’Ukraine s’est lancée cette année dans la construction d’écoles dotées de refuges anti-nucléaires.

La Suède a commencé lundi 18 novembre à envoyer à ses habitants quelque 5 millions de livrets d’information sur la conduite à tenir en cas d’attaque. Elle œuvre à la mise à jour des équipements de ses abris depuis 2021 et a débloqué en avril dernier une enveloppe de 385 millions de couronnes (33 millions d’euros) pour mener à bien ce projet.

L’Allemagne a annoncé lundi 25 novembre avoir commencé le recensement des bâtiments publics et privés où sa population pourrait se réfugier en cas d’attaque : parkings, gares souterraines, etc. (...)

Ses habitants sont encouragés à convertir leurs sous-sols en refuges et le développement d’une application géolocalisant ces abris est prévu.
370 000 abris en Suisse, un millier en France

Mais l’État le plus en avance dans ce processus reste la Suisse, qui disposait fin 2022 de près de 370 000 abris anti-bombardements, dont 9 000 bunkers publics, pour la plupart bâtis pendant la Guerre froide et entretenus conformément à une obligation réglementaire de 2002. L’ensemble de ses 8,6 millions d’habitants y auraient une place.

Reste la France, qui ne partage pas cette fébrilité bétonnière. (...)

« La dissuasion, c’est l’idée que toute atteinte aux intérêts vitaux de la France pourrait entraîner une riposte qui causerait à l’ennemi des pertes inacceptables », explique à Reporterre un haut fonctionnaire au fait du dossier. Les piliers de cette doctrine sont les modernisations successives de l’arsenal nucléaire ; la présence permanente d’un sous-marin lanceur d’engins pouvant toucher des cibles même très lointaines ; et une doctrine « ambiguë », non écrite, intimidante en ce qu’elle laisse planer le doute sur le niveau d’agression qui déclencherait l’utilisation de l’arme atomique.

Dans cette stratégie, la construction d’abris anti-atomiques serait au mieux inutile, au pire contre-productive : « Cela pourrait porter atteinte à la crédibilité de la dissuasion, en laissant entendre que nous-même ne croirions pas à notre propre doctrine », explique le haut fonctionnaire. La protection que confère cette doctrine de la dissuasion nucléaire reste néanmoins très discutable, insiste Benoît Pelopidas, fondateur du programme Nuclear Knowledges à Sciences Po Paris (...)

Malgré cette doctrine, les entreprises françaises spécialisées dans la construction d’abris anti-atomiques pour les particuliers témoignent d’un intérêt croissant pour leurs produits. (...)

Ces angoisses ne sont pas nouvelles et enflent et refluent au gré de l’actualité internationale. En 1980, dans un contexte de guerre froide, la vente d’abris anti-atomiques était déjà « en pleine expansion », selon un journal d’Antenne 2.

De tels abris n’offriraient pourtant qu’une protection précaire et limitée à la population. (...)

Même s’ils étaient rejoints à temps, de tels abris ne seraient pas la panacée. « S’il y a guerre nucléaire majeure, il est fort probable que les gens meurent de faim ou de suffocation dans l’abri, même si ces équipements peuvent être utiles en cas d’attaque conventionnelle ou éventuellement de frappe nucléaire unique et limitée. Il est faux de dire qu’il existe une technologie qui fait que la guerre atomique n’est plus un problème parce qu’on peut vivre en sous-sol », avertit Benoît Pelopidas.

À la sortie, se poserait la question de la survie à long terme dans un territoire dévasté et irradié. Une guerre nucléaire pourrait en effet entraîner une famine mondiale et la mort de plus de 5 milliards de personnes, selon une étude publiée dans Nature Food en août 2022.