
Plusieurs dizaines de décisions rendues récemment par la cour d’appel et les prud’hommes confirment que la plateforme de livraison aurait dû faire travailler les livreurs en tant que salariés, et non comme autoentrepreneurs. L’entreprise assure que son modèle actuel est désormais légal.
Année après année, et quel que soit le type de juridiction, la justice française dresse le même constat : la plateforme de livraison de repas Deliveroo aurait dû traiter comme des salarié·es les livreurs et livreuses qui, pendant des années, ont apporté leurs repas et leurs courses aux consommateurs et consommatrices.
En les obligeant à exercer en tant qu’autoentrepreneurs alors qu’elle les maintenait dans une situation de subordination, l’entreprise leur a fait porter le coût des cotisations sociales qu’elle aurait dû verser à l’Urssaf et les a privé·es des avantages liés à un contrat de travail : paiement des heures supplémentaires, congés payés, droit au chômage, meilleure couverture sociale.
Le 28 mai, la cour d’appel de Paris a rendu vingt-deux décisions donnant tort à Deliveroo et requalifiant en contrats de travail les contrats liant l’entreprise à autant de livreurs ou livreuses. En première instance, l’entreprise avait été victorieuse dans plusieurs de ces dossiers. Neuf autres décisions, qui iront sans doute dans le même sens, sont attendues pour le mois de juillet.
Interrogée par Mediapart, la société Deliveroo n’a pas indiqué qu’elle se pourvoirait en cassation, ces condamnations sont donc définitives. Tout comme vingt-quatre jugements prud’homaux de première instance, rendus en janvier dernier : Deliveroo avait fait appel des décisions, mais a renoncé à rendre ses conclusions à temps, laissant la procédure s’éteindre d’elle-même. Dans l’un de ces derniers dossiers, un livreur avait été licencié pour avoir fait grève, un droit pourtant à valeur constitutionnelle.
La situation est embarrassante pour l’entreprise, dont la revente à DoorDash, géant américain de la livraison de repas, est en passe d’être finalisée, pour 3,4 milliards d’euros. En parallèle, une autre chambre de la cour d’appel a donné raison à quatre livreurs ayant travaillé pour Foodora, une autre entreprise de livraison qui a quitté la France en 2018 et qui sera jugée au pénal courant 2026.
L’avocat Kevin Mention, à la manœuvre dans tous ces dossiers, savoure en revanche le moment. « Ces décisions nous permettent d’affirmer que 100 % de nos recours sont favorables aux coursiers après correction des quelques jugements de première instance, rendus par des juges non professionnels », se réjouit celui qui est un opposant historique à l’ubérisation des livreurs et coursiers. (...)
Au fil des décisions, les juges ont pointé un à un les nombreux critères montrant que les livreurs n’étaient pas de vrais travailleurs indépendants. (...)
Vous devenez une esclave pour 30 euros par jour, vous entrez dans un engrenage où vous bossez tout le temps. Tout en sachant que la manière dont l’entreprise vous fait travailler est illégale.
Marie, ancienne livreuse à plus de 60 ans</quote
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d’ici l’automne prochain, une centaine de décisions concernant des livreurs et livreuses auront été rendues par les prud’hommes et la cour d’appel. Et surtout, Kevin Mention prépare le dépôt d’une plainte pénale sur les pratiques de Deliveroo pour la période post-2017. Il annonce avoir réuni plus de cent ex-forçats des livraisons, prêts à unir leurs forces contre la plateforme.